Le navire haïtien, percuté en plein océan par un iceberg de taille titanique, vacille au bord du gouffre, à proximité d’un courant tourbillonnant. Léviathans, sirènes et monstres marins titanesques se rangent côte à côte, prêts à engloutir dans un festin macabre les corps qui auraient submergé. Sans boussole, privés de commandants valables au gouvernail, la barque risque de chavirer. La nation entière est menacée d’extinction. Il est urgent de libérer le peuple haïtien de cette spirale infernale. Ce cri de détresse est un appel à une conscience collective au niveau local et au-delà des frontières.
Tous les indicateurs sont au rouge vif, dessinant le tableau d’un véritable contexte de guerre. Comment Haïti a-t-elle pu sombrer jusqu’à ce stade de déchéance sociétale ? La rancune des anciens colons couplée du désintérêt politique de l’élite probe en seraient les causes principales. Oubliant sa vocation, l’élite a été prise au piège d’un raisonnement sophiste consistant à écarter les citoyens honnêtes pour plutôt accueillir les voyous dans les postes politiques. Le salut collectif n’est pas envisageable quand la scène politique s’apparente à une jungle où périssent les intègres et les compétents. Cette absence d’une politique vertueuse dans les structures publiques a coûté cher à Haïti.
En laissant ce terrain décisif accessible aux vilains, libre cours a été octroyé aux coups traîtres, à la flibusterie, à la criminalité pour défiler au pays dans une fière allure. Dans un mariage fidèle entre l’imposture et l’usurpation, des charlatans étaient à l’œuvre dans une gouvernance exécrable qui a sapé les bases du développement du pays. De cette relation arrangée entre contrebandiers économiques et entrepreneurs politiques mais toxique pour la collectivité sont nées les sœurs jumelles corruption et impunité. Celles-ci ont causé une dilapidation massive des ressources publiques. Les suites de dérives politiques ont accouché insécurité, instabilité et effondrement des institutions. La sinistre chorégraphie politique transcrite par l’éminence grise du laboratoire de la terre brulée a atteint la phase des crises sociales et économiques les plus aiguës.
La population croupit dans la précarité et le désespoir. Des entrepreneurs et petits commerçants ont été décapitalisés par les manœuvres flibustières des génies ravisseurs qui se faisaient compères des maîtres de la Cité. Tandis que les vilains emportaient les fortunes du trésor public dans les paradis fiscaux, plusieurs millions d’Haïtiens vivent dans la misère extrême, dans une souffrance indicible. Privés de nourriture, de soins, de loisir et d’éducation, la dignité de la population est bafouée. Nombreuses familles dorment à la belle étoile, dans une promiscuité révoltante, sous des tentes qui ne défient ni pluie ni soleil. Plusieurs compatriotes débrouillards ont été chassés de leurs résidences bâties dans une épargne autopunitive. Tombés soudainement dans le chômage, ils mendient pour répondre à leurs besoins physiologiques de base. La fuite de cerveaux et de capitaux s’amplifie. La classe moyenne décapitalisée finit par se déclasser, pour calquer les habitus et gymnastiques de survie de la masse. L’avenir de cette génération est sacrifié.
Instinct de survie oblige, d’anciens professionnels et chefs d’entreprises - directeurs d’écoles, enseignants, artisans, marchands, camionneurs et employés des secteurs public et privé - se voient contraints d’abandonner leur train de vie. Appauvris, à défaut d’un refuge sur une place ou tout autre espace public transformé en centre d’accueil, ils font la descente chez des amis. Ils quémandent, ils vivent dans l’indignité, ils souffrent amèrement. La capitale est en ruine. Un potentiel retour sur les vestiges de leurs résidences saccagées et fissurées par les mercenaires serait perçu comme une précipitation d’un retour à la poussière. Comme des coups d’épées dans l’eau, les épisodes de mensonges et de promesses non tenues par l’État ont rendu les messages des autorités publiques moins crédibles. Ce temps de mercenariat étranger couplé d’un laxisme officiel stupéfiant vis-à-vis du rassemblement des milices transpirent un génocide en téléchargement.
Dans cet ultime voyage turbulent, sous des pluies torrentielles suivies d’un orage au décibel de tonnerre, la mort fait des yeux doux à tout sujet et tout objet. Les humains comme les matériels tressaillent au passage des animaux détraqués qui cadenassent les entrées et sorties de la capitale squattérisée. Les cris perçants des passagers des classes inférieures d’un côté, la réjouissance insouciante de la première classe mal enrichie de l’autre, l’indifférence bat son plein. Les injustices et les inégalités sont criantes. Le tableau de bord indique un déséquilibre patent qui se soldera inévitablement par un naufrage collectif, irréversible. Sans un sursaut célère pour redresser la barque en détresse, l’horizon déjà sombre s’ouvrira sur un déluge. Puisse le faible reste composé des rares serviteurs publics et policiers intègres se montrer plus intelligent pour dévier le plan criminel des cannibales.
Un réflexe individuel suicidaire
À la Frankenstein, le mastermind a perdu le contrôle de la créature monstrueuse qu’il avait conçue pour le besoin d’une cause mercantiliste et électoraliste. Lock intégral. Panique générale dans la Cité. L’animal indompté s’est échappé de sa cage, causant d’énormes dégâts matériels et semant la mort sur son passage. Déverrouillage de prisons, verrouillage de routes, fermeture de ports, d’aéroports, incendies aux hôpitaux, sabotage des écoles, dévastation des entreprises. Dans cette cacophonie, les véhicules blindés de la Police servaient à transporter des familles de l’oligarchie, à coup de milliers de dollars. Des hélicoptères survolaient notre ciel attristé par les brouillards des pneus enflammés pour faire transiter en République dominicaine l’oligarchie privilégiée avant sa destination finale en Floride. Un commerce lucratif pour ces mercantilistes sans état d’âme qui faisaient payer plusieurs dizaines de milliers de dollars à tous les rescapés.
Barrage en haute mer, barricade sur terre, sinon postes de péage érigés arbitrairement par les criminels, les principales artères de l’Aire métropolitaine demeurent bloquées. Les régions géographiques ne communiquent plus avec la Capitale « vendue et perdue ». Changement de routines. Les pratiques du transport sont brutalement modifiées, dans un absurde modus operandi. Des distances d’une vingtaine de kilomètres à parcourir en 30-45 minutes par voie terrestre, nécessite des alternatives aériennes vers le Nord ou le Sud, pour revenir par la suite sur la destination finale, en voiture. Péripétie longue et coûteuse. Un plan B onéreux est en vigueur pour garantir un minimum d’échange de certains articles à l’intérieur du pays. Des bateaux sont accostés dans un suspens cardiaque à nos zones côtières pour assurer le transport irrégulier de marchandises et de biens mobiliers, au coût exorbitant. Source d’hyperinflation.
Cette fracture sociétale d’une économie criminelle qui affecte toutes les couches socioprofessionnelles a provoqué une désintégration des familles haïtiennes. Plusieurs vivent leur exil forcé dans une farouche humiliation sur la scène internationale. Sauve qui peut. Il en ressort un entassement de nos artistes (chanteurs, acteurs, comédiens) à des surfaces restreintes en République dominicaine, puis en Floride, notamment par le coup de grâce du programme Biden. Tandis que dans leurs projections les esprits avisés tiraient la sonnette d’alarme sur les conséquences désastreuses de la politique sale en Haïti, la plupart des voix écoutées s’en fichaient. Malgré une insécurité musclée qui faisait joncher des cadavres au Bélair, à Cite-Soleil ou sur les trottoirs du Bicentenaire, les vedettes de la musique répondaient fidèlement aux rendez-vous carnavalesques. En contrepartie de faveurs et de privilèges mesquins, ils plaisaient à sa majesté qui armait jusqu’aux dents les jeunes des quartiers défavorisés. Pourtant, leurs micro et instruments auraient pu influencer les pratiques politiques en encourageant la construction d’écoles professionnelles et de centres de loisir, à l’avantage de la collectivité.
Le climat social s’est profondément détérioré. Les quartiers autrefois réputés pour leur prestige résidentiel ont perdu leur notoriété. Le Portail Léogane a déplacé ses repères à Lalue, tandis que le marché de la Croix-des-Bossales s’est délocalisée pour se positionner à Pétion-Ville. Les édifices publics ont arraché leurs enseignes au cœur de la Capitale pour les implanter à Pétion-Ville. L’insécurité, jadis cantonnée aux bidonvilles, s’est propagée jusqu’aux zones résidentielles : Turgeau, Debussy, Vivi Mitchell ne trouvent plus le sommeil. Tabarre a été envahi par les barbares. Cette ancienne référence d’habitat de prédilection de la classe moyenne a sombré. N’y respire à pleins poumons que la géante ambassade. À quel prix ? L’on y perçoit aussi quelques pouls du campus universitaire du père spirituel de Fanmi Lavalas. Une cohabitation entre des escadrons de la mort et une bonne partie de l’élite intellectuelle du pays. Tant mieux quand même. Mais, seuls les diplomates et les politiciens en auraient le secret.
Sauvetage individuel, chacun développe le même reflexe dans une quête de salut personnel. Les maisons cachées derrière les géants murs ornés de barbelés et les véhicules blindés donnent peu de résultats. Quitter la jungle deviendrait la seule option salvatrice. Ainsi, les détenteurs d’une résidence étrangère ou d’un visa s’exilent vers d’autres horizons. Quand ils n’avaient pas eu l’opportunité de s’acheter un visa pour se jeter au Brésil ou au Chili, un bon nombre tentaient un sauvetage par la mer. De manière acrobatique. On y compte de nombreux disparus. Arbitrage difficile entre le risque du kidnapping et celui d’une tentative de traversée périlleuse par la voie des océans, des figures reconnues en ont pris cette option. Elles n’ont pas toujours atteint leur destination sains et saufs. Certains auraient perdu virginité et d’autres, la vie. Dans toutes les circonstances, nos compatriotes ont accumulé d’importantes sommes d’argent pour enrichir les consulats étrangers qui faisaient des enchères avec leurs visas.
À l’image du Titanic, personne – homme, femme, riche, pauvre, adulte ou enfant – n’est épargné du ravage des animaux détraqués largués dans la jungle qui ont tout brisé sur leur passage. Cet épiphénomène d’une grave insécurité causée par la mauvaise gouvernance nous rappelle que la paix ne saurait être sectorielle. L'oppression dans un endroit menace la liberté de tous. Cette mise en garde a été apprise dans une dure leçon par l’élite crasseuse et narcissique qui passait le chemin de l’injustice dans la cécité et un mutisme sépulcral. Aujourd’hui, très peu d’artistes parmi les plus prolifiques continuent de produire ; ils sont appauvris. Dans ce climat tendu chez l’Oncle Sam, marqué par un risque de déportation imminent qui rend les salles de spectacle clairsemées, il leur est difficile de rentabiliser leurs investissements. Ils ne parviennent pas à maintenir leur ancien niveau de vie. Un bon nombre se tourne vers TikTok pour tenter d’honorer leurs factures.
Dans le même bateau
D’une part, la population naïve respire dans une thanatophobie affreuse les odeurs puantes d’une mort subite qui frappe à ses portes en paille. Tic-Tac. De l’autre, les chauffards détenteurs des manettes sensibles de l’engin national restent impassibles au signal de détresse lancé par les douze millions de pèlerins navigant dans cette peur bleue. Dans cette tempête délirante, les riches parvenus qui ont orchestré la capture et le braquage de l’État sont embarqués dans le même bateau que les plus démunis. Ils sont tous ballottés par les flots de l’instabilité et du chaos. Ces jouisseurs confortables dans les inégalités de pouvoir et de richesse auraient oublié que le blindé ne pourra résister à tous les types de turbulence. Aucun bodyguard, aucun bouclier, aucune force ne sauraient résister aux chocs herculéens de cette lourde catastrophe à l’horizon entraînée par des comportements anthropiques irresponsables. Définitivement, les dégâts physiques et post-traumatiques découlés de la bêtise politique post-sismique se révèlent pires que les dommages incalculables du séisme de 2010.
Avec fracas, des projectiles frappent les points névralgiques du navire. L’eau envahit les couloirs, et les canaux de sauvetage sont insuffisants. Des cris stridents résonnent comme ceux des oiseaux fous. L’on aperçoit des enfants orphelins de mères, de pères, d’oncles et de tantes. Dans les tunnels, plus discrets mais tout aussi douloureux, s’élèvent les cris des anciens privilégiés politiques et économiques, contraints à l’exil aussi. Certains y sont sanctionnés et emprisonnés. Ils seront probablement relâchés au crépuscule de leur vie après que leurs batteries d’avocats les auront dépouillés jusqu’aux derniers sous. Du déjà-vu. Plus aigus, l’on entend les cris tranchants des familles brisées par les vagues de migration forcée par la terreur du crime et du kidnapping. Ces familles nomades qui défient la mort au quotidien ont déjà assisté aux scènes odieuses de balles perdues qui ont atteint les cœurs et les poumons de leurs enfants. En uniforme, en soutane, en blouse, sur les bancs de l’école, dans les enceintes de leurs facultés, aucun espace n’est stérilisé. En plein milieu de ce chaos, les souffrants et survivants qui conservent encore le souffle de vie, lancent des appels au secours.
À ce continuel refrain « Save Our Souls » le peuple lève les yeux vers tous les horizons, y compris vers l’omnisciente communauté internationale, espérant un geste salvateur de cette omnipotence qui contrôle les cieux et les terres de l’Hémisphère. Dommage, la cruelle qu’elle est se bouche les oreilles et nous laisse crier. Elle donne l’impression d’être la commanditaire des escadrons de la mort. Cynique. La prédominance américaine de la provenance des armes illégales qui ôtent la vie des innocents en Haïti en dit long. Si cette République emblématique qui a rompu les chaînes de l’esclavage n’a pas déjà exhalé son dernier souffle, ce n’est pas la faute du trident de l’Occident malveillant. Ces faux-amis ont orchestré une paralysie systémique de cette nation historique avant de tenter son « euthanasie » mais qui miraculeusement n’a jamais été effective.
La capacité de ce peuple résilient à surmonter les épreuves et les traumatismes a fait toute la différence. Mais, « tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse ». Il est temps de stopper l’hémorragie. Une noble tâche qui revient à l’élite résiduelle courageuse, intègre et compétente.
Devoir de mémoire
Les cartes sont brouillées dans ce contexte fragile de l’inaction des dirigeants poltrons qui n’ont juste qu’à condamner fébrilement les stratagèmes des agresseurs qui accordent permission pour un retour des victimes dans les vestiges de leurs résidences dévastées. Il est paradoxal qu’après l’annonce des terroristes, la population se mobilise à retourner sur les débris de son logement, sur les ossements de ses enfants, sur le sang versé de ses filles violées. Ses investissements accumulés en des décennies ont été volés en fumées, dans un laps de temps. Pourtant, comme des brebis égarées, elle y revient pour reprendre sa « vie normale ». Haïti expérimente-t-elle un syndrome de Stockholm collectif ? La population victime des atrocités ne saurait développer une certaine pitié pour ses bourreaux qui l’ont dépouillée de toutes ses richesses. Ce serait un cas clinique, car il serait impossible que les déplacés rescapés effacent soudainement les souvenirs amers des pires calamités qu’ils ont vécues au cours du passage cyclonique des monstres du Viv-Ansanm dans leurs fiefs. La logique commanderait plutôt que la justice s’illumine afin de réparer les torts subis par les victimes, sanctionner les coupables et dissuader la récidive des actes cruels.
La menace de disparition qui plane sur cette nation historique s’intensifie chaque jour. Il revient aux élites, en Haïti comme dans la diaspora, de déclencher un sursaut en prenant leurs responsabilités de lancer des campagnes de solidarité afin de préserver l’avenir du pays. À cet effet, les initiatives citoyennes au niveau local et international, les plateformes de mobilisation dénonçant les malversations, méritent d’être salués. Entre autres, les Haïtiens de partout sont conviés à se joindre aux mouvements citoyens du GRAHN ainsi que celui de la Communauté d'Actions Stratégiques pour Haïti (CASH). Cette synergie devra continuer à travers des engagements collectifs pour disposer d’interlocuteurs valables aux différentes échelles de la fonction publique. Disposer de personnalités intègres et compétentes aux structures décisionnelles est une prémisse pour redresser la barque. Ce saut qualitatif débouchera sur des mécanismes de réconciliation, de justice et réparation des victimes qui ont perdu membres de familles, entreprises, maisons, etc. Ce virage sera aussi l’occasion pour l’élite, notamment les universitaires, leaders religieux, artistes, professionnels, entrepreneurs et politiciens consciencieux de créer la synergie pour changer de paradigme.
En dernier lieu, la communauté internationale ne peut plus rester spectatrice sinon une actrice principale dans le drame de la catastrophe d’Haïti. Plusieurs esprits avisés ont fait la preuve que ces prétendus Amis d’Haïti ont été longtemps impliqués à la ridiculiser et asphyxier ses poumons économiques. Nous voulons croire dans une nouvelle dynamique géopolitique où Washington prendra conscience pour agir autrement, avec empathie et respect envers ce pays qu’il a appauvri. Sinon, le trio magique de cette communauté internationale « au chevet » d’Haïti aurait mieux fait de laisser à ce pays indépendant le libre-arbitre pour choisir d’autres formes de coopérations, mutuellement avantageuses. En des coopérations Sud-Sud, la Chine a montré d’autres voies prometteuses à travers le Consensus de Pékin qui a mis plusieurs pays de l’Afrique et de l’Amérique latine sur des rails du développement. Alors, si les USA œuvrent à maintenir Haïti dans cette kakistocratie qui produit insécurité, injustice et fuite massive des cerveaux et des capitaux, pourquoi empêchent-ils qu’Haïti choisisse ses propres amis ?
Le monde se réduit à un village où les amitiés n’ont plus de bornes géographiques. Trop longtemps dans une factice amitié hémisphérique. Haïti a besoin de se faire de nouveaux amis avec des nations, proches ou lointaines, qui se consacrent au respect de la vie et du principe sacré de la souveraineté des autres peuples. Qu’elle provienne de l’Asie, de l’Amérique ou de l’Afrique, Haïti s’en fiche de l’origine de la main bénie qui lui apporterait le verre d’eau salvateur dans ce désert torride. L’essentiel consiste à sauver ce pays et à préserver une part précieuse de l’humanité. SOS !
Carly Dollin