Par David B. Gardon, journaliste
Le multilatéralisme vacille, le droit international est contesté, la coopération internationale fragmentée. Alors que s’approche la fin du mandat d’António Guterres, l’Amérique latine et la Caraïbe apparaissent comme la région appelée à incarner une nouvelle direction à la tête de l’ONU.
Dans la Caraïbe, c’est naturellement Mia Mottley, Première ministre de la Barbade, qui attire d’abord l’attention. Charismatique, elle s’est imposée sur la scène internationale par des discours percutants, notamment à la COP26 en 2021 à Glasgow, où elle a dénoncé l’injustice climatique dont souffrent les petits États insulaires. En conduisant son pays à rompre avec la monarchie britannique pour devenir République en 2021, elle a incarné une volonté d’émancipation et de souveraineté qui résonne bien au-delà de la Barbade.
Sa candidature à la succession d’António Guterres reste néanmoins fragile : elle est Première ministre en exercice, sans expérience au sein du système onusien et sans réseau diplomatique mondial comparable à d’autres figures. Elle ne dispose pas non plus de la maîtrise du français, atout important pour rallier le soutien du bloc francophone. Mais elle exprime une revendication légitime : celle d’un leadership caribéen sur les grands enjeux planétaires. Pour des pays comme Haïti, qui partagent la même vulnérabilité face au changement climatique et à la pression des crises internationales, cette parole venue des îles a une résonance particulière. Qu’une Caribéenne porte la bannière de l’ONU aurait une force symbolique inédite, rappelant que les petites nations peuvent être les gardiennes d’un universel menacé.
Au-delà de Mottley, d’autres noms circulent en Amérique latine et dans les Caraïbes : Rebeca Grynspan (Costa Rica), actuelle secrétaire générale de la CNUCED, profil technocratique solide et francophone ; Juan Manuel Santos (Colombie), prix Nobel de la Paix, fort de son accord avec les FARC ; Alicia Bárcena (Mexique), chevronnée des institutions onusiennes et aujourd’hui ministre des Affaires étrangères ; ou encore María Fernanda Espinosa (Équateur), ancienne présidente de l’Assemblée générale de l’ONU. Ces candidatures reflètent une tendance lourde : la pression croissante pour voir une personnalité latino-américaine ou caribéenne diriger enfin l’ONU.
Face à ces profils, la figure de Michelle Bachelet s’impose. Née à Santiago en 1951, fille d’un général mort sous la torture sous Pinochet, elle-même arrêtée et contrainte à l’exil, Bachelet s’est forgé une autorité politique et morale dans l’épreuve. De cette expérience, elle n’a pas tiré l’amertume mais une détermination à défendre la démocratie et les droits humains.
Son parcours est impressionnant : deux fois présidente du Chili, ministre de la Santé puis de la Défense, première directrice d’ONU Femmes, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits humains. Dans chacune de ces fonctions, elle a montré sa capacité à bâtir des compromis solides et à défendre des principes fermes sans tomber dans la surenchère ni dans le silence complice.
Originaire d’Amérique latine, Bachelet incarne une région qui, selon le principe de rotation, est aujourd’hui appelée à fournir la prochaine dirigeante de l’ONU. Pour Haïti et la Caraïbe, voir une personnalité des Amériques accéder à cette fonction constituerait un moment historique.
Ses limites existent cependant. Sa maîtrise du français est réduite, ce qui, dans un espace multilingue où la francophonie compte, peut être perçu comme un handicap. À l’ONU, où six langues officielles coexistent (arabe, chinois, anglais, espagnol, français et russe), le français conserve une valeur politique forte, notamment pour rallier le soutien du bloc francophone. Avec l’anglais, il est l’une des deux langues de travail du Secrétariat. Son mandat comme Haute-Commissaire aux droits humains n’a pas échappé aux critiques. Son rapport final sur le Xinjiang en Chine, publié en août 2022, a été jugé trop prudent par de nombreuses ONG, et ses positions sur le Venezuela parfois trop nuancées pour les opposants au régime. Cette attitude a renforcé son image de diplomate soucieuse de compromis, mais certains y voient une faiblesse face aux régimes autoritaires.
À l’inverse, Mia Mottley apporte un souffle caribéen et une énergie politique indéniable, mais son manque d’expérience onusienne et de réseaux diplomatiques reste un frein. Les candidatures alternatives – Grynspan, Santos, Bárcena, Espinosa – ont chacune des atouts, mais manquent du mélange d’expérience politique et de stature mondiale que représente Bachelet.
À l’heure où le multilatéralisme vacille, l’ONU a besoin d’une direction capable de conjuguer la raison politique et la sensibilité humaine. Bachelet incarne cette double compétence : l’expérience institutionnelle et la proximité avec les vulnérables.
Pour Haïti, confronté à la pauvreté, à l’instabilité et aux menaces climatiques, le choix du prochain Secrétaire général ne sera pas neutre. Mia Mottley aura marqué par son audace et sa détermination, mais c’est Michelle Bachelet qui apparaît aujourd’hui comme la candidate la plus solide, et peut-être la plus nécessaire.
Le multilatéralisme ne survivra pas à demi-mots. Il a besoin d’une parole claire, ferme et légitime : les Amériques ont l’occasion de la donner.
Note
À ce stade, aucun·e candidat·e ne s’est officiellement déclaré·e. Les noms de Michelle Bachelet, Mia Mottley et d’autres figures latino-américaines ou caribéennes circulent dans la presse internationale et les cercles diplomatiques comme possibles prétendants à la succession d’António Guterres, dont le mandat se termine le 31 décembre 2026.
Biographiques
Michelle Bachelet :
1951 : naissance à Santiago.
1975 : prison et exil après Pinochet.
2006–2010 et 2014–2018 : présidente du Chili.
2010–2013 : première directrice d’ONU Femmes.
2018–2022 : Haute-Commissaire ONU aux droits humains.
Mia Mottley :
1965 : naissance à Bridgetown, Barbade.
2018 : Première ministre de la Barbade.
2021 : conduit la transition vers la République.
Discours remarqué à la COP26 (Glasgow, 2021).