Discours du recteur de l'UEH, Dieuseul Prédulus, président du Comité national haïtien de restitution et de  réparation 

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Monsieur le Président du Conseil Présidentiel de Transition,
Mesdames et Messieurs les Conseillers présidentiels,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les membres du Corps diplomatique,
Mesdames et Messieurs les dirigeants d’Université,
Mesdames et Messieurs les membres du Comité National Haïtien de Réparation et de Restitution,
Mesdames et Messieurs les représentants de la Presse,
Mesdames, Messieurs, distingués invités, en vos rangs, grades et qualités respectifs,

Votre présence aujourd’hui à l’installation officielle du Comité National Haïtien de Restitution et de Réparation exprime, au-delà d’une concession obligée à un rituel étatique, votre soutien inconditionnel à une cause qui transcende les générations et engage notre dignité nationale.

 

D’emblée, une telle installation officielle nous contraint à faire œuvre de généalogie à plus d’un égard. En effet, cette question a d’abord été portée à l’agenda public de l’État haïtien par le Président Jean-Bertrand Aristide en 2003. Sur le terrain académique, mon prédécesseur, le Professeur Fritz Deshommes a eu le mérite de mettre sur pied le groupe de travail qui a inspiré la création de ce Comité national. Ces moments ont constitué des pierres d’attente pour une exigence latente, devenue actuellement incompressible.

Mesdames, Messieurs,

Nous nous réunissons aujourd’hui dans un contexte chargé de mémoire et lourd de responsabilité. En effet, l’année 2025 marque le bicentenaire d’un des crimes économiques les plus durs de l’histoire du pays : l’imposition par la France, en 1825, d’une rançon inique comme prix de notre liberté. Les appellations pudiques « d’indemnité » ou de « dette de l’indépendance » ne peuvent plus occulter la réalité d’un chantage colonial ni gommer la double peine infligée à un peuple dont le seul tort aurait été d’avoir osé briser les chaînes de l’esclavage.

La rançon, estimée à 150 millions de francs-or de l’époque, a saigné l’économie nationale pendant plus d’un siècle. Elle a hypothéqué le développement de nos infrastructures, paralysé la croissance de notre système éducatif et freiné l’industrialisation du pays. Le peuple haïtien s’est ainsi trouvé dépossédé de ressources nationales pour bâtir son futur.

Deux siècles plus tard, l’année 2025 nous ramène cette mémoire douloureuse. Non point seulement pour méditer le passé mais pour amorcer un vaste mouvement de réflexion critique sur notre présent, figurer l’avenir d’Haïti et refaçonner sa place dans le monde. Sur le fondement de ces considérations, l’exigence de justice et de réparation n’apparaît plus qu’impérieuse. De fait, 2025 relie, en un continuum indissoluble, passé, présent et futur, signifiant que la mémoire historique est un levier indispensable pour donner ses assises à notre souveraineté.

La tâche fondamentale du Comité sera de structurer cette exigence, de lui donner force dans le réel. Elle devra rassembler les preuves, alimenter le plaidoyer, sensibiliser la nation et établir les passerelles nécessaires avec nos partenaires internationaux. Elle sera à la fois un espace scientifique, civique et diplomatique. Sa mission consistera à rendre visible l’invisible, articuler les arguments juridiques, économiques, moraux et faire entendre la voix d’Haïti dans les forums où l’écriture de la mémoire du monde est en jeu. Mais plus qu’une démonstration, plus qu’un plaidoyer et une exigence, il s’agit d’une entreprise visant à offrir un socle authentique à notre dignité nationale. Il s’agit de dire à nos enfants que leur pays ne se résume pas à ses malheurs présents, qu’il est le produit d’une histoire héroïque et le porteur d’une exigence de justice qui a valeur au-delà de ses frontières.

Chers compatriotes,

La démarche qui nous guide n’est donc point animée d’un esprit revanchard. Elle n’entend pas tenir lieu de vivier à une culture du ressentiment pas plus qu’elle ne cherche à rouvrir inconsidérément des plaies. Elle s’inscrit résolument dans l’édification d’un avenir plus juste, fondé sur le rétablissement de la vérité, la préservation de la mémoire et la reconnaissance des torts subis. Elle se déploie dans une dynamique mondiale où les peuples, de l’Afrique aux Caraïbes, se dressent pour réclamer justice face aux crimes de l’esclavage et de la colonisation. Fort heureusement et de manière tout à fait opportune, dans une déclaration historique, le Président français, M. Emmanuel Macron, soulignant que l’oubli et l’effacement ne devraient pas être au principe des relations internationales, a co-institué avec le Conseil Présidentiel de Transition, le 17 avril 2025, une commission mixte d’historiens français et haïtiens appelée à produire des recommandations tirées des enseignements du passé et orientées vers l’établissement d’un avenir apaisé entre nos deux pays. Dans le même registre, par résolution en date du 5 juin 2025, l’Assemblée nationale française « a invité son gouvernement à examiner les voies de restitution de la double dette ». Ces avancées qui vont dans le sens d’un règlement idoine d’un sujet de conflit épineux doivent être saluées.

Toutefois, ce combat demeure le nôtre. Aux Universités, à la jeunesse haïtienne, aux institutions publiques et privées, aux communautés de la diaspora et à tous les secteurs de la vie nationale, nous lançons un appel solennel. Nous ne devons pas nous enfermer dans une fixation sur le passé mais entreprendre des actions concrètes, réaliser des recherches approfondies, nourrir des plaidoyers argumentés et maintenir une mobilisation soutenue. Dans un monde interconnecté et numérisé, notre voix peut contribuer à la formation d’une opinion publique plus éclairée et générer un impact diplomatique et moral irréversible. Ce combat est l’affaire de chaque citoyen conscient, chaque  étudiant, chercheur, artiste ou leader capable de porter le flambeau de la justice historique. La restitution et la réparation ne sont pas seulement une affaire d’État mais l’affaire de toute la nation.

Au nom de la mémoire de nos ancêtres, au nom de la justice universelle, faisons de ce Comité l’outil de notre réhabilitation morale et de la reconquête de notre dignité. Que ce Comité, nouvel instrument de vérité, inspire l’unité nationale et nous rassemble autour d’une lutte commune : la réparation d’une dette historique, synonyme de nouvelles perspectives légitimes de prospérité pour Haïti.

Je vous remercie de votre attention.

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