Vers un renouveau républicain enraciné dans la dignité humaine et l’identité populaire
Un fondement universel pour une refondation nationale
Depuis plus de soixante-quinze ans, la Déclaration universelle des droits de l’homme proclame que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Ce principe universel demeure une lumière dans un monde traversé par les inégalités, les discriminations et les exclusions. Il repose sur trois piliers fondamentaux : la dignité humaine, l’universalité des droits, et l’égalité sans discrimination. Ces principes ne sont pas négociables ; ils constituent le socle moral et juridique de toute société démocratique.
La dignité humaine reconnaît à chaque individu une valeur intrinsèque, inaliénable, indépendamment de son origine, de sa langue, de sa classe sociale ou de ses convictions. L’universalité des droits signifie qu’ils appartiennent à tous, sans exception. Et l’égalité rejette toute hiérarchie entre les êtres humains, qu’elle soit fondée sur la race, le genre, la religion ou l’ethnie.
Cependant, ces principes n’ont de force que s’ils sont garantis dans la réalité quotidienne. Ils exigent un État qui protège, qui agit, et qui s’engage. En ce sens, ils imposent aux gouvernants le devoir de construire un système politique respectueux de la dignité humaine et favorable à une justice sociale réelle et tangible.
C’est dans cette optique que l’Assemblée Nationale de la Jeunesse (ANJ) a entrepris un processus de refondation constitutionnelle visant à proposer une nouvelle architecture républicaine pour Hayti. Cette démarche, initiée à la suite de nombreux ateliers citoyens, universitaires et communautaires, vise à replacer l’humain au centre de la République, dans une logique de souveraineté populaire, de justice équitable et de reconnaissance culturelle.
Repenser la légitimité de l’État : la Constitution comme fondement suprême
Aristote écrivait déjà au IVe siècle avant notre ère : « Il est plus juste que la loi commande que n’importe quel citoyen. » Car sans une norme supérieure qui régule l’exercice du pouvoir, l’autorité devient tyrannie. C’est pourquoi Raymond Aron affirmait : « Une Constitution n’est pas un simple texte juridique ; c’est une déclaration solennelle sur la manière dont une société veut se gouverner. »
Cette idée est au cœur de la pensée républicaine. En effet, une Constitution est le contrat social suprême, la norme des normes, qui organise les pouvoirs, délimite les droits et garantit les libertés. Comme l’a établi la Cour suprême des États-Unis dans Marbury v. Madison (1803), « une loi en conflit avec la Constitution est nulle ». Cela consacre le principe de la hiérarchie des normes, qui fonde l’État de droit.
L’Article I, Section 1 de l’avant-projet de Constitution proposé par l’ANJ réaffirme ce principe avec force :
« Toute autorité publique est soumise à la Constitution ; aucun décret, aucune loi, aucun règlement ne peut être contraire à cette dernière. Toute norme contraire est nulle de plein droit. »
Ce retour à la centralité de la Constitution vise à éradiquer l’arbitraire, à mettre fin à l’impunité juridique, et à redonner sens aux institutions. Il s’agit aussi de restaurer un pouvoir judiciaire indépendant, fort, impartial, capable d’exercer un contrôle réel sur les autres pouvoirs.
Un État garant des droits fondamentaux : dignité, justice sociale et égalité
La légitimité constitutionnelle doit s’incarner dans un État juste, protecteur et social. Sans institutions fortes et engagées pour le bien commun, le texte constitutionnel reste lettre morte. L’Article I, Section 2 reconnaît ainsi que la mission première de l’État haïtien est de protéger la dignité humaine et de garantir les droits fondamentaux de tous les citoyens.
Inspiré par John Locke, ce principe repose sur l’idée que les droits naturels : la vie, la liberté, la propriété sont antérieurs à l’État et ne peuvent être aliénés. Ces droits sont à la base de toute démocratie viable.
La révolution linguistique : le créole comme outil de souveraineté populaire
L’un des éléments les plus novateurs de l’Article I réside dans sa troisième section, consacrée à la réforme linguistique. Pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle du pays, le créole haïtien est proclamé langue officielle principale de la République, devant le français.
Ce changement est à la fois politique, culturel et éducatif. Il répond à une réalité incontournable : plus de 90 % de la population haïtienne parle exclusivement le créole, tandis que le français, langue de l’élite, domine dans les textes officiels, les tribunaux, les écoles et les administrations.
Cette situation crée une fracture linguistique qui prive la majorité du peuple de sa pleine citoyenneté. En instituant le créole comme langue de gouvernance, on rend à chaque citoyen la possibilité de comprendre, de participer, de décider.
Le projet propose :
• La rédaction exclusive des textes de loi en créole car la version française n’aurait qu’un rôle de référence
• L’obligation pour toutes les institutions publiques de fonctionner en créole.
• L’usage obligatoire de la langue des signes créole dans les communications officielles.
Nous proposons une réforme des médias avec 60 % des contenus qui devront être en créole, 30 % maximum en français et 10 % en langues étrangères. En cas de non-respect, des sanctions telles que la suspension de licence seront appliquées.
Ce changement linguistique est donc bien plus qu’une mesure administrative : c’est un acte de justice historique, qui redonne une voix à ceux qui en ont été privés.
Le retour aux symboles révolutionnaires : une mémoire à reconstruire
Enfin, l’Article I, Section 4 propose une relecture des symboles de la République. Il s’agit d’un réancrage identitaire et historique qui vise à réconcilier la mémoire révolutionnaire avec la République moderne.
Le projet propose aussi :
• Le retour au drapeau noir et rouge, premier drapeau national d’Haïti.
Ces couleurs symbolisent l’unité des Noirs et des Mulâtres, en opposition à toute division raciale. Contrairement aux idées reçues, ce drapeau n’est pas celui d’une dictature, mais celui de Dessalines, celui de la liberté conquise par les armes et la foi révolutionnaire.
• Une nouvelle devise nationale : « Liberté, intégrité, fraternité », des valeurs haïtiennes remplaçant l’actuelle devise française trop souvent vidée de son sens.
• De nouvelles armoiries représentant deux lions entourant un coq, avec la légende historique : « Liberté ou la mort » demeure un cri qui renoue avec l’héritage des héros de l’indépendance.
Cette refonte symbolique est nécessaire pour reconstruire l’imaginaire collectif, réaffirmer la souveraineté populaire et redonner à la jeunesse haïtienne des repères identitaires clairs, enracinés dans l’histoire nationale.
Un pari audacieux, mais indispensable
Ce premier article de notre avant-projet constitutionnel pose les fondations d’un projet de société audacieux, mais lucide. Une République d’Hayti inclusive, égalitaire, linguistiquement souveraine, historiquement ancrée, et juridiquement solide. Une République qui parle la langue du peuple, qui protège les faibles, et qui incarne la dignité de ses citoyens.
Les défis sont nombreux. Mais la jeunesse haïtienne est prête. Prête à porter cette vision, à défendre ses principes, et à construire un avenir à la hauteur du sacrifice de nos ancêtres. C’est le début d’un nouveau contrat social, entre la Nation et son peuple.
Références
• Assemblée Nationale de la Jeunesse. (2025, mai). Proposition par l’ANJ d’avant-projet de Constitution de la République d’Hayti 2025.
https://www.assembleenationaledelajeunesse.com/nos-travaux/2520032_proposition-par-l-anj-d-avant-projet-de-constitution-de-la-republique-d-hayti-2025
• Nations Unies. (1948). Déclaration universelle des droits de l’homme.
https://www.un.org/fr/about-us/universal-declaration-of-human-rights
• Locke, J. (1689). Second traité du gouvernement civil. (Trad. française, Éd. Garnier-Flammarion)
• Cassin, R. (1948). Préface à la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Woldenskee Miviel, Mélissa F.
Godson MOULITE, éditeur