Haïti: la rentrée des classes en mode «Sele Bride» ?

Haïti: la rentrée des classes en  mode  «Sele Bride» ?

Demen pouw pa diw te gen devenn ?

Depuis plusieurs générations l’éducation (en particulier l’école) demeure le principal levier capable d’ouvrir les plus grandes portes de la vie, aux hommes et aux femmes en majorité qui ne disposent pas d’héritage économique et des avantages que des pouvoirs politiques entre autres peuvent offrir. La rentrée des classes, même dans des pays en guerre, comme c’est le cas d'Haïti représente l’un des moments phares pour renforcer les actifs du pays en termes de capital humain, tout en renouvelant sur le plan social les investissements durables au sein des familles, via les jeunes qui constituent l’avenir du pays.

Des discours officiels des autorités en passant par les messages de circonstance des responsables de chaque établissement scolaire, en dehors de l’hymne national, ne seront pas totalement retenus par l'ensemble des écoliers du pays, ceci, avant la fin de la première journée de classe, encore moins durant la première semaine. Et si des choix de musiques populaires et locales du pays participaient dans le renforcement des valeurs et de l'inspiration de la jeunesse chaque mois ?

De la musique populaire, savante, inspirante, motivante et entrainante, en dehors des prières qui violent en silence, dans la plupart des cas, la foi intime des enfants et leurs parents, autant les lois de la république dite laïque. En dehors des plus pertinentes et influentes des créations musicales anciennes et contemporaines qui portent les messages de Carole Démesmin, Joel Théodore, Master Dji, Emeline Michel, BIC, de Jeanjean Roosevelt, parmi d’autres créateurs-éducateurs populaires, la chanson phare de Dener Ceide, titrée “Sele Bride”, se propose dans l'agenda scolaire comme une parole savante.

De la profondeur des messages que cette chanson dégage, on est en face à un hymne pour la rentrée des classes en Haïti. Face au contexte de crise sociale et profonde de l’éducation dans le pays, cette chanson suit bien cette voie.

“Sele Bride” entre représentation et adaptation dans l’éducation haïtienne ?

Défini comme le processus en deux étapes complémentaires dans la vie paysanne haïtienne, Sele et Bride, visant à préparer pour les charges et à gêner les animaux dans ses mouvements, tels que le cheval, l’âne entre autres, afin de pouvoir porter les marchandises et les paysans ou paysannes à bord, pendant de long trajet, de la maison vers le marché, ou des plantations vers la ville, les mornes ou d’autres lieux entre autres. L’acte de Sele Bride exige à la fois une somme de connaissances techniques et des compétences pratiques, tout en symbolisant plusieurs dimensions dans la culture populaire et les traditions ancestrales en Haïti.

Dans une forme imagée, la rentrée des classes coïncide également à ces deux opérations entre les parents et leurs enfants qu’ils préparent pour se rendre à l’école, le premier jour. Ces parents vont “Sele” leurs enfants avec des sacs remplis des livres, cahiers, plumiers, matériels et d’autres accessoires. Ensuite, avant le départ de la maison, ou en les déposant devant la porte de l’école, ces parents profiteront pour “Brider”, leurs enfants avec de nombreux conseils disciplinaires, de prudence et de sagesse, et sans oublier dans certains cas des menaces de sanctions de toutes sortes en cas d’échec scolaire pendant ou à la fin de la nouvelle année scolaire.

“Sele Bride” ou l’acte d’entreprendre au-delà des barrières sur la route ?

Depuis plusieurs décennies, ils sont nombreux les acteurs bien connus et actifs dans la société haïtienne civile (syndicats, partis politiques, opposants, militants, ou des enseignants entre autres) qui choisissent souvent n’annoncer des mouvements de grève, de manifestations et même de violence durant la première journée et semaine de classe. Contre toute attente, après de longues vacances parfois imposées aux familles et aux établissements scolaires, les enfants retournent en classe sous le signe de la peur capitale et du traumatisme persistant. Face à un pouvoir impuissant, de telles pratiques visent ainsi à sceller la peur dans les esprits des élèves et à brider chaque nouvelle année scolaire, par des grèves et des violences en cascades qui remontent depuis la fin des années 1985 jusqu’en 2025.

Dans les premières paroles prononcées par Dener Ceide dans la pièce musicale “Sele Bride”, on entend : “Mpral pran chans mwen, demen poum pa di mte gen devenn, sim pa chache mpap jwen.”. Mpral defan mwen, a sak nan menm granmet la ban mwen. Depi w chache fòm jwen. Menm gen wout poum janbe. Kafou m gen poum janm. Mwen konnen map rive.

Durant neuf à dix mois de classes, suivant le calendrier scolaire haitien, l’ensemble des membres du système éducatif, en particulier le personnel administratif et enseignant, les parents et leurs enfants sont appelés à prendre leur chance au quotidien, par les va et vient dans les villes, les rues et les bâtiments scolaires face aux risques de toutes sortes, les catastrophes naturelles, les violences des rues, ou encore les balles qui traversent les voitures, les toitures, les fenêtres ou les clôtures.

Dim kisa ki bon ki pa pran tan ?

Défendre les droits fondamentaux des enfants, et un meilleur avenir pour ces derniers, tel est le pari des parents qui continuent de croire dans l’éducation en Haïti. Qui a dit que tous les dirigeants à la tête des plus importantes institutions publiques, privés et internationales dans le pays, sont passés avant tout par la route de l’éducation ? Et c'est pourquoi les parents entendent contraindre leurs enfants vers cette voie.

De quel “Moun yo” parle-t-on dans la chanson “Sele Bride”, que les écoliers haïtiens devraient inévitablement prendre en compte ? “Moun yo, pa okipe moun yo, pa menm mezi ak moun yo”. “Moun yo, pa okipe moun yo, pap fe menm wout ak moun yo.”.

Dans chaque génération de nouveaux défis s'imposent, de nouvelles trajectoires voient le jour, et de nouvelles valeurs à cultiver s'invitent dans les conversations. Dans moins de vingt-neuf ans, en 2054, les jeunes écoliers et universitaires de nos jours, devraient par tous les moyens, “Sele Bride” leurs rêves face aux violences et les distractions en cours dans le pays. Ils doivent prioriser leur éducation et leur formation s'ils souhaitent assurer une meilleure place que celle de leurs parents dans l’avenir de ce pays.

Dommage pour les centaines et les milliers d'autres jeunes du pays qui continuent d’hypothéquer leur avenir, à force de tomber dans le piège de la drogue et de l'alcool, du banditisme et des crimes, des illusions de réussite et des apparences du luxe et des voyages à tout prix. Trop pressés de réussir à tout prix, nombreux d’entre eux sont partis trop vite et perdus à jamais dans rangs des groupes armés. Mirage de pouvoir, certains chefs de gangs, tout en disposant de fortes sommes d’argent en abondance, leur existence sont pourtant tristement scellés et leur avenir sont à jamais bridé.

“Dim kisa ki bon ki pa janm pran tan ?”, Une parole savante et inspirante. pourrait bien figurer parmi les nouveaux sujets de dissertation à proposer aux écoliers haïtiens. Cette phrase se propose également comme un message inspirant destiné à rappeler aux jeunes du pays la voix de la sagesse et de la patience. La chanson "Sele Bride" de Dener Ceide nous offre ainsi slogan fort, à inscrire parmi les citations visibles dans les salles de classe, les couloirs des écoles en Haïti.

Dominique Domerçant

 

 

 

 

 

 

 

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