Depuis son lancement en 2023, le Salon du livre de Port-au-Prince s’est imposé comme un rendez-vous culturel majeur, offrant un espace de rencontre entre auteurs, éditeurs et passionnés de littérature. Dans un contexte marqué par l’instabilité sociale et économique, l’événement réussit à maintenir son cap en valorisant la création littéraire locale et en donnant une visibilité particulière aux jeunes auteurs.
Voilà pourquoi à l’approche de sa troisième édition en décembre 2025, prévue avec un programme enrichi et la participation d’écrivains de renom, Emmanuel Pacorme, coordinateur général du Salon, revient sur la genèse du projet, ses difficultés, ses acquis et ses perspectives au micro de Mitchel Kewing ÉTIENNE pour le Journal Le National.
Mitchel Kewing ÉTIENNE : Depuis 2023, le Salon du livre de Port-au-Prince s’impose comme un rendez-vous culturel majeur. Alors quelle était l’idée de départ et l'importance accordée à cette initiative pour le pays ?
Emmanuel Pacorme : Nous avons lancé cette activité en 2023 dans l’objectif de créer un espace de rencontre pour les passionnés et les professionnels du livre. L’idée initiale était surtout d’encourager les écrivains et les artistes qui produisent à l’intérieur du pays. Depuis, le Salon est devenu aussi le leur : un lieu qui leur appartient et où ils peuvent s’exprimer.
M.KE : En quoi le Salon constitue-t-il un espace unique pour les jeunes lecteurs, auteurs émergents et passionnés de culture en Haïti, dans un contexte d’instabilité chronique à Port-au-Prince ?
E.P. : La particularité du Salon réside dans le fait que nous accordons une large place aux jeunes auteurs, ceux qui débutent et publient leurs premiers textes. Toutefois, nous restons ouverts aux écrivains confirmés, car l’événement se veut inclusif et fédérateur.
M.KE : Quels bénéfices concrets les écrivains et maisons d’édition ont-ils retirés de deux premières éditions ?
E.P. : Malgré la précarité de notre petit lectorat, les ventes ont été bénéfiques pour la majorité des auteurs. Mais au-delà des résultats commerciaux, le Salon est avant tout un lieu de rencontres et d’échanges. Il permet de créer des liens entre écrivains, éditeurs et lecteurs, et de bâtir ensemble un espace littéraire dynamique.
M.KE : Quelles ont été les principales difficultés rencontrées lors de l’organisation de deux premiers Salons ?
E.P. : Elles sont nombreuses. Le contexte social et sécuritaire n’a jamais été favorable. Tout le monde connaît la situation de violence dans laquelle la capitale s’enlise depuis des années, ce qui complique énormément l’organisation. En Ayiti, tout devient un effort constant d’adaptation. Ensuite, il y a la question cruciale du financement : l’État ne soutient pas l’initiative, et nous n’avons reçu aucun appui officiel.
M.KE : Comment les contraintes sécuritaires et économiques influencent-elles l’organisation d’un tel événement ?
E.P. : Elles agissent à plusieurs niveaux. Par exemple, elles limitent le nombre de participant.e.s : nous réunissons plus de 500 personnes à chaque édition, mais ce chiffre pourrait être bien plus élevé. Beaucoup d’auteurs de la diaspora souhaitent aussi participer, mais le contexte les en empêche. L’année dernière, par exemple, Evelyne Trouillot devait être avec nous ; à cause de tensions dans la capitale et de la suspension des vols, elle n’a pas pu venir. C’est une réalité : créer en Ayiti est difficile.
M.KE :Le financement reste un défi majeur pour ce type d’initiative. Alors qui soutient aujourd’hui le Salon du livre de Port-au-Prince ?
E.P. : Nous recevons du soutien logistique et promotionnel de la RTVC, de Jeunes Influenceurs, d’Entretien 2000, du Centre culturel Pyepoudre ou encore de Simon Publishing. Mais sur le plan financier, il n’y a pratiquement rien. C’est probablement notre plus grande menace : le Salon n’a pas de financement durable.
M.K.E : Avez-vous déjà approché l’État haïtien ou des partenaires privés pour obtenir des subventions ? Quelle a été leur réponse ?
E.P. : Oui, nous avons adressé plusieurs demandes de subvention, aussi bien au Ministère de la Culture qu’à certaines institutions privées. La plupart du temps, nous avons reçu des promesses non tenues, ou aucune réponse. On a l’impression que la culture n’est la priorité de personne.
M.K.E : Quelles formes de partenariat ou d’appui financier souhaiteriez-vous voir se développer afin de garantir la pérennité du Salon ?
E.P : Toutes les propositions sont les bienvenues. Nous sommes ouverts à la discussion, car le Salon du livre est un bien public qui mérite de perdurer. La culture et la littérature sont notre force, notre voix dans le monde. C’est pourquoi il faut soutenir toute initiative qui renforce la culture ayitienne et promeut nos écrivains.
M.K.E : Pouvez-vous nous présenter quelques profils marquants d’auteurs seniors qui ont participé aux précédentes éditions ?
E.P. : Nous avons eu le plaisir d’accueillir des auteurs comme Inéma Jeudi, Rachel Vorbe et Marc Exavier, qui ont marqué de leur présence les deux premières éditions.
M.K.E : À quoi doit-on s’attendre pour la troisième édition : nouveautés, invités spéciaux, orientation particulière ?
E.P. : Nous préparons un programme riche, avec des activités en prélude à l’événement, notamment des ateliers d’écriture et de lecture destinés aux jeunes et aux enfants. De plus, des écrivains de renom tels que Yanick Lahens et Gary Victor, connus du grand public, sont attendus.
Propos recueillis par : Mitchel Kewing ÉTIENNE
mitchelkewingetienne@gmail.com
Étudiante en Sciences Juridiques/ FDSE