Galerie diplomatique

Quand les diplomates haïtiens recevaient

C’est une vieille tradition de bien manger lors des négociations diplomatiques au point que beaucoup de pays font de bien recevoir un processus diplomatique à part entière. Certaines grandes négociations internationales se sont déroulées avec des mets particulièrement exquis, le tout consiste à séduire l’interlocuteur sous les formes et le dispositif culinaire tenait une place égale à la qualité des arguments pour convaincre l’adversaire de capituler en signant. 

 

N’est-ce pas Talleyrand, Ministre des Affaires étrangères français, très connu pour son opportunisme, qui résuma de manière très lapidaire ce mariage de la diplomatie et de la bonne chair « On ne fait pas de la bonne diplomatie sans bon déjeuner ». Le général de Gaulle, par exemple, faisait de la table française une tribune diplomatique, où chaque plat devenait un message politique et identitaire. La table de l’Élysée devenait un théâtre, où chaque convive recevait dans son assiette non pas seulement un repas, mais une leçon de souveraineté française, servie à la manière d’un grand chef.

 

La cuisine en diplomatie est l’antichambre par excellence de vanter la qualité d’un produit mais le tout c’est faire coïncider l’histoire, la gastronomie, la diplomatie, l’écriture. 

 

Pendant longtemps Haïti nommait des diplomates qui tenait compte de ces quatre paramètres tant et si bien que nous pouvions disputer à la France sans aucune complexe l’expression des écrivains-diplomates. 

 

Les prises de parole et mouvements d’Anténor Firmin qui portait une double casquette d’Ambassadeur plénipotentiaire en France et d’intellectuel reconnu de la société française d’anthropologie étaient largement scrutés et amplifiés pour diverses raisons, notamment du fait de ses charges, le diplomate maîtrisant bien son sujet. 

 

Lorsque Massillon Coicou fut chargé d’Affaires à l’ambassade de la République d’Haïti en France, il organisa chaque année trois réceptions. Le 1er janvier de chaque année, le 18 novembre, le 7 avril sans compter de réceptions de dégustation, essentiellement du café haïtien. À l’époque celui-ci se dégustait dans les chancelleries européennes avec frénésie. Et l’ambassadeur qui fut aussi homme de lettres organisait chaque 17 octobre quelque chose en l’honneur de Jean Jacques Dessalines. 

 

De nos jours le premier des Haïtiens ne fait plus recette dans nos missions diplomatiques. Celui qui avait changé le monde reste un inconnu pour nos jeunes haïtiens qui n’ont plus de modèle alors même que même Péralte le héros par excellence est dans les oubliettes de notre si belle histoire. 

 

La cuisine haïtienne à l’Élysée

Aujourd’hui, la cuisine d’un pays, au sens propre du terme, est devenue l’un des leviers diplomatiques les plus efficaces pour attirer les visiteurs. Trop souvent, certains pensent à tort que lorsque nous organisions des soirées culturelles à l’ambassade ou au consulat, où l’on dégustait des mets haïtiens, c’était simplement pour « donner à manger » aux invités. Non, bien au contraire : ces moments étaient soigneusement pensés pour éveiller la curiosité, susciter l’émotion, et surtout inviter à découvrir notre histoire unique, à travers les saveurs qui la racontent.

 

Aujourd’hui, si Saveur 509 ou encore Carline Irantus sont reçus à l’Élysée et dans d’autres institutions françaises en tant qu’ambassadeurs de la gastronomie haïtienne, ce n’est pas un hasard. C’est la preuve que la diplomatie culinaire haïtienne commence à se faire connaître et devrait jouer un rôle crucial dans une stratégie de rayonnement culturel et touristique.

 

Ce maillon essentiel d’une diplomatie proactive doit être reconnu, soutenu et amplifié : il ouvre des portes, crée des ponts, et surtout, il donne envie de visiter Haïti autrement, par le goût, par la culture, par l’émotion.

 

À l’ère des réseaux sociaux, séduire les touristes pour qu’ils viennent découvrir Haïti passe nécessairement par l’implication de nos compatriotes vivant à l’étranger ce que l’on appelle souvent le « Dixième Département ». 

 

Ce sont eux, bien souvent, qui portent fièrement notre culture, qui la racontent, qui la font goûter, voir, entendre. Ce sont eux qui, par leur influence, peuvent contribuer à redorer l’image d’Haïti, loin des clichés et des images réductrices.

 

Si, un jour, nos tuteurs encombrants et les colons d’intérieur acceptaient enfin de donner une véritable chance à ce pays, nous découvririons alors que nous avons des atouts extraordinaires, notamment dans le domaine culinaire véritable trésor d’identité, de mémoire et de créativité.

 

Notre gastronomie, portée par la diaspora, peut devenir l’un des piliers d’une diplomatie culturelle active, capable de transformer les perceptions et d’ouvrir les portes du tourisme durable.

 

Maguet Delva

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