Signée à la plume et imbibée dans l’encre de son cœur, la poésie de Aterson N. Sainval est une longue confidence que l’on murmure le soir dans le champ immense du silence. Crise de nerfs devant les aléas de la vie, il écrit des poèmes pour dire l’indicible, dessiner entre les lignes par des mots son émoi intérieur . Son poème Times Out porte les cris de son cœur blessé, c’est une sorte de décharge d’émotion brute déversée sur la page blanche, Times Out happe le lecteur dès le titre, il contient des vers raciniens où git l’étreinte d’un amour oublié et qui résonne comme une plainte,des sanglots refoulés, des soupirs Une sorte de degré zéro de l’écriture pour le poète, dont la mise à nu, au fil du poème, est totale et sans concessions.
Le poème Times Out s’impose comme une litanie, une rengaine mélancolique qui installe aussitôt le lecteur dans l’atmosphère trouble d’un bar, lieu de naufrages, d’échanges inaboutis et de rencontres inassouvies. Deux êtres cabossés s’y croisent, chacun portant ses fardeaux, et transforment, le temps d’un instant suspendu, l’alcool, la fatigue et la douleur en un éblouissement amoureux.
L’écriture brute et lyrique épouse cette intensité : les images, violentes parfois, ouvrent pourtant à une vérité nue celle d’une passion qui se consume en se donnant. Aterson N. Sainval apparaît ici comme un poète des « temps morts », écrivant dans l’entre-deux de la vie, là où l’amour et la mort s’entrelacent, où le vacarme du monde s’éteint pour laisser place aux éclats d’un cœur trop vivant.
Le poème n’est pas un récit linéaire, mais une déchirure. Fantôme de l’amant oublié, fermeture de la femme aimée, silence qui succède au feu : autant de signes que l’extase doit céder devant l’absence. Pourtant, le poète ne renonce pas. Sa voix, tendue entre douleur et création, affirme que la seule victoire possible est de ne pas se taire.
Avec Times Out, Sainval donne à lire un amour qui brûle plus qu’il ne réchauffe, une passion qui détruit autant qu’elle élève. Ce paradoxe fait sa singularité : transformer les « temps morts » en matière vive, en éclats d’existence, en photos usées et en vérité humaine. Le National publie pour ses lecteurs l’intégralité du poème
Times Out
Bar des morts en sursis,
Lieu du premier choc
Regard contre regard,
Et mon cœur, cette charogne d’éponge imbibée d’alcool,
A cru qu’il était un Dieu,
En te voyant.
Tu es venue comme on cogne,
Un sourire en vrac, deux enfants dans le dos,
Et moi pareil, un père à moitié cassé
Qui boit pour faire taire le vacarme de vivre.
Tu as bu ton stress, j’ai bu ton âme.
Et la nuit nous a recrachés… amoureux.
Comme deux chiens fous liés par une laisse de flammes.
On s’est jeté dans l’amour
Comme des fous dans un incendie.
Sans question, sans pourquoi.
Tu avais un mari fantôme,
Je n’étais qu’un corps qui t’écoutait respirer.
Et toi, tu me touchais
Et la terre tremblait de plaisir sous mes pieds.
Mais le fantôme est revenu.
Et toi, tu t’es changée.
Tu t’es fermée comme une plaie propre.
Tu m’as imposé une pause
Comme on impose la mort à un papillon en plein vol.
Et moi, con de moi,
Je continue de t’aimer
Dans le vide, dans l’absence, dans l’interdiction.
Tu étais toute :
Ta chair, ton dos, ta voix de flamme,
Ta tête bien faite, ton caprice,
Ta folie que j’avalais sans mâcher.
Et maintenant tu es silence.
Tu es pause.
Tu es absence criarde.
Mon cœur ?
Ce torchon de merde qui continue de battre,
Qui comprend trop vite,
Qui chante toutes les chansons
Même quand elles lui cassent les côtes.
À quoi ça sert ?
À quoi ça sert ce foutu cœur
Qui ne sait que perdre ?
Qui se relève chaque nuit
Comme si le jour ne l’avait jamais trahi ?
Tu étais mon théâtre.
Et moi ton Artaud,
Ton fou, ton corps sans organe,
Ton poète de la blessure.
Maintenant je crie
Pas pour que tu reviennes,
Mais pour ne pas me taire.
Aterson-N Sainval, dit Dade, né à Petit-Goave le 21 mars 1996 est poète, comédien, Journaliste, opérateur culturel, juriste et écrivain haïtien. Il est l'auteur de Pages noires de vers Imprécis , et Je t’écris avec la nuit dans mes mains .
Schultz Laurent Junior