Fin de TPS et l’arme du terrorisme : Comment est fabriquée l'insécurité des Ayitiens, imposée l'exclusion et perpétuée l'impérialisme criminel

0
488

(Troisième partie)

Par : Kenny THELUSMA

Lire la première partie

Lire la deuxième partie

III. Attaque contre la souveraineté ayitienne ou planification de la relocalisation des interventions meurtrières 

3.1. La désignation d’Ayiti comme État terroriste dans la rhétorique sécuritaire des États-Unis 

Cette désignation d’Ayiti sur la liste d’interdiction d’entrée en partant par  la classification du pays comme « État à groupes armés terroristes » ne se limite pas à une simple terminologie ou phraséologie vide de conséquence. Si tant est que l'annonce de l'interdiction (du 5 juin 2025) soit liée à l'attentat du Colorado, bien qu'aucun lien avec Ayiti ne soit établi. Ce cadrage démontre comment le régime d’extrême droite de la classe suprématiste et raciste exploite la peur pour justifier des restrictions migratoires et faciliter la reconfiguration des interventions meurtrières tant étatiques ou mercenariales (Cf. Anne Toulouse, 2024 ; Alain Roy, 2025).

 Faisons-nous cette hypothèse que le temps permettra de confirmer. Car, du point de vue performatif, et diplomatique, dans l’acte de langage, le fait de dire même, par celui ou celle qui est investi de pouvoir dans des situations pour agir, l’acte de parole ou de langage au sens large est action, action au sens communicationnel, qui implique un rapport de sens et d’enjeux de compréhension des enjeux en jeu. Car comme le soutenait J. L. Austin (1970) ainsi que Pierre Bourdieu (2001), l’acte de langage politique, diplomatique et géopolitique a des effets symboliques, juridiques et politiques qui dans cette conjoncture seraient relever très graves. L’acte d’ « étiquetage terroriste » permet aux États-Unis de geler des avoirs, de surveiller ou d’arrêter des citoyens ayitiens à l’étranger, d’imposer des restrictions de visa massives, ou d’interdiction de déplacement ou de fouler le sol étatsunien ou d’appliquer une politique migratoire ultra-répressive, raciste et inégalitaire, d’où le refus généralisé du droit d’avoir des droits aux ressortissants innocents et irréprochables des pays étiquetés, notamment Ayiti. 

3.2. Des crimes de rançonnage de l'Occident à la stigmatisation de la nation ayitienne

Cette décision d’étiquetage terroriste incrimine toute une série de nations qui, pourtant, sont des victimes en majeure partie de la domination occidentale centrée. Et, en ce qui concerne particulièrement le cas d’Ayiti, depuis le début de la modernité impérialité colonialité extractiviste, de 1492 à aujourd’hui, ce territoire a déjà été génocidé, pillé, esclavagisé, et rançonné par divers États occidentaux tels que : [(entre 1825-1947) par la France 150 réduits à 90 millions de franc-or + agios = entre $ 25 à 115 milliards, en  valeurs actuelle], [(en 1861), par l’Espagne 25 milles piastres], [(en 1872) par l’Allemagne $ 15 milles],   [( en entre 1876 à 1887) par l’Angleterre $ 32 milles], [(en 1897) par l’Allemagne encore $ 20 milles], [(entre 1897-1905) par la France encore $ 42 milles], [(17 décembre 1914) par les États-Unis 500 milles dollars-or (voir Martha Gilbert, 2025, en ligne).

Ces 7 grandes rançons, extorsions, exactions, crimes financières et autres crimes anthropologiques, patrimoniaux culturels (Françozo et Amy Strecker (2017), crimes écologiques (Lucile Maertens & Adrienne Stork (2018)), linguistiques (Guylène Romain (2020, pp. 435-461 et passim), Fernand Léger 2020, pp. 2-28 et passim)… contre les tayinos et la nation ayitienne durant les deux derniers siècles de son histoire nationale et ré-indépendante témoignent malgré tout très difficilement les quantités et qualités d’autres crimes impensables et impensés que cette nation innocente a été victime et encore elle subit les conséquences sur le long terme en des formes les plus diverses, notamment sous une forme migratoire.

Tous ces crimes sont imposés par le fait que la population de ce pays a été qualifiée, par les empires occidentaux européens et étasunien, comme la « colonie d’esclave de réserve » du capitalisme pour reprendre l’expression de Marx, donc une population de mains d’œuvre à bon marché, et ceci, depuis le début de la l’époque impériale et coloniale dite moderne ou de la division internationale du travail, fabriquée par la violence et la terreur du capitalisme naissant, raciste, esclavagiste, extractiviste occidentalocentré (Aníbal Quijano, 2000a et 2000b).

 Une nation tayino, africaine ayitienne colonisée et colonialisée, occupée et appauvrie, insécurialisée et désolationnisée, qui pis est terrorialisée mais considérée comme actrice de la violence et du crime dont elle est pourtant la victime. C’est dans ce processus d’incriminalisation de la victime et de l’innocencement du criminel que réside la spécificité « du mythe de la modernité », pour reprendre Enrique Dussel (1992).

3.3. Traduction de la victime en coupable ou le « mythe de la modernité » imposé à Ayiti

Le concept de « mythe de la modernité » a été pensé notamment chez le penseur  abya yala, philosophe et historien Enrique Dussel (1992, pp. 5-174 et passim). Le « mythe de la modernité » est à comprendre dans le cadre de la discussion contre la « vision dominante et eurocentrée » qui veut s’accaparer de la faculté de dénomination, de toponymie (Wolfgang Reinhard, 2017, pp. 1296-1308 et passim) et de critique depuis le point d’énonciation européen ou occidental. 

Apparaît-il déjà le côté sombre et mythique de la modernité dans l'auto-légitimation de la domination telle qu’elle a été historiquement pensée par Ginés de Sepúlveda lorsque ce dernier a écrit et publié en 1550 à Rome, le fameux texte titré De la justa causa de la guerra contra los Indios. Un livre de justification conçu pour justifier la violence, la guerre, la destruction, donc la domination et le pillage systématique des richesses des Autres autochtones, des altérisés du continent Karayib-Abya Yala (Tayino, Kalinago… Arawak, Aztèk, Iwokwa, Mapoutche) par les colons Européens (Espagnol, Portugais, Italiens…)

La discussion décoloniale dussellienne s’appuie sur la critique lascasasienne contre la « nouvelle vision dominante de la modernité » telle qu’elle a été pensée par Sepúlveda en 1500 ou telle qu’elle est remaniée aujourd’hui par Jürgen Habermas (1985). Ce dernier conçoit la « Colonisation » (Kolonisierung) du monde de la vie (Lebenswelt) que dans le registre du discours occidentalocentré, métaphorique, eu égard aux victimes faites hors du bloc d’auto-légitimation. Donc un renouvellement de la justification de la vision dominante de la modernité teintée de critique mais encore eurocentrée de plus en plus profonde et discrète (Boaventura de Sousa Santos, 2011).

En cela, Enrique Dussel eut à préciser le caractère réel, vécu et subi par les populations Autres, altérisés sous les coups historiques de la domination, impérialisation, colonisation, et colonialisation de la modernitécoloniale et de la modernisation-forcée. Caractère réel tel que historiquement cette violence et terreur a été perfusée par l’Européen contre les peuples abya yala (caraïbéen, mexicain, vénézuélien, bolivarien…ou des peuples d’Afrique, d’Asie et d'Océanie).

Ainsi Dussel soutient-il que, puisque la rationalité (du conquistador) du Colon conquéreur considère l’Autre de par sa culture comme « inférieur, grossier, barbare », sujette à une « immaturité » coupable. Alors que du point de vue du penseur qui justifie la modernité depuis son centre discursif occidentalocentré,  « la domination (guerre, violence) [qui est] exercée sur l’Autre est en réalité », émancipation, « profit », « bien » du barbare qui devient civilisé, qui se développe, qui se « modernise ». Ici est résumé la logique d’auto-justification de la modernité, du point de vue de la de la rationalité conquérante.

Dans ce contexte de justification idéologique, Dussel nous appelle à comprendre le « mythe  de la modernité » comme les structures de justification et d’exécution de la domination impériale et coloniale raciste et extractiviste (de pensée, de l’action) consistant « à faire de l’Autre, de l’innocent, une victime en le déclarant cause coupable de sa propre situation de victime, tandis que le sujet moderne s’attribue d’une totale innocence par rapport à l’acte de violence. De ce fait, la souffrance du colonisé, du conquis (du sous-développé) sera interprétée comme le sacrifice ou le coût nécessaire de la modernisation ». Ainsi, « la même logique est à l’œuvre depuis la conquête de l’Amérique latine jusqu’à la guerre du Golfe », 2 août 1990 – 28 février 1991 – « dont les victimes ont été les peuples indigènes et de l’Irak » (Enrique Dussel, 1992, pp. 69-82 et passim).

Dès lors, l’on voit clairement que l’arme le plus habile utilisée par l’oppresseur, l’empire, celui qui se croit centre, moderne impériale et colonial et maître du monde ne fait que étiqueter d’abord l’Autre altérisé, donc le convertir, puis le transformer de « victime en son propre bourreau ». De même, comme cet étiquetage est imposé à la nation ayitienne, il ne fait qu'en empêcher aussi bien qu’aux autres nations étiquetées de prendre en main leur propre destin et d’avoir leur place mérité dans le concert des nations du monde.

En qualifiant ainsi leurs problèmes internes et externes, qui sont en majeur partie le résultat de formatage depuis l’extérieur, causés par des pays affichant un comportement raciste et néo-colonialiste, le Travel ban, ne fait qu' enlever à ces nations notamment à l’État ayitien toute légitimité à gérer ses affaires, car à la population, on y enlève le droit d'avoir une migration respectueuse des droits des peuples. Autrement dit, on met en veilleuse la philosophie DWA MOUN, TOUT MOUN SE MOUN, qui témoigne du respect qu'il a toujours su gardé afin de protéger les Damnés de la terre, notamment dans les moments de grandes désolations. Qui peut oublier lorsque les États totalitaires de l’Europe génocidaient les juives et les juifs, Ayiti a été une terre d’accueil ?

En cela, cloisonner tous les ressortissants d’Ayiti à payer le prix d’un crime dont les États-Unis ont été les instigateurs contre la nation ayitienne — laquelle est pourtant la victime qu’on cherche à transformer en une simple spectatrice de décisions prises ailleurs, dans des capitales étrangères qui ne tiennent compte ni de son histoire longue, ni des enjeux liés aux politiques du chaos, aux ajustements économiques et politiques imposés, ni des politiques publiques internationales formatées pour empirer et désoler un peuple qui, depuis le début de la modernité criminelle, a tant souffert — est, sans conteste, tend vers la marche finale. Celle-là même qu’on a appliquée aux innocents Juifs et Juives dans l’Europe totalitaire, causant plus de 6 millions d’exterminés entre 1939 et 1945.

Aujourd’hui encore, les Ayitiens, comme les Palestiniens, les Soudanais, les Afghans, les Yéménites, les Congolais de Brazzaville, les Tchadiens, les Guinéens, les Érythréens, les Iraniens, les Libyens, les Somaliens et les Birmans, ou Ukrainiens, tous dominés, génocidés, et rendus dépendants aux chaînes de l’impérialisme — notamment occidental et étasunien — ne peuvent plus tenir. Se twòp atò, enough is enough, trop c’est trop !

 

Auteurs :

Kenny THELUSMA

kennythelusss@gmail.com

Formation : Communication sociale/Faculté des Sciences Humaines (FASCH/UEH)

&

Jean Kenley BIEN AIMÉ

Jeankenleybienaime902@gmail.com

Formation : Relations Internationales/Institut National d’Administration, de Gestion et des Hautes Études Internationales (INAGHEI/UEH)

&

Elmano Endara JOSEPH

joseph.elmano_endara@student.ueh.edu.ht

Formation : Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/Cesun Universidad, California, Mexico, Sciences Juridiques/FDSE, Communication sociale/Faculté des Sciences Humaines (FASCH/UEH)

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES