Dans l'audience Sentaniz de Maurice Sixto, il y a deux scènes qui montrent un côté ringuard de l'Haïtien. En effet, quand la mère de Chantoutou demande à Sentinaz un rapport sur la poubelle de la voisine et les commentaires sur la robe de sa fille qui est à l'école, il faut comprendre le besoin d'ostentation et d'exhibition même pour la consommation des produits de première nécessité oppose les gens pauvres et de la classe moyenne dans une compétition, où l'enjeu est la petitesse et la mesquinerie. Ce comportement d'arrivisme primsautier est aussi remarquable chez madame Boyotte dans le roman Zoune chez sa nainnainne. Ou dans l'œuvre dramatique «Pèlen tèt» du feux Frankétienne, qui montre les travers de l'âme haitienne dans le personnage grotesque et réaliste Polidò qui a migré vers une société de production et de consommation. Albert Buron ou Sonson Pipirit seraient aussi exceptionnels pour décrire ces habitus sociaux qui traduisent cette double misère matérielle et spirituelle chez le consommateur assoiffé de plus, et manquant toujours du moindre. La faim dans une économie d'importation de produits alimentaires aux prix exorbitants, la nudité dans un environnement saturés de vêtements usagés (pèpè), l'indigence immobilière d'un pays aux architectures du chaos offrent l'occasion de voir tristement un haïtien qui habite des lieux de socialité et de sociabilité carencière des normes civiques et morales, où manquent la nourriture, les vêtements, les logements. Et l'absence des industries de production de certains biens de consommation donne une obsession qui va jusqu'à une schizophrénie sociale pour la distinction et un besoin de préséance qui jettent les pauvres dans des convoitises maladives. Comment peut-on espérer résoudre cette crise de l'identité et de la personnalité chez le consommateur haïtien, qui est l'expression d'une absence du confort, et qui fait illusionner aux plus démunis que manger, s'habiller, se loger sont essentiellement du luxe et doivent être des comportements privilégiés, desquels il faut exclure ceux et celles qui ne sont pas de notre classe sociale, ou simplement les nôtres?
La politique, après l'épopée de Vertières et le paiement honteux d'une indemnité en or équivalente aujourd'hui à la somme de 21 milliards de dollars US, est devenue pendant la période nationale haitienne une lutte de performance pour affirmer des appétits mesquins et des avarices pharaoniens. L'enrichissement par le pouvoir politique est devenu une accoutumance qui a créé la pauvreté et l'exclusion de la majorité dans les sphères de la consommation des technologies et des conforts de la modernité. Car, la politique n'a jamais été pratiquée avec la vision et l'esprit de service communautaire qui auraient permis l'atteinte des buts suprêmes que les philosophes grecs ont défini pour signifier ce comportement consubstantielle à cette nature humaine que Aristote nomme "naturare homo politikon". Aussi, la société haïtienne a souvent présenté une écologie socioéconomique qui n'est pas caractérisé par le conformisme et le consumérisme du siècle de la modernité technicienne. Dans le 19ème siècle de Justin Lhérisson, le comportement de madame Boyotte peut s'expliquer par l'exclusion d'Haïti dans la révolution industrielle que connaissaient l'Angleterre, la Hollande, l'Allemagne, la France qui furent des anciennes métropoles esclavagistes, et les Etats-Unis en Amérique. Cependant, celui de l'aubergiste désobligeante de Sentaniz s'affiche illégitimement dans une moitié de 20ème siècle haïtien qui fut marqué par 19 ans d'occupation militaire imposée par une société américaine en pleine hégémonie industrielle et commerciale.
Tandis que Haïti exportait les matières premières pour la production textile des industries vestimentaires et les industries d'automobiles( pneumatique) des Etats-Unis, l'économie haïtienne n'a jamais développé ses industries dans ces domaines. Aussi, les vêtements et les voitures les plus commodes et accessibles aux simples citoyens américains demeurent encore au 21ème siècle des objets luxueux qui font naitre les aigreurs, les jalousies, et les convoitises dangereuses qui peuvent conduire parfois au vol à main armée et à des formes de filoutrie pittoyables chez une jeune en mal d'intégration à la modernité. Et pour comprendre l'expression de cette forme pathologique de la passion égalitaire, il ne faudrait pas se référer aux effets de l'industrie publicitaire dans les sociétés de production et de consommation, où les gens sont suggérés d'adopter des comportements qui ne garantissent pas uniquement la satisfaction des besoins utilitaires, et dans une logique d'entrainement qui visent aussi une ostentation justifiée par le niveau de productivité et la diversité des biens.
Les habitudes de consommation alimentaire dans un pays qui est dépourvu des grandes fermes agricoles et des industries agro-alimentaires ont transformé des supermarchés et quelques restaurants de fast-food en des endroits d'exhibition et de voyeurisme chez des gens des classes populaires et de la petite bourgeoisie qui se disputent les comportements de rôle qui justifient qu'il n'y a pas une classe de riches caractérisée par ce que Bourdieu appelle la distinction. Donc, quand manquent la nourriture, les vêtements, l'école, le logement, ou les simples produits du confort aux pauvres et au moins pauvre des strates sociales de transit pour une singulière mobilité ascendante, on devine que les riches ne se peinent guère pour se donner des salles de théâtre, de concert, des musées, et des instruments artificielles pour afficher leur ostentation pour le luxe et le lustre. C'est pourquoi le marché de pacotilles (pèpè ki se fatra blan fin mete, men nou oblije achte pou nou fè chèlbè) représente un grand facteur des enjeux de la compétition entre les familles et les jeunes des quartiers à grande précarité économique, et où l'inculture reste un opium qui crée des illusions consuméristes.
Cheriscler Evens
Professeur et journaliste
Pour entrer dans une culture de la modernité technicienne!
