Mise en contexte
L’élection est au cœur de tout régime démocratique. Elle offre au souverain, sur la base des programmes soumis à son appréciation, la possibilité de désigner celles et ceux qui doivent conduire les affaires publiques selon un cadre légal préétabli. Fondé sur le principe d’égalité politique, « un(e) citoyen(ne), une voix », le processus électoral vise à assurer le renouvellement pacifique du personnel politique, garantissant ainsi la continuité de l’État.
De son intégration dans la vie de la cité jusqu’aux pays récemment passés d’un régime dictatorial à une démocratie, l’élection impose aux candidats et des partis politiques, à bien des égards, de mobiliser des moyens pour convaincre de l’impact positif futur de leurs programmes sur le destin des habitants de l’espace géographique ciblé. Deux éléments fondamentaux demeurent dès lors incontournables : le temps et l’argent. Si le premier est à la disposition de chacun, l’effort requis pour obtenir le second confère, assez souvent, un pouvoir particulier à ceux qui en disposent sur ceux qui en ont besoin pour briguer un poste électif, pouvant influencer la décision de l’électorat.
Cependant, toute obtention de ressources suppose une obligation de rendre des comptes. Dans un contexte électoral, il s’ensuit la nécessité de veiller au respect de l’égalité des chances, dont l’État se porte garant. De là découlent les cadres juridiques sur le financement politique adoptés dans de nombreuses démocraties contemporaines. C’est ainsi que l’exigence de transparence répond à un principe fondamental. En effet, le citoyen doit pouvoir connaître les sources de financement des acteurs politiques, ainsi que la manière dont les deniers reçus sont dépensés. Cette vigilance, légalement garantie et encouragée, n’est pas synonyme d’absence de contrecoup.
À titre d’exemple, en France, pays où le financement de la vie politique est un exercice très encadré, la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP) avait relevé plusieurs irrégularités dans les comptes de campagne de La France insoumise (LFI) lors de l’élection présidentielle de 2017, conduisant à des controverses publiques (Bulant, 2018). Plus récemment, la justice française a rendu son jugement dans l’affaire relative au financement présumé de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 par des fonds libyens (France 24, 2025). Ces affaires illustrent que des financements illégaux peuvent traverser des dispositifs institutionnels avancés.
En Haïti, l’axe privé du financement des campagnes électorales présente des caractéristiques particulièrement questionnables. À cet effet, l’année 2016 marque la dernière mobilisation financière permettant l’accès au pouvoir par voie électorale. Toutefois, pour savoir qui avait charmé les détenteurs des pièces sonnantes et trébuchantes du pays lors de cette campagne, il fallait lever la tête et observer quels visages de candidats remplaçaient les produits et services des entreprises commerciales sur les carrés des billboards, ou encore scruter les manifestations avec le plus de maillots flanqués du logo des partis politiques. Autrement dit, les affiches géantes et les distributions massives avaient servi d’indicateurs de financement, en lieu et place des rapports financiers demandés par l’organisme de gestion électoral (OGE).
Un fait marquant fut la distribution de produits de toutes sortes par le candidat à la présidence du parti politique PHTK, Jovenel Moïse, après le passage de l’ouragan Matthew, dans un contexte où l’État n’avait pas encore réagi (HaitiLibre, 2016). Pour amplifier le coup politique, le parti impliquait les candidats locaux (Pierre, s.d.). Au-delà des rumeurs, aucune information claire n’a été fournie sur la provenance, la nature ou le mode de financement de ces opérations. Questions essentielles restées en suspens :
Comment les intervenants ont-ils été rémunérés ?
S’agissait-il de dons ?
Les ressources engagées provenaient-elles de fonds propres du candidat ?
On se souvient d’un temps où il fallait, dit-on, un « laisser-passer » pour faire campagne dans certaines agglomérations. Sans un appel ou un accord négocié avec les « têtes de pont », y pénétrer pouvait très mal se terminer – situation qui explique, en quelque sorte, la réalité des zones rouges dans le paysage électoral haïtien. Aujourd’hui, la situation est aggravée par la montée des groupes armés dirigés par des chefs de gang. Selon le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) (2023), près de 90 % du territoire national serait sous leur contrôle. Ces acteurs criminels affichent désormais publiquement une capacité financière susceptible d’influencer la compétition électorale, allant jusqu’à évoquer ouvertement leur soutien à certains potentiels candidats. Cela soulève des questions:
Qui empêchera un chef de gang de protéger les intérêts de son candidat ?
Qu’est-ce qui peut empêcher l’argent des gangs armés d’infiltrer la prochaine campagne électorale contre des promesses inavouées et inavouables ?
LE PROJET DE DÉCRET ÉLECTORAL DU CEP PRÉSIDÉ PAR JACQUES DESROSIERS
Le tout dernier projet de décret électoral, rendu public le 30 octobre 2025 par le Conseil Électoral Provisoire (CEP), dans sa partie traitant du « Régime de financement et campagne électorale », prévoit deux sources de financement, publique et privée (art. 183 et 189), fixe les moyens par lesquels les montants reçus doivent être effectués (art. 195) et établit les plafonds de dépense (art. 195). En outre, les partis politiques ayant des candidats agréés doivent transmettre au CEP un rapport financier détaillé des subventions, des dons reçus et des dépenses, signé par un comptable agréé, dans le délai de trente jours après la publication des résultats officiels (art. 197). Pour tous les contrevenants à ces dispositions, le décret prévoit également un régime de sanctions (art. 199). Cette dernière exigence figure dans tous les textes récents régissant les activités électorales en Haïti, mais elle est rarement appliquée. Pour les élections de 2016, après le délai légal prévu, le CEP avait dû relancer les candidats et partis politiques pour soumettre leurs rapports financiers (Geffrard, 2017).
Pire, les rapports financiers des dons et subventions publiques passés ne figurent pas parmi les conditions d’obtention de nouvelles subventions publiques. Autre ombre au tableau, la méthode de calcul pour déterminer les montants des subventions et les plafonds de dépense n’a pas été partagée (art. 198). Ces chiffres paraissent donc forfaitaires, ce qui remet en cause l’esprit de transparence que le CEP se doit d’incarner. Outre l’absence de tout mécanisme d’évaluation des dons en nature, le projet de décret ne prévoit aucun dispositif de validation des bilans financiers signés par les comptables agréés, qui travaillent en réalité pour les partis politiques.
Admettons que le CEP refuse d’empiéter sur les prérogatives des organes de contrôle de l’État (BAF, ULCC, UCREF, DGI, etc.) et s’en remette au professionnalisme des comptables agréés (Desrosiers, 2025). Empêcher l’accès au pouvoir à tout candidat illicitement financé reste et demeure l’objectif. Saisir ces institutions en cas de financement douteux ne risque-t-il pas de perturber gravement le calendrier électoral en cas d’invalidation d’un élu ?
Le régime de sanctions prévu ne sera-t-il pas nul et non avenu si aucun candidat ne se plie à l’obligation de dépôt de bilans financiers détaillés dans les délais prévus ?
PROPOSITION
Pour éviter toute suspicion ou perception de provenance malsaine des fonds et disposer de bilans financiers détaillés validés à la fin de la campagne électorale, nous préconisons, en complément des garde-fous déjà prévus dans le projet de décret électoral, ce qui suit :
• L’instauration d’une période spécifique consacrée à la recherche de financement, marquant le début de la période préélectorale. Cette période aura pour objet de permettre aux autorités de contrôle de disposer d’un délai suffisant pour vérifier la provenance des fonds.
• L’ouverture, dans une banque de la place, d’un compte de campagne unique « à solde créditeur » pour chaque candidat (du président aux ASEC) et chaque parti, clairement identifié, par lequel transiteront toutes les recettes et toutes les dépenses électorales du candidat ou du parti politique. Un mandataire financier autorise et justifie chaque opération. Dans le respect des plafonds de dépenses fixés, ce compte peut être alimenté par un emprunt bancaire ou par des fonds propres (CNCCFP, 2025).
• La création, au sein du CEP, d’un bureau chargé de signaler sans délai aux organismes de contrôle de l’État toute anomalie susceptible d’affecter négativement la production des bilans financiers détaillés.
• L’obligation pour les chefs de campagne de soumettre au CEP les activités et le calendrier des événements engageant des dépenses.
• La mise à jour quotidienne des comptes de campagne.
• La validation obligatoire des bilans financiers détaillés des partis politiques et des candidats, comme condition préalable pour apparaître sur les bulletins de vote.
En guise de conclusion, le recours aux technologies modernes (API) et à une équipe proportionnée au nombre de candidats permettra au bureau mis en place au sein du CEP, chargé de la traçabilité des dépenses et de la vérification des justificatifs, d’exercer un contrôle strict des comptes tenus par les mandataires financiers, afin de produire, à l’issue de la période pré-électorale, des bilans financiers détaillés et validés pour chaque candidat et chaque parti politique.
Eud Raymond Altimé
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Bulant, M. (2018). Des comptes de campagne de Mélenchon détaillent les anomalies reprochées au candidat. BFMTV.
Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. (2025). Guide à l’usage des candidats aux élections et de leur mandataire.
France 24. (2025). Financement libyen : condamné à cinq ans de prison, Nicolas Sarkozy sera bientôt incarcéré.
Geffrard, R. (2017). Financement de la campagne électorale : le CEP demande des comptes. Le Nouvelliste.
HaitiLibre. (2016). Le Gouvernement complice de distributions humanitaires partisanes.
Pierre, J. (s.d.). Gogo te kandida anba PHTK.
AlterPresse. (2023). Criminalité : le RNDDH appelle l’État à cesser d’alimenter les gangs en armes et munitions en Haïti.
AlterPresse. (2017). Des secteurs appellent le CEP à épurer la liste des candidats à la présidence.
Conseil électoral provisoire. (2025). Projet de décret électoral.
Desrosiers, J. (Invité), & Bonhomme, M. L. (Animatrice). (2025). Invité du jour. Radio Vision 2000.
Correction effectuée à l’aide de Reverso (Correcteur d’orthographe, AI). (2025).
