Résumé
Ils ont rouvert la Cour, mais non la conscience. Sous les lustres, les mots se parent d’autorité ; dans les rues, la misère se dénude comme exploser la nudité de Madan Kolo. Mille décisions proclamées. Mille illusions confirmées. Ça. Une nouvelle année. La même équipe. L’injustice, ici, n’est plus l’exception, mais la norme d’un théâtre d’État. La justice psalmodie ses arrêts comme un poème de cire de Jules Chanlatte : sans chair, sans souffle. Pendant que la loi respire à peine, les armes, elles, prononcent leur verdict, leur peine. Et la transition, ce vieux mot d’ordre recyclé depuis 1987, promet encore sécurité, relance, élections — les trois mirages d’un pays en quête d’un droit qui ne récite plus, mais agit. Ce papier mâché est un coup de fistibal en bouche pleine, orienté vers les museaux du renard.
Mise en contexte
La justice haytienne a rouvert ses portes dans une atmosphère de solennité feinte, sous les oripeaux de la tradition républicaine. À la Cour de cassation, les toges se succèdent, les discours s’enchaînent, mais le réel s’effondre derrière les symboles déculottés. Dans un pays où les juges s’expriment en sentences pendant que les balles dictent la loi, la cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire 2025-2026 sonne comme un écho creux dans les moustaches de Nègre Marron : la justice parade, mais ne soigne plus la plaie nationale.
Bullshéité
Ils ont rouvert la Cour, sans rouvrir la blessure. Alors que l'hémorragie continue. Les chirurgiens de la sentence, siègent. Belles robes. Mêmes toges. Même discours. Même illusion. Au Champ-de-Mars, l'un a parlé de priorités. L'autre, de rendement. Les autres, de performance judiciaire. Mais dans les quartiers populaires contrôlés par les agents doubles du terroir de l'économicide géostratégique des pays qui portent sur leur dos le panier de l'ordre économique mondial, on parle d’exécution, d'épluchement, de balles sou do pye, ou de kankannen ou bien d'exécution sommaire, syntaxique. Leurs mots sont beaux. Mais ils ont bullshétisé la parole. Pigeons. Pognons. La justice en Ayiti ne marche plus, elle récite. Elle troque ses pas. C'est récital. Elle s'auto-cite pour mieux s’annuler. Sous la poussière des arrêts. Bref arrêt! La séance est levée. Huis clos. La Loi respire à peine. Ça en vaut la peine. Les gangs armés récitent leurs peines. Eux aussi. Et puis, la loi est dure, mais c'est la loi, mon ami.
Me Jean-Joseph Lebrun a vanté mille décisions rendues, lundi. Mille, l'un dit. Mais, l'autre répondit, combien compris ? Combien exécutées ? Ainsi comprend-t-il que mille gouttes d’eau dans un désert de sang. Sans péché. Alors gros péchés. Les mères porteuses courent, par-ci par-là. Les adolescentes oublient leurs culottes. Leurs soutiens-gorges abandonnés dans l'antichambre de l'autre qui donne le ton. Dans les camps. Leur sac d'école n’existant plus. La justice est coupable et innocente. Alors capable, dirais-je. Capable d'assurer l'égalité devant la loi. Ça va. Ça vient. Faut-il être patient? Ici, l'injustice, n’est plus un accident mais une habitude. La justice, un cérémonial du manque. Un théâtre où la vérité est hors scène. Et puis, tout baisse le nez à la douceur du bullshit, tranquille ou fragile, comme il le souhaite. Dans sa culotte. Pas d'anarchie ni de barbarie. La loi est prescriptible. On y retourne. On jugera les coupables. Même les fous-rires le savent. Et puis, la transition se transite vers une autre transition plus énergétique. Trois principales priorités : Sécurité, relance économique et élections. A juste-titre. Pour l'histoire et pour le pouvoir.
Contre-justice
Quand l’État abdique, la peur devient juge. Et le chef de baz, législateur de ses propres sottises, s’enrichit. Il goûte les émoluments du pouvoir. L’opulence de l'argent officiel. Dans les zones sans drapeau, la justice a changé de visage. Elle est rose. Parfois rouge. Elle n’a plus de robe, mais des cicatrices. Elle n'est plus la femme aux yeux bandés, mais celle qui porte des lunettes sur son nez. Elle n’écrit plus, elle frappe. Et très fort. Elle ne plaide pas, elle tranche. Avec sa verge orientée vers les quartiers populaires. Justice expéditive. Barbarie. Mais opérante. Blessante. Leur code, leurs armes? Leur espace pénitentiaire, une ou deux balles. Leur credo, la loyauté. Leur procédure, la vengeance. À tout prix. Leur verdict ? Yo te ba li jistis. Efase li. Ici, le mot jistis ne veut plus dire droit. Il veut dire mort, exécuté. Assassinat d'une jeunesse ayitienne que l'on relègue à l'avenir d'Ayiti. Le lexique s’est tordu. La loi s’est dissoute dans la rumeur des fesses de Madan Kolo. Le Team est devenu cour pénale. Le canon, greffier. Et la peur, jurisprudence. Et puis s'est tenue la rentrée judiciaire 2025-2026. C’est modòp. La justice pour tous. Justice qui tousse pour les mères abandonnées. Pour les filles violées dans les camps de déplacés. Pour les pères qui oublient leurs professions et leur rôle de père-dûr qui bercent leurs enfants dans leurs bras.
La faillite du symbolique
Le bâtonnier Patrick Pierre-Louis a crié la vérité : la justice se délite. Mais le mal est plus profond Monsieur. Ce n’est plus un problème de magistrats. C’est un effondrement du sens et du juste. De l'essence même de la vérité. Quand la justice n’a plus de crédibilité, c’est le langage qui s’effondre avec elle. Alors qu’y croyais-je aussi que donner justice, comme Martin Blais, c'est réaliser l'égalité. Le population n’entend plus la Loi. Ce sont les balles qui clochent dans sa tête. Les mots dans la langue de compréhension des gens sur les réseaux sociaux. La parole du juge résonne comme une langue morte dans un pays analphabète de son propre droit naturel, fondamental. Inaliénable.-Nié jusque-là. Le droit de compréhension, la langue maternelle. Le kreyòl. Aussi Dr Suze Mathieu inaugure-t-elle sa plaidoirie. En tout cas ! Quel droit de peuple ne serait violé si celui de sa propre langue est condamné par une langue coloniale? Et dans ce vide symbolique, c’est la vengeance qui parle — avec des mots courts et définitifs. Le Dr Jean Casimir le dit mille fois. La décision est rendue. Le justificiable n'a compris que « condamnée ». Que dit le juge qui me juge Maître ?- Ne vous inquiétez pas, je vais interjeter appel. Et puis le mal perdure.
Justice sans Verbe
Ici, la justice parle français. Mais le justiciable, lui, rêve, souffre, prie en kreyòl. Entre les deux, il y a un gouffre de mots. Une fracture des langues. Un procès devient un labyrinthe syntaxique où le justiciable s’égare. Question de grammaire. La justice en Haïti parle haut. Mais ne se fait pas comprendre. Elle juge dans une langue qui n’appartient pas à la douleur de celui qu’elle condamne. Et l’avocat, pont bancal, traduit l’injustice en légalité. Équité. Honoraire. Le langage hautement procédural est l'accent du métier. Anatole de France aurait-il raison? Car il déchiquette les phrases, mâche les mots, recolle les sens. Pour donner sens à l'essence même de la poussière des mots en jargon français. Pendant ce temps, l’accusé se noie dans la grammaire du pouvoir colonial. La justice, ici, ne rend pas le droit. Elle impose une langue. Et c’est déjà une première condamnation. Viendra l'autre : la décision de justice. Ensuite, l'acte reproché. Encore une autre : la détention répressive prolongée. Et la justice est rendue.
La double peine
On parle souvent de peine de prison. Mais il existe une autre peine : celle de ne pas comprendre sa propre condamnation. Violence linguistique. Être jugé dans une langue incompréhensible, c’est être condamné deux fois. Vous le savez mieux que moi. Une fois par le verdict. Une autre fois par les mots. Chaque phrase prononcée devient un coup. Chaque terme juridique francographicisé, une gifle symbolique et culturelle. Kenny Thélusma le dirait mieux que moi. La violence de la Loi se double d’une violence de la langue. L’incompréhension devient punition. Dr Suze Mathieu en dirait mieux. Tout court contre celui que l'on juge. Et la justice, censée dire le droit, finit par tuer le sens. La compréhension. L'action. La langue de compréhension : le kréyòl. La République s’exprime en français. L'administration publique, elle, chérit son langage administratif. C'est appréciatif. Des médias, eux, tiennent le couteau en main pour écorcher, éplucher le Kreyòl. La langue de compréhension. La population saigne en kreyòl. Deux idiomes. Deux mondes. Aucun dialogue. Et puis on juge. La justice, en Haïti, ne punit pas seulement les fautes : elle humilie la parole. Le droit à la compréhension est banalisé. Justice rendue !
La justice en Ayiti n’a plus de verbe. Le mot juste s’est égaré entre deux langues, deux mondes parallèles, verticalisés. Deux silences sonores. Dans les palais de juste-titre*, on parle de la Loi. Dans les ruelles de Kenscoff, de Port-au-Prince, de l'Artibonite, de Solino, de village de Dieu… on l’exécute. A mains fermes. La tête haute. Armes en mains, comme balance. S’appuyer sur la détente, les codes. Entre les deux, on l'accorde, la mort. Il n’y a que le vacarme du vide. La justice ne manque pas de textes — elle manque de voix. Et tant qu’elle parlera sans être entendue, tant qu’elle jugera sans être comprise, tant qu’elle écrira sans traduire, le pays restera condamné à une seule sentence : l’injustice comme langue maternelle. Ainsi soit-il la rentrée judiciaire est déclarée ouverte. Mais dans le pays profond, c’est la rentrée des fantômes. Des balles. Des pillages. Des viols. Des vols. Des incendies comme forme de justice pour des innocents coupables. Car ici, la justice n’est plus une institution — c’est un murmure de conscience étranglée. Un écho qui cherche encore un juge pour être jugée.
joseph.elmanoendara@student.ueh.edu.ht
Formation : Masterant en Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/ Cesun Universidad, California, Mexico, Sciences Juridiques/FDSE, Communication sociale/Faculté des Sciences Humaines (FASCH),