Par Alexandra Emmanuel, Quetya Aubin, Max François Millien
Dans les profondeurs calmes de l'océan Atlantique, une danse massive et lente d'eau et de température se produit , un phénomène connu sous le nom d'Oscillation Multidécennale de l'Atlantique (OMA). Alors qu’il est courant d’entendre parler des changements spectaculaires d'El Niño et de La Niña, l'OMA opère sur une échelle de temps beaucoup plus longue, ce qui la fait considérer comme un géant patient. En effet, elle est une force subtile mais puissante qui peut influencer les modèles climatiques à travers le globe . L’OMA sculpte profondément le climat, les précipitations et la vulnérabilité d’Haïti face aux catastrophes naturelles affectant ainsi notre environnement, notre agriculture et notre santé.
Comprendre l'OMA - ce pouls secret de l’océan qui façonne Haïti – ne doit pas être seulement une curiosité scientifique mais encore un outil crucial pour construire une Haïti plus résiliente. En prenant conscience que notre pays se retrouve actuellement dans une phase qui pourrait augmenter le risque cyclonique et impacter le régime des précipitations, il sera plus facile aux responsables de comprendre l’urgence d’appliquer prendre des mesures proactives de la gestion environnementale
Introduction
Imaginez l’Océan Atlantique comme un géant endormi, son souffle rythmé par un pouls lent, presque imperceptible, qui bat sur des décennies. Ce pouls, c’est l’Oscillation Multidécennale de l’Atlantique (OMA), un phénomène climatique qui, dans l’ombre, orchestre des vagues de chaleur, des sécheresses ou des pluies torrentielles, façonnant le destin des terres qu’il touche, dont Haïti. Alors que différentes publications ont été réalisées pour célébrer en 2025 la Journée nationale haïtienne d’éducation aux Changements Climatiques, laquelle est portée par des institutions comme l’ERC2-UniQ, le LMI-CARIBACT et Haïti Sciences et Société, il nous parait convenable et opportun de lever le voile sur ce géant méconnu.
L’OMA est une oscillation naturelle de la température de la surface de la mer dans l’Atlantique Nord, qui évolue sur des cycles de 40 à 80 ans. Elle est liée à des variations de la circulation océanique profonde.et influence l’environnement, l’économie et la santé en Haïti. .
Le murmure d’un océan changeant
Il était une fois, au cœur de l’Atlantique Nord, un courant marin qui dansait entre les continents, transportant chaleur et énergie comme un conteur partageant ses récits. Ce courant, le grand tapis roulant océanique appelé circulation thermohaline, est le moteur de l’OMA. Tous les 40 à 80 ans, l’Atlantique passe d’une phase chaude à une phase froide, ou vice-versa, modifiant subtilement mais puissamment le climat des régions bordant ses eaux. Haïti, petite île des Caraïbes, ressent chaque pulsation de ce cycle, comme un villageois écoutant les battements de tambours d’une cérémonie vodouesque un peu lointaine. .
L’OMA, c’est l’histoire d’un océan qui oscille. Pendant sa phase chaude, les eaux de surface de l’Atlantique Nord se réchauffent, augmentant l’évaporation et chargeant l’atmosphère d’humidité. Les vents, comme des messagers, transportent cette humidité vers les Caraïbes, où celle-ci peut se transformer en pluies abondantes ou en tempêtes dévastatrices. À l’inverse, dans sa phase froide, l’océan se refroidit, les vents s’affaiblissent, et les pluies se font plus rares, laissant les terres assoiffées. Ce cycle, bien que lent, agit comme sous l’emprise d’un chef d’orchestre invisible, influençant les saisons, les récoltes et la vie des Haïtiens.
Quand l’Atlantique s’échauffe : impacts sur Haïti
Lorsque l’OMA entre dans sa phase chaude, comme ce fut le cas dans les années 1990 et au début des années 2000, Haïti ressent immédiatement son influence. L’océan, plus chaud, dope l’activité des cyclones dans l’Atlantique. Les ouragans deviennent plus fréquents et plus intenses, frappant les côtes haïtiennes avec une fureur accrue. Tel fut le cas de l’ouragan Jeanne en 2004, qui a dévasté Gonaïves, engloutissant des quartiers entiers sous des torrents de boue. Ces tempêtes, amplifiées par l’OMA, laissent derrière elles des maisons détruites, des récoltes dévastées, des animaux d’élevage décimés, des routes emportées et des vies brisées.
les pluies abondantes de la phase chaude saturent les sols, surtout dans les zones déboisées comme les mornes haïtiens. Les glissements de terrain deviennent une menace constante, emportant des terres agricoles et menaçant les communautés rurales. Les rivières, comme la rivière Grise, débordent, inondant les champs de maïs et de bananes, et transformant les routes en ruisseaux boueux. Pourtant, paradoxalement, ces mêmes pluies peuvent être une bénédiction temporaire, rechargeant les nappes phréatiques et remplissant des lacs comme le Lac Azuei, offrant un répit aux agriculteurs tant pour leur abreuvement que celui des animaux.
Quand l’Atlantique se refroidit : la soif d’Haïti
À l’opposé, la phase froide de l’OMA, comme celle observée dans les années 1970, apporte un autre défi : la sécheresse. Lorsque les eaux de l’Atlantique se refroidissent, l’humidité disponible diminue, et les pluies se raréfient. Les champs haïtiens, déjà fragiles, s’assèchent. Les cultures de sorgho, de manioc et de patates douces, piliers de la subsistance dans le milieu rural, jaunissent sous un soleil impitoyable. Les agriculteurs, comme ceux de l’Artibonite, scrutent le ciel, espérant un nuage qui ne vient pas. Les rivières s’amenuisent, et l’accès à l’eau potable devient un combat quotidien, surtout pour les femmes et les enfants qui ont généralement à parcourir des kilomètres pour remplir un seau.d’eau.
Cette sécheresse ne touche pas seulement la terre, mais aussi l’âme des communautés. Les rendements agricoles chutent, les prix des denrées grimpent, et l’insécurité alimentaire s’installe. Les familles rurales, qui dépendent de leurs récoltes pour vivre, se retrouvent piégées dans un cycle de pauvreté aggravé, du coup, par ce géant océanique.
Un impact environnemental profond
L’OMA ne se contente pas de jouer avec les pluies et les tempêtes ; elle transforme les écosystèmes haïtiens. Dans les phases chaudes, les fortes pluies accélèrent l’érosion des sols, surtout dans les zones où la déforestation a dépouillé les collines de leurs arbres. Les sédiments s’accumulent dans les rivières et les lacs, modifiant leur chimie et menaçant la vie aquatique. Le lac Azuei, par exemple, peut voir son niveau d’eau fluctuer, affectant les populations de poissons et d’oiseaux qui en dépendent pour leur survie.
Dans les phases froides, les sécheresses stressent la biodiversité. Les forêts sèches, déjà rares en Haïti, perdent leurs feuilles, et les animaux, comme les iguanes ou les oiseaux migrateurs, luttent davantage pour survivre. Les récifs coralliens, joyaux des côtes haïtiennes, souffrent aussi : les variations de température et de salinité des eaux, influencées par l’OMA, peuvent provoquer leur blanchissement, menaçant la pêche côtière.
L’économie sous pression
L’OMA n’épargne pas l’économie haïtienne, déjà fragile. Pendant les phases chaudes, les cyclones et les inondations causent des dommages énormes. Les infrastructures – routes, ponts, écoles – sont balayées, coûtant des millions en réparations. Les agriculteurs perdent leurs récoltes, et les pêcheurs, confrontés à des mers agitées, rentrent bredouille. Ces catastrophes freinent le commerce et plongent les communautés dans l’incertitude.
Dans les phases froides, la sécheresse frappe l’agriculture qui, malgré son importance décroissante dans le PIB haïtien, en représente encore une part non negligeable. Les exportations de mangues ou de café diminuent, et les marchés locaux s’effondrent sous la pression des prix élevés. Les petites entreprises, comme les vendeurs de produits agricoles, luttent pour survivre, tandis que l’État, déjà à court de ressources, peine à fournir une aide adéquate.
La santé en première ligne
L’OMA touche aussi la santé des Haïtiens. Pendant les phases chaudes, les inondations créent des conditions idéales pour les maladies hydriques comme le choléra, qui a ravagé le pays après 2010. Les eaux stagnantes deviennent des nids à moustiques, augmentant le risque de dengue, de paludisme ou de Zika. Les hôpitaux, souvent débordés, luttent pour répondre à ces crises sanitaires.
Dans les phases froides, la sécheresse aggrave l’accès à l’eau potable, forçant les populations vulnérables à consommer de l’eau contaminée. Les maladies diarrhéiques se multiplient, et la malnutrition s’installe lorsque les récoltes ne sont pas au rendez-vous. Les enfants et les personnes âgées en paient le prix le plus lourd.
Écrire l’avenir : comprendre et agir
Face à ce géant silencieux qu’est l’OMA, Haïti n’est pas sans ressources. Le fait de comprendre ce cycle permet d’anticiper ses impacts. Les scientifiques, comme ceux de l’ERC2-UniQ, de l’URGéo-FDS=UEH, et du LMI-CARIBACT, surveillent les températures de l’Atlantique pour prévoir les phases chaudes ou froides. Ces prévisions peuvent guider les agriculteurs dans le choix des cultures résistantes à la sécheresse ou adaptées aux fortes pluies. Les autorités peuvent renforcer les infrastructures côtières et investir dans des systèmes d’alerte précoce pour les cyclones.
La gestion durable des ressources naturelles est cruciale. Reboiser les collines, protéger les bassins versants et restaurer les récifs coralliens peuvent atténuer les effets des inondations et des sécheresses. L’éducation, portée par des initiatives comme la Journée nationale haïtienne d’éducation aux Changements Climatiques, est une arme puissante. En informant les communautés et les décideurs, Haïti peut bâtir une résilience face à l’OMA.
Un appel à l’action
L’Oscillation Multidécennale de l’Atlantique est plus qu’un phénomène climatique : c’est une force qui façonne la vie, les paysages et l’avenir d’Haïti. Comme un tambour battant au rythme des décennies, elle rappelle que le climat n’est pas seulement une question de météo, mais une question de survie. En comprenant ce géant, en se préparant à ses manifestations et en agissant collectivement, Haïti peut transformer les défis en opportunités. Que les activités mises en œuvre dans le cadre de l’édition 2025 de la Journée nationale haïtienne d’éducation aux changements climatiques symbolisent le cri de ralliement national !
Ensemble, écrivons une nouvelle histoire où l’océan et la terre dansent en harmonie pour le bien de tous.
Alexandra Emmanuel
Équipe de Recherche sur les Changements Climatiques (ERC2), Université Quisqueya
Groupe Haïtien d’Etudes et de Recherche en Santé-Environnement (GHERES)
Pôle des Amériques, Haïti Sciences et Société (HaSci-So).
Quetya Aubin
Université Quisqueya (VIRRI-UniQ)
Pôle Haïti-Antilles, Haïti Sciences et Société (HaSci-So)
Équipe des Partenaires Scientifiques pour la Communication de la Recherche (E-PSi-CoRe)
quetyaaubin25@gmail.com
Max François Millien
Laboratoire de Zoonose et Innocuité Alimentaire
Université Quisqueya