Haïti… quelle tristesse, quelle désolation ! Ce pays qui devrait briller comme un phare de liberté gît parfois comme un naufragé pris dans les filets de la trahison nationale et de l’hypocrisie internationale. Nous, héritiers de Vertières, nous retrouvons à regarder le monde avec des mains vides, pendant que des promesses étrangères pleuvent comme de la fausse pluie sur une terre assoiffée.
Depuis 1990, les missions étrangères foulent notre sol comme des médecins autoproclamés. Elles promettaient la guérison, juraient la stabilité. Trente années de perfusion internationale plus tard, que reste-t-il ? Nous sommes plus pauvres, plus dépendants, plus livrés à l’insécurité que jamais. La plaie s’étend et l’on nous propose un pansement en guise de remède.
La vérité nue s’impose : ils ne peuvent pas résoudre nos problèmes à notre place. Chaque mission étrangère est un mirage : elle brille un instant pour mieux nous laisser assoiffés. Chaque intervention est une cage dorée, une camisole invisible. Leurs discours sont des chants de sirènes — doux à l’oreille, mortels pour la volonté. On nous gave d’arguties et d’acronymes, on nous couvre de sigles comme on poserait des bandages sur une jambe cassée sans en remettre les os.
Et pendant que l’on palabre, que voit-on sur le terrain ? Des gangs armés jusqu’aux dents sèment la terreur comme des armées de l’ombre. Mais d’où viennent ces armes ? Par filières invisibles, par cargaisons qui traversent les frontières ; parfois, ce sont les fusils marqués « made in USA » qui écrasent nos rues. Les armes censées protéger ailleurs deviennent ici instruments de massacre. Haïti saigne, et ceux qui prétendent nous aider sont aussi parfois ceux qui nourrissent la bête.
Accepter que l’OEA, l’ONU et leurs alliés s’installent chez nous, c’est tourner le dos à 1804. C’est fouler aux pieds le sacrifice de Vertières. C’est tendre nos poignets aux chaînes qu’on croyait rouillées à jamais. Chaque fois qu’un ministre étranger prononce le mot « mission », c’est comme si l’on proclamait au monde entier que nous avons cessé d’exister comme peuple. Comme si Dessalines avait crié « Liberté ou la mort ! » pour que ses héritiers répondent « tutelle et dépendance ».
Nos élites, hélas, applaudissent. Elles s’installent dans cette humiliation comme dans un fauteuil, contentes d’un rôle secondaire dans leur propre pays. Elles appellent « aide internationale » ce qui n’est souvent qu’un masque, un gant de velours qui cache des griffes. Elles tolèrent, courbent la tête, marchandent notre dignité comme on vend des épices au marché. Quelle honte ! Qu’il est indigne pour les héritiers d’un peuple qui a brisé les fers d’accepter des colliers de dépendance.
La Colombie défie les racistes
Et pourtant, loin d’ici, un homme ose. Un président étranger, celui de Colombie se dresse et défie les racistes des États-Unis sur leur propre terrain, tel un gladiateur entrant dans l’arène du Colisée impérial. Dans la vie, il y a ceux qui sont faits pour obéir et ceux qui sont faits pour désobéir ; ceux qui plient et ceux qui brisent les chaînes. Ce geste entrera dans l’histoire comme un acte de courage face au colosse qui se pare d’un discours de supériorité. Donald Trump est devenu le masque criard d’un racisme assumé, l’incarnation moderne d’un fascisme repeint aux couleurs d’une fausse démocratie ; il faut le dire haut et fort.
Et pourtant, les fils de Dessalines au pouvoir chez nous tremblent. Ils se crispent comme des enfants effrayés au seul nom de ce monsieur aux cheveux jaunes. Ô ironie cruelle : les héritiers de la première République noire du monde se recroquevillent devant un bouffon impérial, tandis qu’un étranger ose affronter ce même monstre. Nous qui avons montré au monde que la liberté n’a pas de couleur voilà réduits à hésiter, à masquer notre voix. Quel oubli de notre sang, de notre histoire !
Mais il est une certitude plus lourde que toute peur : seuls les Haïtiens, s’ils s’entendent entre eux, peuvent sauver leur pays. Aucun peuple ne s’est jamais libéré durablement avec d’autres écrivant son destin à sa place. On peut aligner toutes les missions, parer toutes les places de sigles et de drapeaux ; rien ne marchera tant que nous ne prenons pas en main notre propre avenir. C’est aux élites haïtiennes d’avoir honte, et non de se complaire. Elles doivent arrêter d’être l’écume de leur propre nation et redevenir la houle qui porte le navire.
Il est temps de briser le cercle vicieux. L’avenir d’Haïti ne s’écrira ni dans les couloirs de l’ONU, ni dans les bureaux de l’OEA. Il s’écrira ici, sur notre terre, dans nos mains, dans nos cœurs. Organisons-nous pour bâtir, non pour supplier ! Rassemblons nos intelligences, nos forces vives, nos paysans, nos jeunes, nos femmes, nos artisans, nos femmes de marché et nos professeurs ! Faisons naître un projet national qui nous libère au lieu de nous enchaîner !
Compatriotes, relevons la tête ! Unissons nos voix comme jadis à Vertières ! Qu’aucune bannière étrangère ne flotte au-dessus de la nôtre. Nous ne sommes pas des spectres errants : nous sommes les fils et les filles de la première République noire. Le monde nous doit le flambeau de la liberté ravivons-le nous-mêmes. Que la flamme de Dessalines brûle encore dans nos poitrines ! Que la voix de Charlemagne Péralte gronde encore dans nos montagnes !
Haïti n’est pas morte. Haïti ne mourra pas, elle vivra, si ses enfants osent enfin se lever non pour se jeter dans l’appel des sirènes étrangères, mais pour se tenir debout, solidaires, souverains, maîtres du destin que nos ancêtres ont conquis au prix du sang.
Maguet Delva