Le Conseil présidentiel de transition (CPT) a officiellement publié, ce jeudi 23 décembre, dans le journal officiel Le Moniteur, un décret jugé controversé portant sur l’organisation et le fonctionnement de la Haute Cour de Justice. Présenté par l’exécutif comme un outil de lutte contre l’impunité, ce texte soulève de vives inquiétudes à quelques semaines de l’échéance politique du 7 février 2026, celle qui marquera la fin du mandat du CPT.
Selon plusieurs observateurs, le décret institue un mécanisme juridique qui, en confiant le jugement des hauts fonctionnaires à un Sénat actuellement inexistant, écarte de facto les juridictions ordinaires des affaires de corruption et de mauvaise gestion présumées durant la transition.
Parmi les voix critiques, figurent celle de Me Samuel Madistin, avocat et coordonnateur de la Fondasyon Je Klere (FJKL), se distingue. Il qualifie le décret d’« auto-amnistie » au profit des membres du CPT, dont certains sont éclaboussés par des accusations de corruption, notamment dans le dossier de la Banque nationale de crédit (BNC).
Selon Me Samuel Madistin, le décret est non seulement inconstitutionnel, mais également illégal. Il estime que le pouvoir exécutif outrepasse ses prérogatives en s’arrogeant une compétence réservée au Parlement. « L’amnistie relève exclusivement du pouvoir législatif. En Haïti, seul le Parlement peut effacer une infraction ou suspendre des poursuites. L’exécutif ne peut en aucun cas s’octroyer ce pouvoir », affirme-t-il.
L’avocat souligne également que le texte viole les engagements internationaux d’Haïti, notamment la Convention des Nations Unies contre la corruption. L’article 30, paragraphe 2, de cette convention oblige les États parties à lever les obstacles à la poursuite des agents publics, quel que soit leur rang. Or, en protégeant les hauts fonctionnaires de toute poursuite, le décret s’apparente, selon lui, à une tentative d’amender unilatéralement un traité international.
Le coordonnateur de la FJKL, Me Samuel Madistin, met en garde contre les conséquences diplomatiques et financières d’un tel acte. Il évoque également le risque pour Haïti d’être inscrit sur la liste noire du Groupe d’action financière (GAFI), ce qui pourrait compromettre l’accès du pays à la coopération internationale et aux services des banques correspondantes étrangères. « Ce décret, en garantissant l’impunité, expose le pays à un isolement financier sans précédent », alerte-t-il.
Face à ce qu’il considère comme une dérive autoritaire, l’avocat appelle les institutions judiciaires, ainsi que les organes de lutte contre la corruption tels que l’ULCC et l’UCREF, à refuser d’appliquer ce décret. Il les exhorte à la résistance, estimant que ce texte n’a aucune force de loi et ne constitue qu’un acte administratif émanant d’un gouvernement de facto.
Il insiste également sur la nécessité pour le gouvernement issu du 7 février 2026 de rapporter ce décret, qu’il juge incompatible avec l’ordre constitutionnel et les normes internationales. Interrogée sur l’existence des mécanismes juridiques pour suspendre ou annuler ce décret, Me Samuel a souligné que la cour a déjà statué que les décrets pris par des gouvernements de facto ne sont que de simples documents administratifs sans force de loi et ne sont donc pas obligatoires.
Le décret mentionne la nécessité d’une autorisation du Parlement et de la Chambre des députés pour engager des poursuites, alors que ces institutions sont actuellement inexistantes. Pour Me Madistin, cela crée un vide juridique savamment orchestré pour bloquer toute tentative de reddition de comptes.
En somme, ce décret est perçu par ses détracteurs comme un écran juridique destiné à entraver la justice et à protéger les membres du pouvoir en place. C’est comme si, dans une ligue sportive internationale, le capitaine d’une équipe décidait unilatéralement qu’il ne peut plus recevoir de carton rouge, alors que seul le comité de direction est habilité à modifier les règles.
Likenton Joseph
