Né à Dhaka, au Bangladesh, Aminur Rahman est aujourd'hui l'un des poètes les plus traduits et les plus écoutés de son pays. Titulaire d'une maîtrise en pharmacie, il a néanmoins choisi la poésie comme science principale : celle du cœur et de la beauté.
Son œuvre dépasse les frontières linguistiques et spirituelles, telle une rivière d'images et de sensations où se rencontrent le désir, la mémoire et la transcendance. Auteur de six recueils de poèmes en bengali (Bishashikorotole (1989), Hridoypure Dubshatar (1991), Nivriti Nirvarata (1998), Nirbachito Abritti (2000), Thikana : Kobitadhigir Par (2003), Annanaya Kabita (2003)), traduits dans plus de vingt-cinq langues, il a également publié des recueils en anglais, espagnol, allemand, japonais, arabe, chinois, malais et serbe. Écrivain et critique d'art renommé, traducteur accompli, il est également un ambassadeur infatigable de la poésie bangladaise sur la scène internationale. Ses vers ont été lus dans des universités, des festivals et des lieux culturels du monde entier. En 2025, l'université de Cambridge inclura plusieurs de ses poèmes dans ses programmes d'études, une reconnaissance qui couronne une carrière d'une rare fidélité à la parole poétique.
Le National : Le bengali, votre langue, est souvent désignée par la périphrase «la langue des dieux » en raison de sa musicalité et de sa subtilité. Ce lien avec le langage spirituel et mythologique influence-t-il votre œuvre poétique ?
Aminur Rahman : La langue bengali possède sa propre beauté. C'est l'une des plus anciennes langues au monde, dérivée du sanskrit. La mythologie et le mysticisme font partie intégrante du sanskrit. C'est peut-être la raison pour laquelle vous dites cela. En réalité, le bengali est une langue très douce et lyrique. Elle est souvent spirituelle aussi. La spiritualité appartient aux poètes mystiques comme à tout être humain ordinaire. La mythologie mondiale m'intéresse depuis toujours et la spiritualité en fait partie.
Le National : En Haïti, on ne peut pas se dire écrivain sans être d'abord reconnu comme poète. La poésie nourrit en profondeur notre histoire littéraire. Quelle place occupe l'art de la poésie dans votre histoire et votre culture ?
Aminur Rahman : C'est peut-être une règle haïtienne, mais il est vrai qu'être poète est une tâche très difficile. Les poètes et la poésie occupent une place très importante dans la langue bangla. Cette tendance existe depuis bien avant Rabindranath Tagore, le premier poète asiatique à avoir remporté le prix Nobel.
Le National : Qu'est-ce que l'écriture poétique ? Quel cheminement cela a-t-il représenté pour vous ?
Aminur Rahman : Paul Valéry dit : « La première ligne d'un poème vient du ciel, c'est à vous d'écrire le reste. » J'ai toujours partagé cette opinion. Beaucoup de gens écrivent de la poésie, mais tous ne sont pas des poètes, seuls quelques-uns le sont. La poésie n'a pas de cheminement, c'est le cheminement qui vous suit. Les bons poètes écrivent selon leur propre joie.
Le National : Pourriez-vous nous présenter l'œuvre que vous considérez comme la plus importante de votre production, afin que nous ayons le plaisir de la découvrir un peu à travers cet article, si elle n'a pas encore été traduite en français ?
Aminur Rahman : Il est très difficile de dire laquelle est importante. Important et populaire ne sont pas non plus synonymes. Et cela varie d'une personne à l'autre. J'aime beaucoup de mes œuvres, mais vous n'êtes pas obligé de les aimer. Sculpture est un bon poème à mes yeux. Je vous en confie la lecture.
Sculpture
Du manteau épais de la brume
je tire les contours de ton corps
sculptant doucement, à travers tout le matin.
Les yeux fermés, je m’assois
au milieu des draps lourds du brouillard
lors que le givre s’installe
sur ma joue, mon oreille, mon nez.
Ces mêmes mains
ces mêmes lèvres, ces mêmes yeux
je les trouve avec tant d’aisance...
Ton buste flotte sur cette rivière
dont je dois vaincre le flux.
Ta silhouette fleurit, se libérant elle même
laissant derrière elle la lumière du soleil
et le corps éphémère du brouillard.
Tu t’es enroulée à mon âme
ses racines, son socle, ses abysses.
Le National : Vous êtes considéré comme l'un des poètes bangladais les plus célèbres aujourd'hui. Comment percevez-vous l'influence nationale et internationale de votre œuvre poétique ?
Aminur Rahman: Célèbre ou non, je ne sais pas. Il est vrai que j'ai beaucoup voyagé. Mes
voyages m'ont apporté beaucoup d'expérience. Mais je ne crois pas à l'influence, j'écris
ma propre poésie depuis le début et je continue encore aujourd'hui. Lorsqu'un poète a sa
propre voix, son propre style et son propre langage, alors on peut le considérer comme un bon poète. C'est ce qui est le plus souhaitable et le rêve de tout poète.
Le National : Vous avez publié sept recueils de poèmes en bengali et plusieurs autres
traduits dans plus de vingt-cinq langues.
Comment vivez-vous cette diversité linguistique et culturelle dans votre poésie ? Comment voyez-vous le parcours de vos œuvres à travers leurs traductions ?
Aminur Rahman : J'ai publié des recueils de poésie dans plus de 12 langues et mes poèmes ont été traduits dans plus de 25 langues. Ce qui est bien, c'est que la plupart du temps, les traductions sont réalisées par d'importants poètes-traducteurs. En matière de traduction poétique, il n'y a pas d'alternative au poète-traducteur. Lorsqu'un poète réalise une traduction, il s'agit d'abord d'un poème. La plupart du temps, les poètes justifient également leurs traductions. Il existe de nombreuses règles en matière de traduction. Tout le monde doit respecter ces règles et ces réglementations.
Le National : Dans vos écrits, le corps et l'esprit semblent engager un dialogue passionné. Mais parfois, on y découvre un érotisme presque nonchalant. Est-ce une façon d'exprimer les nuances de la condition humaine au-delà du désir ?
Aminur Rahman : Le corps et l'esprit se complètent. Cela est très présent dans ma poésie. Dans une bonne écriture, rien ne peut être forcé, tout vient naturellement. L'érotisme vient de la même manière. J'aime la passivité dans la poésie. Je vous confie ici, un autre de mes poèmes, Tue moi.
Tue moi
Tue moi de ton cœur dédié.
Éparpille mes mille morceaux à la force de ton sexe.
Assassine moi de la folie des hommes fous.
Consume moi dans ton cœur.
Tue moi de ta créativité vive.
Annihile moi sous la mousse humide du sexe.
Détruit moi par tes zones érogènes.
Déchire moi à l’aune de ton amour
Mords moi mords entre mes jambes.
Étreins moi jusque dans mon extase funèbre.
Le National : Vos poèmes seront inclus dans le programme de l'université de Cambridge à partir de 2025. Que signifie pour vous cette reconnaissance académique ?
Aminur Rahman: La reconnaissance académique rend tout le monde heureux, moi y compris. Des étudiants du monde entier vont me lire. Évidemment, c’est un plaisir.
Le National : Pour finir, quels sont vos prochains projets littéraires ? Travaillez-vous sur un
nouveau recueil ou une traduction importante ?
Aminur Rahman : Je travaille actuellement sur un très grand projet d'anthologie de la poésie contemporaine mondiale avec deux autres éditeurs et poètes importants, le poète roumain Ion Deaconescu, et le poète chinois Zhao Lihong . Je travaille également sur mon premier roman et je participerai en novembre 2026 à une résidence littéraire au Poetry Cottage, à Dahka. Et bien d'autres choses encore...
Propos recueillis par Godson Moulite
