De la consultation des documents constitutifs de la Fondation Culture Création à la participation à de nombreuses activités culturelles au début du millénaire, jeune artiste à l’époque, il y a environ 25 ans, j’allais finir par accrocher le nom de Delano Morel, sur le visage du personnage Nono. A la fois un artisan, un témoin et un passeur entre plusieurs générations. Pendant que tu es encore debout et malgré la déchéance tout autour, je préfère saluer au passage ta place au sein de ce qui reste comme des élites intellectuelles saines d’Haïti et dans notre communauté virtuelle commune.
Désolé, si je choisis le plus souvent de faire profil bas entre de longues discussions philosophiques et des dialectiques partagées entre l’histoire politique et la mémoire collective, pour me concentrer sur la finalisation de nombreux chantiers partagées entre des réflexions sociopolitiques, des publications, créations et des formations. Cela ne m’empêche pas de comprendre ton sens d’engagement depuis toujours, et tes nombreuses contributions et collaborations dans des actions positives au bénéfice de notre collectivité.
Delano Morel (Nono) est bel et bien ce personnage imprimé avec l’encre d’une simplicité débordante, d’une approche critique souvent agissante et agaçante, et qui dispose pourtant d’une ouverture d’esprit éclatante pour animer les débats sur notre société. Avec son sens de respect de l’autre, je garde à l’esprit ses invitations à des membres dans la salle, pour poursuivre le débat a la fin d’une réunion ou d’une conférence, afin de se faire entendre ou pour mieux se faire comprendre.
Depuis un certain temps, sur les médias sociaux, ses publications autant que ses réactions sur de nombreux sujets d’importance ne passent pas inaperçues. Entre questionnement, critique et contradiction, pour ne pas dire une remise en question, Nono maîtrise parfaitement le jeu, jusqu’à irriter parfois, sans le savoir.
Depuis plus de 25 ans, on est devenu ami, collaborateur dans certaines initiatives culturelles, éducatives ou philanthropiques. Il traverse les rues de la capitale, plusieurs de nos espaces communs comme si c’était hier, quand Port-au-Prince portait le nom de la capitale vivante. Souvent pressé dans ses pas, on le croise également entre certaines de nos rues encombrées par le trafic et les passants, autant que dans certains de nos anciens quartiers réservés, dont certains sont abandonnés depuis.
Des conseils et des suggestions, en dehors des quelques questions pertinentes sur un sujet d’actualité, ou des regards croisés sur un spectacle et quelques œuvres artistiques, il ne manque jamais l’occasion d’interpeller son plus proche voisin. Il va jusqu’à te questionner n’est-ce que je ne t’ai pas vue dans telle activité, pour laquelle tu devrais avoir ton mot à dire, c’est aussi et surtout ça le personnage de Morel. Un intellectuel affamé de savoirs et déterminé à vouloir servir, et même devenir un miroir pour projeter la lumière des autres, tout en s’effaçant.
Dans notre République désormais chaotique. Delano Morel a la chance d’avoir survécu aux nombreux mouvements sociaux et la traversée des différentes générations au cours des trois à cinq dernières décennies. Il sait reconnaître les principaux acteurs, vice versa, tout en gardant ses distances et sa mesure.
De la dualité intellectuelle chronique au discours critique ou épistémologique, il serait opportun de voir Nono publier au moins un ouvrage autour de ses mémoires sur l’espace-temps de la vie politique et culturelle en Haïti et dans la capitale en particulier. Ce fidèle esclave de la pensée critique et d’une vision idéaliste du monde et des choses aurait beaucoup de connaissances et des témoignages à partager à la fois dans les écoles, les universités et les médias du pays, face aux actuels défis qui nous poursuivent.
Du pain sur la planche, Delano Morel, ce fidèle héritier de la génération des savants utiles mais effacés, souvent oubliés n’a pas encore pris sa retraite. Entre nos deux mondes en conflit (le passé et le présent), entre deux modes de pensées (philosophiques et pratiques) il trouve souvent le moyen pour questionner certains faits qui nous échappent en analysant l’actualité ou la déchéance sociopolitique et économiques, entre l’ère des Duvalier et l’après 1986.
Delano Morel ne questionne pas uniquement les causes de nos malheurs. Il aborde surtout notre malheur de continuer à ignorer certaines des véritables causes masquées comme un leurre. Cela se justifie par son esprit encore très fertile, qui a été pendant longtemps moulé dans la critique de son entourage intellectuel, de Bel-Air à la Grand-Rue dans le temps. Ce qui nous confirme qu’il n’a pas oublié autant les débats animés sous les galeries de son vieux quartier, ses armes sur fonds d’argumentaires et son métier de boulanger.
D’un ton respectueux, du haut de sa notoriété trempée dans un bain parfumé entre la simplicité et la sagesse, Delano Morel sans se soucier de la différence d'âge se permettra d'appeler un plus jeune Camarade (Kanmarad). Cela fait bien russe n’est-ce pas ? Et sans ruse, c’est pratiquement son style, le fruit de son éducation familiale, sa manière d’être et son sens profond du vivre-ensemble, que j’ai eu la chance de confirmer plus d’une fois, à travers son frère le célèbre photographe, lorsqu’il était de passage au restaurant de l’hôtel Oloffson, en séjournant en Haïti.
Delano Morel n’est certainement pas un saint. Que celles et ceux éventuellement qui gardent de lui beaucoup que des défauts et des faiblesses soient excusés et éloignés de ces mots adressés à Nono. Ces mots qui servent à projeter la principale face de la médaille, de la famille Morel. Une des dernières étincelles de la mémoire de ce que fut le centre-ville de Port-au-Prince.
Derrière cet éloge de Nono, cet hommage adressé à Delano Morel de son vivant, de qui j’attends beaucoup en retour, comme la publication prochaine de ses mémoires sur la vision et le vécu de ville de Port-au-Prince. Face aux limites de ressources pour accomplir une telle œuvre parmi d’autres interventions publiques, j’en profiterai pour inviter les plus proches amis de Nono, à lui offrir une modeste cérémonie d’hommage et d’autres accompagnement visant à pérenniser le parcours, et la riche histoire personnelle et l’aventure inspirante de Delano Morel dans notre vie, dans notre ville, et dans le vide laissera tôt ou tard.
De quoi sera fait l'héritage de Delano Morel ? Entre sa passion pour les arts, la littérature, le théâtre, la mémoire et la culture, en passant par l’histoire, la mémoire, le patrimoine, les faits et les acteurs sociopolitiques notamment, ses enfants, ou plus particulièrement ces deux filles fièrement affichées sur son profil Facebook, et tous les autres jeunes créateurs et professionnels qui croisé et ont grandi dans l’entourage de Delano Morel, incluant ses collaborateurs et proches amis, sont tous invités à célébrer la culturalité vivante et la vitalité intellectuelle de Nono. Notre témoin actif et critique du temps !
Dominique Domerçant