L’affaire Sarkozy (1) montre que les dérives du financement politique peuvent toucher même les grandes démocraties. Elle souligne l’urgence, pour Haïti, de mettre en place un système de financement électoral plus transparent, efficace et adapté à ses réalités afin d’éviter de tels scandales.
Il ne suffit pas d’être constitué comme parti pour bénéficier du financement public ou privé. Après les élections de 2010, au cours desquelles deux candidats — Mirlande Manigat et Michel Martelly — avaient été pointés du doigt par la presse nationale et internationale, des dispositions supplémentaires ont été adoptées, s’inspirant du modèle du droit européen.
Cela ne signifie pas qu’aucune règle n’existait auparavant pour renforcer l’égalité entre les candidats. Toutefois, l’absence de suivi rigoureux par les autorités compétentes — notamment pour vérifier le respect des plafonds de dépenses et le dépôt des comptes de campagne devant le CEP — a longtemps empêché l’application effective de ces normes.
Dans cette optique, le législateur a défini un cadre juridique fixant les références essentielles en matière de sanctions en cas de manquement aux obligations légales par les partis politiques, notamment en ce qui concerne les irrégularités financières, parfois proches du scandale.
Il existe trois phases du financement prévues par les normes. Parmi les acteurs des scrutins, il existe trois catégories : les plateformes politiques, les candidats indépendants et les candidats présentés par les partis.
Pléthore de partis politiques
Ce dérèglement politique ne tient pas seulement aux accusations de collusion entre certains partis et des gangs depuis plus de cinq ans, mais aussi à leur silence face au non-respect des échéances électorales relatives au renouvellement du personnel politique et des institutions démocratiques. Pire encore, ils se seraient même, selon certains, rendus complices, directement ou indirectement, en profitant systématiquement des vacances présidentielles pour occuper des postes au sein de l’État. Certaines mauvaises langues estiment que, faute d’une véritable assise populaire, ils n’ont pas le courage de se présenter aux élections, d’où leur attrait pour les gouvernements provisoires. D’ailleurs, les rares élections jugées acceptables ont été suivies soit d’un coup d’État quelques mois plus tard, soit d’un assassinat présidentiel avant la fin du mandat constitutionnel.
Pourtant, l’existence des partis demeure un mécanisme essentiel permettant de donner corps à l’expression : « La légitimité réside dans la volonté du peuple. » Cette légitimité ne découle pas de la prolifération indécente des partis – on en est à 220 –, dont le caractère démocratique est parfois douteux car elle repose avant tout sur la participation massive des électeurs. La pluralité peut être un gage de diversité, mais seule la mobilisation populaire confère une véritable légitimité démocratique.
Avec l’évolution du régime politique en Haïti, où les élections se tiennent désormais plus fréquemment que par le passé, la compétence des institutions représentatives devient indispensable pour gérer les contentieux susceptibles de naître des dons et des subventions accordés à un candidat, à un parti ou à un groupement politique par une personne physique ou morale. Ces financements, destinés aux campagnes électorales pour les trois pouvoirs, entraînent l’octroi, conformément aux procédures légales, de réductions d’impôts aux donateurs.
Ce qui a été fait jusqu’ici
Pour mesurer les progrès accomplis — ou l’absence de progrès — dans l’institutionnalisation des partis politiques en Haïti, il suffit de se demander ce qui a réellement été fait en ce sens. La loi sur les partis politiques de 1985, dont le troisième considérant devait encadrer leur fonctionnement, a été transformée par le Conseil national de gouvernement (CNG) en décret.
En conséquence, le décret n° 61 du jeudi 31 mai 1986, pris par ce gouvernement provisoire, continue de régir — bon gré mal gré — le fonctionnement des partis politiques, et ce malgré l’évolution du système électoral haïtien depuis l’instauration du nouveau régime post-Duvalier. À plusieurs moments, ce système a été régi non plus par des lois votées par le Parlement, mais par des décrets et décrets-lois. Les circonstances politiques haïtiennes, marquées par l’absence récurrente des deux Chambres et par l’existence d’un exécutif de transition fonctionnant sur la base d’accords (non respectés tout autant que la Constitution), ont largement favorisé le retour fréquent aux décrets.
De nombreuses tentatives ont été faites pour corriger cette anomalie au moyen de projets de loi sur les partis politiques. Mais ces textes n’ont jamais été votés, ou lorsqu’ils l’ont été, ils sont restés méconnus du grand public, au point que même certaines institu
Les partis politiques constituent pourtant l’une des trois entités essentielles du processus électoral. Parmi ces trois acteurs, celui qui reste constamment sous les projecteurs est le CEP, alors que les véritables protagonistes devraient être les partis eux-mêmes, puisqu’ils se présentent devant le peuple pour solliciter ses suffrages pour accéder soit à la présidence ou au parlement. Le centre de gravité autour duquel convergent toutes les préoccupations devrait donc être la participation active et la préparation sérieuse des partis dans leur quête du pouvoir. Or, ceux-ci s’acharnent souvent — non sans raison — sous la pression de leurs membres et sympathisants, à apporter une réponse immédiate à la crise sociale et au chômage qu’à investir dans des projets de développement à long terme.
La question du financement des processus électoraux a été examinée sur le blog Juriste haïtien, qui souligne que, depuis les années 1960, plusieurs États démocratiques ont introduit des règles destinées à renforcer l’égalité entre les candidats, notamment à travers la régulation du financement des campagnes et des activités de propagande. L’exemple français est particulièrement révélateur : ce n’est qu’à la suite d’une série de scandales politico-financiers que le législateur a adopté un ensemble de lois limitant les dépenses électorales, s’inspirant en partie des pratiques britanniques de gestion des campagnes, et allant jusqu’à interdire les financements provenant des entreprises. Cette réglementation fait par ailleurs l’objet d’ajustements réguliers afin de suivre l’évolution des pratiques corruptrices et des technologies de communication et de propagande, devenues plus sophistiquées et coûteuses.
Le blog rappelle également que, dans tous les États démocratiques, la question du financement des partis politiques relève explicitement du domaine légal, pour plusieurs raisons fondamentales. En tant que garant de la régulation de la vie publique, l’État doit veiller à ce que la compétition électorale ne soit pas dominée par la capacité financière des candidats ou des organisations.
La transparence dans le financement des partis et des campagnes est indispensable afin de maintenir à distance les influences économiques occultes, de prévenir les déséquilibres structurels dans la compétition politique et de garantir que la participation citoyenne prime sur le pouvoir de l’argent. Qu’il soit public ou privé, le financement doit répondre à des normes clairement établies, permettant aux membres et sympathisants de contribuer, notamment par des cotisations régulières. Ces mécanismes contribuent à moraliser la vie politique et à assurer des conditions équitables pour tous les acteurs.
Malgré l’existence en Haïti d’un corpus juridique abondant relatif aux infractions financières, l’application effective de ces normes demeure largement déficiente. Elles ouvrent par ailleurs la voie à l’élaboration d’une nouvelle approche du financement politique, fondée sur la transparence, la responsabilité institutionnelle et le contrôle démocratique, conditions indispensables à la consolidation d’un véritable État de droit et à la crédibilité du système électoral haïtien.
Exigence de compte-rendu
Avec l’évolution du régime politique en Haïti, où les élections se tiennent désormais plus fréquemment que par le passé, la compétence des institutions représentatives devient indispensable afin de gérer les contentieux susceptibles de naître des dons et des subventions accordés à un candidat, à un parti ou à un groupement politique par une personne physique ou morale. Ces financements de campagne, liés à l’élection des trois pouvoirs, ouvrent droit à une réduction d’impôts pour les donateurs, conformément aux procédures légales en vigueur.
Les partis politiques ne disposent plus, comme par le passé, de la possibilité d’utiliser les fonds du Trésor public sans fournir un compte rendu approprié. Désormais — ou du moins à ce stade — ils sont tenus de soumettre au CEP et au ministère de l’Économie et des Finances un rapport détaillé, accompagné de toutes les pièces justificatives attestant l’utilisation de la subvention reçue. Des sanctions sévères sont prévues à l’encontre des contrevenants, allant jusqu’à l’interdiction de participer à toute activité politique pendant plusieurs années.
La loi électorale reconnaît également aux candidats et aux partis politiques le droit de recevoir, en plus de la subvention accordée par l’État, des dons en espèces provenant de personnes physiques ou morales. Toutefois, ces contributions sont strictement encadrées : un don ne peut excéder 2 000 000 de gourdes par donateur et par assemblée électorale. De plus, toute personne physique ou morale ayant versé au moins 100 000 gourdes à un candidat, un parti ou un regroupement politique doit en informer le CEP. Les bénéficiaires sont soumis à la même obligation déclarative.
Dr. Emmanuel Charles
Avocat, sociologue, maîtrise en droit de l’économie et du développement
Notes :
(1) Nicolas Sarkozy, ancien président de la République française (2007-2012), a été accusé d’avoir financé sa campagne présidentielle avec des fonds libyens sous le régime de Mouammar Kadhafi.
