Résumé
Depuis notre indépendance, Haïti souffre d’une faiblesse chronique dans l’organisation et l’efficacité de ses institutions publiques due non seulement à la culture de centralisation du pouvoir mais aussi à la pratique de non-responsabilité des dirigeants. La séparation des pouvoirs, souvent proclamée dans nos constitutions, n’a jamais trouvé une traduction réelle dans la pratique. Face à cette crise structurelle, l’Assemblée Nationale de la Jeunesse (ANJ) propose une réorganisation ministérielle assez ambitieuse dans trois articles constitutionnels (XI, XII et XIII). Ces articles visent à réduire et spécialiser le nombre de ministères, à redéfinir le rôle et le fonctionnement du Conseil des ministres et à établir des critères clairs de compétence, de probité et de responsabilité pour la nomination et l’exercice de la fonction ministérielle.
Un contexte économique critique
Le fonctionnement des ministères fait partie du budget de l’État et nécessite une bonne organisation et aussi un bon fonctionnement. Dans l’état actuel des choses où le PIB du pays pour l’année 2024 a chuté de -4 %, ce qui équivaut à seulement 20,325 milliards de dollars, pour une inflation de 26,6 %. Il est vrai que dans un état de déclin économique et d’insuffisance financière aussi chaotique que la nôtre l’État haïtien doit expressément limiter au plus grand possible ses dépenses et ne peut en aucun cas se permettre des dépenses inutiles. Par cela, il faudrait une réorganisation de la bureaucratie des ministères tant dans leur quantité que dans leurs organisations internes.
Des redondances coûteuses
Le nombre de ministères en Haïti s’élève à 18. Parmi ces nombreux ministères, beaucoup d’entre eux n’ont pas de raisons significatives ou nécessaires d’être. Certaines de leurs fonctions se répètent et s’entremêlent comme-ci il n’y avait aucune classification distincte des taches pendant la création de ces ministères. Par exemple, le ministère des affaires étrangères, le ministère des haïtiens vivant à l’étranger et celui de la planification et coopération externe, ont tous les trois la même raison d’être qui est de : « Gérer les intérêts haïtiens à l’étranger ».
Il y a aussi comme exemple le ministère de l’environnement et le ministère de l’agriculture et des ressources naturelles. Ces deux entités ont quasiment le même objectif qui est de protéger l’environnement — cependant même en étant deux ces derniers ne puissent réussissent leurs tâches. Selon Global Forest Watch entre 2001 et 2023 Haïti a perdu environ 78,9 kilomètres carrés de forêts — et en 2023 2,58 kilomètres carrés de forêts ont encore disparu. Cela traduit l’échec chaotique des deux ministères qui ont pour autant reçu plus de 3,2 milliards de gourdes en 2023, dont 1,5 milliard pour des projets de reboisement. Il parait donc plus que nécessaire de fusionner ces deux ministères en un seul pour économiser et rationaliser les dépenses de l’État. Ce ministère serait le Ministère de l’Agriculture, de l’Environnement.
Un autre exemple clé est le Ministère de la Culture et de la Communication et celui des Travaux Publics, Transports et de la Communication. Ces deux ministères gèrent la communication ; pourquoi donc l’État haïtien nécessiterait-il deux ministères de la communication ? Est-ce qu’il communique plus que les autres États du monde ? Cette redondance insensée est la preuve idéale que l’État haïtien dépense inutilement l’argent public. En ce sens, Il faudrait regrouper la communication dans un secrétariat d’état au sein du Ministère du Tourisme et de la Culture, et laisser le Ministère des Infrastructures et de l’Aménagement du Territoire s’occuper des routes, ponts, ports et aéroports.
Il faudrait aussi rénover le ministère de la justice qui est trop influencée par le pouvoir politique, selon des rapports comme ceux de la Fondation Je Klere et du RNDDH (2023). Il serait judicieux de supprimer le ministère de la Justice et de créer un Procureur general de la République rattaché au Pouvoir Judiciaire pour assurer l’indépendance et l’impartialité de la justice en Haïti.
Le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes devrait aussi subir des modifications dans la mesure où dans la réalité des choses, avec le manque d’argent de l’État, un ministère pour un groupe précis et bien déterminé est trop coûteux. Un État en carence doit gérer ses rations pour tous, non pour un groupe de personnes. En ce sens, il serait judicieux de supprimer le ministère des Femmes en Haïti.
Une réforme pour l’efficacité
Pour améliorer la gestion du gouvernement et du pays, l’Assemblée Nationale de la Jeunesse (ANJ) propose trois idées principales :
1. Fusionner certains ministères qui partagent les mêmes fonctions.
2. Éliminer les ministères qui deviennent plus un poids lourd qu’un outil de développement économique pour l’État.
3. Réorganiser le nombre et les fonctions des secrétaires d’État.
En ce sens, l'Article XI de l’avant-projet propose en premier lieu une restriction à 15 du nombre total des ministres dans le gouvernement. Ensuite, l’ANJ propose 14 ministères qui seraient réorganisés selon la disposition suivante : 1) Ministère des Affaires Étrangères et de la Diaspora ; 2) Ministère de la Défense ; 3) Ministère des Finances Publiques ; 4) Ministère de l’Économie et du Commerce ; 5) Ministère de la Santé ; 6) Ministère du Tourisme et de la Culture ; 7) Ministère du Travail et des Ressources Humaines ; 8) Ministère de l’Énergie et de la Technologie ; 9) Ministère de l’Éducation ; 10) Ministère des Infrastructures et de l’Aménagement du Territoire ; 11) Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité Nationale ; 12) Ministère de l’Agriculture, de l’Environnement ; 13) Ministère du Transport et de la Circulation ; 14) Ministère du Contrôle et de l’Efficacité Gouvernementale. Au lieu d’un Ministère de la Justice, il y aurait un Procureur Général de la République serait créé pour gérer la justice de manière indépendante du Pouvoir Exécutif.
Réformer des secteurs clés
1) Justice et sécurité : La proposition consiste tout simplement à remplacer le ministère de la Justice et de la Sécurité publique par un Procureur Général et fusionner la sécurité publique avec le Ministère de l’Intérieur. Nous aurons donc un procureur général et un ministère de l'Intérieur et de la Sécurité intérieure. Le procureur général lui sera indépendant du président, afin de garantir une application équitable des lois et une indépendance du système judiciaire vis-à-vis du Pouvoir Exécutif. Le ministère de l'Intérieur et de la Sécurité intérieure quant à lui sera responsable des questions de police et de sécurité, mais ne s'occupera pas des affaires judiciaires. En séparant la sécurité nationale du ministère de la Justice, chacun pourra se concentrer sur ses responsabilités, et nous évitons ainsi que la sécurité nationale ne soit entravée comme le ministère de la Justice l'est actuellement.
2) Administration et coordination : L’administration haïtienne est souvent lente et mal organisée. Pour régler cela, on propose de créer un ministère du Contrôle et de l’Efficacité gouvernementale, afin d’améliorer la coordination entre les institutions. Ce ministère aiderait l’État à être plus rapide et efficace. En plus, un secrétaire d’État à la Décentralisation permettrait aux maires et aux régions de prendre des décisions sans attendre Port-au-Prince, ce qui rendrait les actions locales plus rapides.
3) Économie durable : Pour favoriser le développement du pays, il est essentiel de séparer la croissance économique de la gestion financière. En ce sens, un ministère de l'Économie et du Commerce se chargerait de concevoir des projets de développement économique et un ministère des Finances gèrerait les fonds publics et contrôlerait les budgets pour éviter tout gaspillage. Enfin, un secrétariat à l'Énergie chercherait des solutions durables pour un accès à l'électricité propre pour tous, notamment par le recours aux énergies renouvelables.
4) Education : Le système éducatif haïtien a besoin d’une grande réforme. Le ministère de l’Éducation pourrait créer un secrétariat à l’Éducation numérique pour intégrer la technologie et Internet dans les écoles, car aujourd’hui, très peu d’écoles publiques en ont. Aussi, un secrétariat à la Jeunesse et aux Sports aiderait les jeunes à participer à des activités et des programmes sportifs, pour leur donner plus d’opportunités et les aider à préparer un meilleur avenir.
Un gouvernement mieux structuré
Pour un gouvernement mieux structuré, nous proposons aussi que Dans l’Article XII, on propose que le Conseil des ministres soit dirigé par le Président ou le Vice-Président. Les secrétaires d’État pourront être consultés sur certains sujets quand c’est nécessaire. Des réunions plus petites peuvent se faire, mais toutes les grandes décisions doivent être approuvées par tout le Conseil. Aussi, les discussions seront écrites dans un registre, signé par les membres présents, et gardées confidentielles pour assurer la transparence et le sérieux du gouvernement.
Dans l’Article XIII, on met des règles claires pour devenir ministre ou secrétaire d’État : il faut être Haïtien sans double nationalité, payer ses impôts, avoir au moins 25 ans, et avoir une licence ou 7 ans d’expérience dans le domaine. Il faut aussi n’avoir jamais été condamné et avoir ses droits civils et politiques. Ces conditions garantissent que ceux qui dirigent le pays soient compétents, honnêtes et responsables.
Vers une nouvelle culture de gouvernance
Cette réforme gouvernementale ne se limite pas à une simple réorganisation administrative. Elle vise à installer dans la bureaucratie de l’État haïtien une culture de performance, de contrôle, de clarification des responsabilités et d’adaptation constante aux besoins et moyens du pays. Dans le contexte actuel, Haïti ne peut plus se permettre de fonctionner avec un gouvernement éclaté, où les responsabilités sont floues et les décisions entravées par des structures inefficaces – ni tolerer une bureaucratie plus grande que sa bourse. Cette réforme stipulé dans l’Avant projet de Constitution de l’ANJ propose la voie à un État moderne, efficace et responsable, capable de répondre aux défis démocratiques, économiques et sociaux du XXIᵉ siècle
Auteur : Jean Brice Tristant & Éditeur web : Godson Moulite
Références
1) Assemblée Nationale de la Jeunesse. (2025). Avant-projet de Constitution de juin 2025. Port-au-Prince : ANJ.
2) Banque Interaméricaine de Développement. (2022). Étude sur la gestion des infrastructures publiques en Haïti. Washington, DC : BID.
3) Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes. (2023). Innovation et développement technologique en Haïti. Santiago, Chili : CEPALC.
4) Fondation Je Klere & Réseau National de Défense des Droits Humains. (2023). Rapport sur l’influence politique dans le système judiciaire haïtien. Port-au-Prince, Haïti.
5) Global Forest Watch. (n.d.). Haiti country dashboard (2001–2023). https://www.globalforestwatch.org/dashboards/country/HTI
6) Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique. (2024, décembre). Rapport économique 2024 : croissance, inflation et pauvreté en Haïti. https://ihsi.gouv.ht/public/storage/ce-datas/December2024/r1ZsKGseZUKODHGRJewJ.pdf
7) Programme des Nations Unies pour le Développement. (2021). Rapport sur la gouvernance et la performance administrative en Haïti. Port-au-Prince, Haïti : PNUD.
8) Trading Economics. (n.d.). Haiti GDP (Gross Domestic Product). https://tradingeconomics.com/haiti/gdp
9) United States Agency for International Development. (n.d.). Agriculture and food security in Haiti. https://www.usaid.gov/haiti/our-work/agriculture-and-food-security
10) UNESCO. (2022). Rapport sur l’accès numérique dans les écoles publiques haïtiennes. Paris, France : UNESCO.