La durée de vie de HOPE étant à terme, le silence des autorités américaines sur son éventuel renouvellement semble la mettre en agonie en dépit du lobbying intense des défenseurs de la sous-traitance textile Ayitienne pour qu’elle survive. Ayant raté les opportunités de développement de l’industrie textile qu’elle a offertes depuis plus d’une décennie, l’économie Ayitienne n’arrive pas à respirer à plein poumon la bouffée d’air que présageait l’ex-Ministre du commerce et de l’Industrie, Mme. Maguy Durcé.(2) Vu les conditions socio-économiques dégradantes aujourd’hui, même si renouvelée, en aucun cas la sous-traitance ne pourrait se remettre à niveau, voire relancer l’économie. De toute évidence, les coûts du lobbying pour garder en vie la sous-traitance, son berceau dans l’industrie textile, se révèlent infructueux et nuls.
Il convient de profiter de ce hiatus commercial pour repenser les stratégies économiques et politiques commerciales boiteuses qui ont conduit la sous-traitance à asphyxier l’économie Ayitienne depuis l’application de la Caribbean Basin Initiative (CBI) au début des années 80. Celle-ci, qui favorisait la délocalisation du dernier maillon de l’industrie textile en Ayiti ou ailleurs dans la Caraïbe, soit l’unité d’assemblage à laquelle est accroché l’espoir de toute relance de l’économie du pays, exigeait que les intrants comme le coton, le fil et le tissu, ne se produisent pas dans les pays hôtes pour que la délocalisation des firmes multinationales soit possible.
Il était juste de croire que la délocalisation allait créer beaucoup d’emplois, mais la condition excluant du processus les maillons de production d’intrants qui précèdent l’assemblage dans l’industrie textile comme dernier maillon, l’a pervertie. Avoir accepté d’en faire abstraction a été la première erreur monumentale qui a tué dans l’œuf l’idée de relance de l’économie. Perdant le droit de créer en amont de la valeur ajoutée au long de la chaîne de l’industrie a fait évaporer le rêve de création d’emplois massive associée à un non-transfert de connaissances et de technologie.
La loi HOPE modifiant la CBI était conçue implicitement pour faciliter le développement économique des pays hébergeurs et non simplement pour jouir de l’absence de tarifs douaniers sur le marché américain via la sous-traitance. Concrètement, elle a permis que lesdits intrants des produits textiles finis viennent d’ailleurs. Etant relativement nombreux, les maillons qui précèdent celui de l’assemblage offraient une opportunité inestimable de relancer l’économie Ayitienne. Telle était la raison de l’appellation « bouffée d’air » donnée à la loi HOPE par l’ex-ministre. Si elle avait vu juste en imaginant la mise en branle de nombreux chantiers de production de tissus, du fil, de la teinture et du coton à partir d’une nouvelle stratégie de développement économique encourageant la création de nouvelles industries, la formulation des politiques commerciales protectrices et celles monétaires facilitant des prêts à l’investissement, les adeptes de la sous-traitance eux-mêmes à tort ou à raison et par prudence n’y avaient pas pris goût et trouvaient répulsive toute idée d’initier la machine de la production locale desdits intrants. Ne pas vouloir prendre le risque de relancer la production locale a été la deuxième erreur monumentale.
Peut-être, emparés d’incertitude dans un environnement économique à haut risque, les parties prenantes ne juraient que par la sous-traitance, malheureusement. En effet, les arrêts fréquents des activités par des manifestions populaires chroniques, le déficit du système de provision en électricité et en eau potable, et l’inadéquation du réseau routier ont rendu l’environnement précaire et défavorable à toute initiative d’investissement dans la machine de production du pays. S’y aventurer comme producteurs ne valait pas le coup pour eux. Ils ont préféré se confiner dans la sous-traitance apparemment moins risquée et plus rentable dans le court terme.
En état d’autarcie involontaire aujourd’hui avec l’augmentation tarifaire de 10% imposée à toute la région par le président américain Donald Trump et la restriction sévère du transport aérien affectant l’aéroport Toussaint Louverture agrémenté du silence des autorités américaines sur le renouvellement de la loi HOPE, le contexte est idéal pour repenser l’économie Ayitienne.
Il siérait d’adopter la stratégie de développement économique de substitution à l’importation qui embrayerait la machine de production locale vers des produits manufacturés et agricoles préalablement importés. Cette démarche serait accompagnée d’une révision des politiques commerciales déterminant quels produits à importer ou exporter et à quel degré. Les secteurs porteurs cibles, aussitôt identifiés, nécessiteraient autant une révision des politiques monétaires devant favoriser des prêts à l’investissement à un taux d’intérêt nettement en dessous de 10% auprès des banques commerciales. Cela étant dit, il est encore possible de ressusciter la sous-traitance en redéfinissant la délocalisation pour rendre effective la production locale des intrants et faciliter le transfert de connaissances et de technologie souhaité. Ne pas embrasser cette nouvelle stratégie sera la troisième erreur monumentale.
- Ce texte invite les autorités concernées à prendre ou reprendre connaissance de la teneur du livre : «Refondre la chaîne de l’industrie textile en Ayiti.» de Poincy, Jean (2012). Ayiti : C3 Group.
- Cyprien L. Gary (2006): Le HOPE, « une bouffée d'air pour le textile haïtien » Disponible sur https://lenouvelliste.com/article/37881/le-hope-une-bouffee-dair-pour-le-textile-haitien (Consulté le 6 octobre 2025).
Jean Poincy
Ex-vice-recteur aux affaires académiques
Université d’Etat d’Haïti