En France aujourd’hui, l’obsession anti-algérienne et anti-musulmane est devenue le centre névralgique du débat politique. Cette fixation dépasse largement les propos racistes ordinaires pour s’installer comme un système organisé de stigmatisation et d’exclusion.
dans l’imaginaire collectif sont devenus le bouc émissaire universel. Chômage, insécurité, crise du logement, difficultés scolaires : tout est imputé à leur présence. Cette monocausalité délirante imprègne désormais le langage politique quotidien.
La stigmatisation procède par glissements successifs. D’abord, la désignation comme différents. Ensuite, la construction comme problématiques. Puis, la caractérisation comme dangereux. Enfin, l’identification comme ennemis intérieurs. Chaque étape rend la suivante possible, crée les conditions de son acceptabilité sociale.
Comme les juifs des années 1930, les musulmans font l’objet d’une essentialisation radicale. Ils ne sont plus perçus comme des individus mais comme une masse indifférenciée, réduite à une seule caractéristique : leur religion ou leur origine. Leur patriotisme est perpétuellement mis en doute, leur loyauté suspecte, comme si être musulman rendait impossible l’attachement à la France.
Le discours du “grand remplacement” reprend presque mot pour mot les obsessions démographiques des années 1930 concernant la “pullulation” juive. On compte les musulmans, on projette leur croissance, on fantasme sur une submersion inéluctable. Cette rhétorique de l’urgence existentielle légitime toutes les transgressions, tous les reculs civilisationnels.
Les pratiques religieuses ordinaires deviennent suspectes par nature. Le voile est transformé en menace publique, les mosquées surveillées, leurs fidèles fichés. Le musulman qui prie est potentiellement un extrémiste ; celui qui ne prie pas est peut-être un dissimulateur. Cette logique du double bind révèle que le problème réside dans l’existence même du groupe, non dans ses comportements.
Les études sociologiques le démontrent : à CV identique, un candidat portant un nom maghrébin a beaucoup moins de chances d’obtenir un entretien. À dossier comparable, une famille maghrébine peine davantage à trouver un logement. Les contrôles d’identité au faciès visent quasi exclusivement les jeunes perçus comme arabes ou noirs. Ces discriminations créent un apartheid de fait, une citoyenneté de seconde zone.
Une chaîne de responsabilités
Cette dérive implique une chaîne d’acteurs. L’extrême droite joue un rôle moteur, mais plus grave est la responsabilité des partis “républicains” qui ont repris à leur compte des thématiques d’extrême droite, pensant conjurer son influence. Stratégie désastreuse qui a eu l’effet inverse : en légitimant ces thèmes, ils ont normalisé l’idéologie haineuse.
Des ministres tiennent des propos qui, il y a vingt ans, auraient provoqué leur démission immédiate. Les élus rivalisent de surenchère dans la désignation de boucs émissaires, comme si la respectabilité politique se mesurait à l’intensité de la rhétorique anti-musulmane.
Les médias amplifient cette obsession. Les faits divers impliquant des personnes d’origine maghrébine font l’objet d’une couverture disproportionnée, tandis que les discriminations quotidiennes subies par ces populations restent invisibles. Loi après loi — sur le séparatisme, le voile, l’immigration — la République accumule les textes créant un cadre juridique d’exception pour une partie de sa population.
Les médias, obsédés par l’audimat, ont transformé l’islamophobie en spectacle permanent. Une partie de l’intelligentsia a produit une rhétorique islamophobe sophistiquée, apportant une caution savante au rejet des musulmans.
Une production intellectuelle pseudoscientifique vise à démontrer l’incompatibilité des musulmans avec la civilisation française. Des essayistes à succès expliquent doctement pourquoi l’islam serait par essence incompatible avec la République. Ces thèses, relevant davantage de l’idéologie que de l’analyse rigoureuse, créent un climat où la haine devient respectable.
Un choix de civilisation
Dans les années 1930, les juifs n’ont pas été envoyés dans les camps du jour au lendemain. Il a d’abord fallu les désigner, les problématiser, les diaboliser, les déshumaniser. Nous assistons aujourd’hui aux premières étapes de ce processus concernant les musulmans.
Ce parallèle n’est pas une provocation mais un avertissement fondé sur l’observation rigoureuse des mécanismes sociaux à l’œuvre. L’Histoire ne se répète jamais à l’identique, mais elle transpose ses structures, elle rejoue ses patterns. Les persécutions ne commencent jamais par les camps mais par les mots, par les lois, par les petites exclusions quotidiennes.
Les sociétés démocratiques peuvent basculer dans la barbarie quand les citoyens ordinaires choisissent la passivité face à l’injustice. Mais elle nous enseigne aussi que la résistance est toujours possible, que l’humanité peut l’emporter sur la haine. Heureusement, des résistances existent. Des associations antiracistes, des collectifs citoyens, des intellectuels lucides, des journalistes intègres et même des humoristes de gauche combattent cette dérive. Les musulmans eux-mêmes, loin du repli communautaire qu’on leur reproche, continuent de s’investir dans la société française, témoignant d’une résilience remarquable.
La France se trouve à un carrefour. Elle peut continuer sur la pente de la stigmatisation et trahir définitivement les principes républicains qu’elle prétend défendre. Ou elle peut choisir de rompre avec cette obsession pathologique et traiter tous ses citoyens avec l’égale dignité qu’ils méritent.
La question posée aujourd’hui à la société française est simple : quelle France voulons-nous ? Une France qui exclut et persécute une partie de ses enfants ? Ou une France qui honore véritablement sa devise en traitant tous ses citoyens en frères et en égaux ? Le choix que nous faisons collectivement aujourd’hui déterminera le visage de la France de demain et le jugement que l’Histoire portera sur nous.
Maguet Delva
Paris, France
