Le Conseil présidentiel de transition (CPT) arrive en fin de course. La question n’est plus de savoir s’il doit partir, mais par quoi le remplacer.
Depuis quelque temps, la suspension brutale du suffrage universel est devenue la stratégie privilégiée d’hommes politiques haïtiens dépourvus de toute légitimité démocratique, mais désireux de gouverner le pays. L’opposition multiforme qui a succédé au président Jovenel Moïse s’apprête à passer cinq ans au pouvoir — soit l’équivalent d’un mandat présidentiel — dans le cadre d’une transition circulaire, conçue par des politiciens coupés du peuple, pour se maintenir aux commandes sans son consentement.
Ainsi, la notion même de transition politique a perdu toute signification. Elle est devenue, pour certains acteurs hostiles à la démocratie libérale consacrée par la Constitution, une véritable « banque à dévaliser » en toute impunité. Ce cycle infernal, où des gouvernements élus sont renversés au profit de pouvoirs non délégués pour satisfaire des intérêts personnels, constitue l’une des principales causes de l’instabilité chronique du pays.
Il n’y aura pas de prolongation. Le CPT connaîtra le même sort que le gouvernement d’Ariel Henry, resté 31 mois au pouvoir sans organiser d’élections, prolongeant ainsi cette interminable succession de gouvernements éphémères marqués par la rupture de l’ordre démocratique et constitutionnel.
Il est temps de mettre fin à cette logique perverse. La nouvelle démarche politique doit être celle de la modernité et de la responsabilité. Elle passera nécessairement par l’émergence d’une génération de dirigeants compétents, patriotes et intègres, capables de défendre les intérêts nationaux, de restaurer la confiance publique et d’assurer une gestion saine et transparente de la chose publique.
Retour à l’État de droit
Déclarer l’urgence de retourner à l’État de droit n’est pas une provocation. C’est un rappel : Haïti est une République démocratique, et il est inadmissible qu’elle soit gouvernée en permanence par des dirigeants dépourvus de mandat populaire.
À mesure que s’approche la date butoir du 7 février 2026, une classe politique corrompue, alliée à un secteur privé ayant prospéré depuis des décennies dans le chaos et le crime organisé, sombre dans la panique. On annonce la préparation d’élections qui, au vu des conditions actuelles, risquent fort d’être entachées d’irrégularités. Comment organiser ces élections promises sous pression internationale dans un contexte de désordre généralisé ?
Comment réguler ce chaos ? Quelle Constitution encadrera les pouvoirs des prochains représentants du peuple ?
Cette semaine, à l’issue d’un Conseil des ministres marqué par la confusion, on a appris avec stupéfaction que le décret référendaire — l’acte par lequel le CPT et le gouvernement avaient tenté d’abroger la Constitution de 1987 — avait été annulé. Cela signifierait-il que l’Acte d’Indépendance que ce Conseil invoquait pour justifier ses actions cesse désormais d’être la norme fondamentale ?
Toujours est-il que ces projets de « réformes constitutionnelles » et de « référendums » ont déjà englouti des sommes colossales : 40 millions de dollars américains sous l’administration de Jovenel Moïse et 600 millions de gourdes sous la gouvernance du CPT. Qui a mis en place ce véritable laboratoire de référendums ratés ? Qui en sont les instigateurs ? Mystère et boule de gomme !
Pendant plusieurs mois, ce pouvoir de facto a plongé le pays dans une insécurité juridique et institutionnelle dévastatrice pour l’État. La violation de la Constitution — sa suppression pure et simple par un pouvoir illégitime — peut-elle rester sans conséquence ? Le CPT peut-il décider, selon son bon vouloir, de l’existence ou non de notre Loi fondamentale ? Que dira le peuple, seul dépositaire de la souveraineté nationale, auteur et gardien du texte de 1987, face à ce Conseil et à un Premier ministre de facto qui ont délibérément sacrifié son œuvre ?
Le départ du CPT, prévu pour le 7 février 2026, ne doit pas seulement marquer la fin d’une catastrophe, mais aussi le commencement d’un renouveau pour Haïti. On ne peut pas reprendre les mêmes pour recommencer. Le recyclage des échecs et la reconduction de la déchéance au sommet de l’État ne sauraient être une option.
Dans ce contexte, le Front républicain doit se renforcer face à la catastrophe qui s’annonce — lente, mais certaine. Le bloc titanesque que représente le CPT est impuissant : il ne peut rien faire, sinon adresser son dernier adieu. La fin de son mandat ne découle pas seulement du temps écoulé, mais de son incapacité à assumer les missions pour lesquelles il avait été désigné.
Nous sommes à un moment de responsabilité. Il nous faut prendre des décisions courageuses, capables de créer une véritable convergence nationale afin de dégager une issue réaliste et durable à la détresse que traverse la nation.
Trois options possibles
Pour l’instant, trois options sont sur la table et méritent d’être examinées avec attention.
Certains groupes politiques et organisations de la société civile défendent l’idée de recourir à la Cour de cassation pour remplacer le CPT.
Les partisans de cette proposition estiment qu’il s’agit de la solution la plus viable et la plus simple, car elle aurait la vertu d’assurer la neutralité de la transition et d’éviter qu’elle ne soit confisquée par certains secteurs politiques au détriment d’autres — comme c’est actuellement le cas avec un CPT dominé par des groupes qui monopolisent l’État et son administration depuis dix-huit mois.
Ils rappellent également que, dans l’histoire politique récente, le recours à la Cour de cassation a permis de surmonter certaines crises : ce fut le cas en 1990 avec la juge Ertha Pascal-Trouillot, et en 2004 avec le juge Boniface Alexandre.
Enfin, ils soutiennent qu’en l’absence des deux autres pouvoirs désormais dysfonctionnels, le pouvoir judiciaire — à travers la Cour de cassation — demeure le seul à disposer de la légitimité nécessaire pour assumer la transition.
En effet, selon les articles 58 et 59 de la Constitution de 1987, temporairement supprimée puis rétablie par le CPT, ce pouvoir assure, avec l’Exécutif et le Législatif, l’unité de la souveraineté nationale.
D’autres secteurs, en revanche, estiment que la réponse à la crise actuelle ne peut être uniquement politique. Selon eux, toutes les institutions ont été anéanties par le chaos ambiant ; il ne peut donc y avoir de solution véritablement institutionnelle, encore moins constitutionnelle, à la crise.
Même si la formule du recours à la Cour de cassation était retenue, il faudrait encore parvenir à un large consensus entre les différents acteurs politiques et sociaux. Dans l’état actuel des choses, ces secteurs croient que la solution pourrait résider dans une mobilisation conjointe de la société civile et politique.
Un Conseil de gouvernement restreint à trois membres leur semblerait plus viable que la délégation du pouvoir à un juge de la Cour de cassation, jugé trop éloigné des réalités, des débats et des préoccupations citoyennes. Ils rappellent d’ailleurs que la Cour de cassation elle-même fait partie du problème, car celle-ci était restée silencieuse lorsque les dirigeants de facto ont décidé de suspendre la Constitution de 1987, alors que sa mission première est d’en garantir la suprématie et de veiller au respect de la règle de droit ? Ce silence — qu’il soit le fruit du calcul ou de l’ignorance de son rôle fondamental — ne plaide pas en faveur d’un tel recours.
Face à la gravité de la crise, certains groupes politiques jugent la Cour de cassation inapte à gérer la situation et contestent sa neutralité. Selon eux, elle est désormais sous l’influence de forces nationales et internationales cherchant à confisquer la transition pour préserver leurs privilèges, au détriment des aspirations du peuple haïtien.
Selon eux, la neutralité évoquée par certains ne saurait venir de la Cour de cassation, minée par un profond déficit de crédibilité et de légitimité. Elle devrait plutôt s’imposer dans la manière même de concevoir et de conduire la nouvelle transition politique.
Cependant, la mise en place d’un Conseil de transition composé de trois membres — proposée comme alternative au CPT — soulève plusieurs difficultés majeures. Il n’est pas impossible de trouver des personnalités crédibles issues des milieux politiques et sociaux, mais comment les choisir et selon quels critères de représentativité ? La classe politique, déjà discréditée par ses divisions, a achevé de perdre la confiance du peuple. Son implication dans l’expérience désastreuse du CPT a accéléré sa déchéance.
Si cette proposition présente certains avantages, notamment sur les plans politique et diplomatique, dans un contexte où toutes les institutions nationales sont en ruine, elle comporte aussi un risque considérable : celui de prolonger indéfiniment la vacance du pouvoir exécutif. Les divergences profondes qui traversent la classe politique et la persistance des intérêts claniques, égoïstes et mesquins au détriment du bien commun pourraient condamner une telle formule à l’échec.
Une approche mixte
Par ailleurs, certaines voix politiques, conscientes des difficultés à rapprocher des groupes défendant des solutions opposées, suggèrent une approche mixte.
Cette option consisterait à mettre en place un organe présidentiel composé d’un membre de la Cour de cassation et de deux représentants désignés par les secteurs politiques. Placée sous la présidence du juge, cette instance aurait pour mission de former un gouvernement technocratique et non partisan, chargé de conduire le pays vers l’organisation d’élections crédibles et transparentes.
S’il semble plus aisé de choisir le représentant de la Cour de cassation, la sélection des deux autres membres, dans le cadre d’un consensus politique, demeure problématique. La division persistante au sein de la classe politique reste un obstacle majeur à toute démarche concertée.
La communauté internationale, qui contrôle désormais l’essentiel du terrain politique et sécuritaire en raison de la faillite des élites haïtiennes, pourrait être tentée d’imposer sa propre solution si les Haïtiennes et les Haïtiens ne parviennent pas à concevoir une alternative nationale fondée sur l’unité et la responsabilité.
Il est non seulement urgent, mais aussi vital, que toutes les forces patriotiques, sociales et citoyennes, que les hommes et les femmes de valeur que compte ce pays, dépassent leurs clivages pour bâtir ensemble une solution commune, souveraine et durable.
Seule une union sincère, guidée par l’intérêt supérieur de la nation et animée par la volonté de servir, permettra de sortir Haïti de l’impasse, de raviver l’espoir collectif et de remettre en marche une nation trop longtemps réduite au silence et à l’immobilisme.
Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel et de méthodologie de la recherche juridique à la faculté de droit et des sciences économiques de l'université d'État d'Haïti.
Université du Québec à Montréal
Montréal, 13 octobre 2025
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