Journée internationale des droits des personnes handicapées : le Centre Sœur Anne Camille Coyret (CSACC) plaide en faveur du respect du droit à l’éducation des enfants handicapés en Haïti

Introduction

Par sa résolution du 47/3 du 14 octobre 1992, l’Assemblée générale de l’ONU a proclamé   le 3 décembre comme journée internationale des droits des  personnes handicapées. Loin d’être une journée de festivités et de réjouissances, elle est une occasion pour les pouvoirs publics et la société civile d’organiser des activités de réflexions, d’échanges, de sensibilisation sur les conditions de vie et le respect des droits des personnes handicapées(PH). C’est aussi un moment pour soumettre à l’évaluation les politiques publiques et les ressources destinées à l’intégration des personnes handicapées au niveau de chaque pays.  En Haïti,   cette journée est commémorée depuis une dizaine d’années et constitue une occasion pour des acteurs tant dans la société civile que dans le pouvoir public d’organiser des activités de réflexions et de sensibilisation autour du respect des droits de cette catégorie dans notre société.

Voulant jouer son rôle de défenseur et de protecteur des droits des enfants en situation  difficile, notamment de ceux qui vivent avec une déficience,  le centre Sœur Anne Camille Coyeret (CSACC)conformément à son plan d’action pour l’exercice 2021-2022, saisit l’occasion de cette 29e édition de la journée internationale des droits des personnes handicapées pour lancer symboliquement  un cri d’alarme, à travers cet article,  contre les divers obstacles empêchant les enfants en situation de handicap de jouir pleinement de leur droit à l’éducation tel que garanti par la constitution de 1987 et par les différents instruments internationaux dont Haïti est signataire. D’entrée de jeu nous considérons comme personne handicapée toute personne qui présente des incapacités physiques, mentales, ou sensorielles durables dues à des déficiences dont l’interaction avec diverses barrières limitent leur participation effective dans la société sur une base égalitaire avec les autres. Dans cet article, nous présentons la situation des enfants handicapés en Haïti sur le plan éducatif en faisant ressortir les obstacles auxquels ils sont confrontés pour jouir de ce droit ; nous passons en revue le cadre légal haïtien qui garantit ce droit et analysons les différentes  approches sur l’éducation des enfants handicapés prônés dans le contexte international ; nous identifions aussi les différents obstacles à l’éducation des enfants handicapés en Haïti pour enfin donner des pistes de solutions pour les surmonter.

 

Situation des enfants handicapés sur le plan éducatif en Haïti

Une étude concernant les enfants exclus du système scolaire, menée au cours de la période 2011-2015 dévoile que 320 000 enfants ne sont pas scolarisés et environ 16 000 enfants de 11 à 15 ans ne fréquentent plus l’école. Au total, 500.000 enfants de 5 à 18 ans sont complètement exclus du système scolaire en Haïti (UNICEF,2017). Parmi les causes d’exclusion, le handicap des enfants constitue un élément majeur lorsqu’on considère les barrières et limites auxquels font face cette catégorie d’enfants du fait d’un faible accès à des services inclusifs pour pallier les effets négatifs d’un environnement inadapté sur sa déficience

Selon une enquête conduite en 1997-1998 par le Ministère de l’Éducation nationale via la CASAS (Commission de l’Adaptation Scolaire et d’Appui Social), sur une population de cent vingt mille (120,000) enfants et jeunes handicapés en âge de scolarisation, seulement deux mille dix-neuf (2019) soit 1.7% d’entre eux, fréquentaient l’école haïtienne. Dix ans après, nous sommes passés de 1.7 à 4% alors que le taux moyen de scolarisation des enfants non handicapés se situe à 74%. Or pratiquer l’exclusion sur le plan éducatif, c’est vouloir à tout prix maintenir le statu quo, c’est s’opposer résolument au progrès. Car c’est par la formation que l’on parviendra à déghettoïser, « désingulariser » la question du handicap, pour paraphraser Charles Gardou.

Pourtant en dépit de ces conditions difficiles que vivent les enfants handicapés pour avoir accès à l’éducation, il existe  un cadre légal haïtien favorable à la jouissance d’un tel droit. La constitution amendée en son article 32.5 reconnait que tout enfant a droit à l’éducation et exigence est faite à l’État haïtien de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’effectivité dudit droit à tous les enfants y compris les enfants handicapés. La Convention concernant la lutte contre la discrimination dans l’enseignement qui proclame le droit de tous à l’éducation dont Haïti est signataire, reconnait le rôle crucial de l'éducation pour assurer l'égalité des chances de tous les groupes raciaux, nationaux ou ethniques et aussi un moyen de permettre aux enfants tant qu’aux adultes de participer à la transformation des sociétés dans lesquelles ils évoluent. La Convention internationale au Droit de l’Enfance (CIDE) de 1989 et adoptée par Haïti en 1994, notamment en ses articles 23, 28 et suivants, consacre et exige des États parties le respect du droit à l’éducation de tous les enfants en prenant des mesures appropriées à cet effet. La loi du 13 mars 2012 portant sur l’intégration des personnes reconnait notamment en son article 32 et suivants que l’accès à l’éducation est garanti à toutes les personnes handicapées et l’exclusion du système éducatif, fondé sur le handicap est formellement interdite. Toutefois, si le cadre légal haïtien favorise le droit à l’éducation des enfants handicapés, les moyens et les infrastructures nécessaires à la mise en œuvre de ce droit se font encore attendre.

 

La persistance de l’inégalité dans le système éducatif

Malgré toute législation, tout principe ou cadre établi, il y a une inégalité de chance de pouvoir fréquenter l’école et qui engendre une discrimination. D’une part, toutes les catégories d’enfants en âge d’aller à l’école n’y ont pas accès. D’autre part, pour les marginalisés privilégiés, cet accès n’est donné que partiellement. Donc, on retrouve  des enfants qui n’ont pas les moyens d’aller à l’école et, des enfants qui y vont, mais qui sont limités dans le niveau scolaire atteint, dans la qualité d’éducation reçue, dans le type de traitement reçu dans les établissements scolaires. L’hypocrisie ou notre engagement dans un secteur quelconque nous emporterait à ne citer qu’une catégorie d’enfants victimes de cette situation, mais notre engagement citoyen nous porte à faire lumière sur plusieurs groupes d’enfants : ceux  en situation économique difficile, les enfants des milieux reculés des villes et villages, les enfants de sexe féminin, les enfants handicapés. Point n’est besoin de notifier que souvent ces critères se réunissent en un seul individu qui se voit alors défavorisés doublement, triplement, et même plus encore par la société. 

La convention de l’UNESCO apporte une précision sur l’égalité d’accès à l’éducation, par conséquent toute inégalité est considérée comme discrimination. Elle définit la discrimination comme « toute distinction, limitation ou préférence (…) fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la condition économique ou la naissance». De là, plusieurs questionnements surgissent : lorsque dans un pays, il n’existe pas suffisamment d’écoles gratuites pour les enfants démunis, ne peut-on pas catégoriser cette limitation de discrimination ? Que doit faire un enfant non voyant, sourd ou/et muet quand les écoles de son village n’enseignent pas en braille ou n’a pas de livres en braille, aucun cours avec traduction en langue des signes ? Quelles sont les possibilités pour un tel enfant de recevoir une éducation comme tous les autres qui n’est éventuellement pas adaptée ? La préférence n’est- elle pas clairement indiquée lorsque la majorité des établissements scolaires, publics et autres ne sont pas physiquement accessibles pour assurer la libre entrée et circulation aux déficients physiques principalement aux enfants en fauteuil roulant ?  On ne peut qu’ajouter face à ces préoccupations que l’École doit tenir compte des capacités de chacun et ainsi s’adapter pour que tout un chacun puisse en bénéficier. D’où l’importance du concept de l’éducation inclusive dans ce cas-ci qui reste encore un défi pour les sociétés même les plus avancées. Certes elle est très développée dans les pays scandinaves où 95% des jeunes en situation de handicap sont accueillis en milieu scolaire ordinaire  et trouvent leur place dans l’école la plus proche de leur domicile, mais ils restent encore à mettre en œuvre dans de nombreux pays de l’Union européenne.

 

Quelle stratégie à adopter pour la scolarisation des personnes handicapées ?

Si nous considérons le contexte international, les approches mobilisées pour faciliter la scolarisation des enfants handicapés peuvent se classer  en trois groupes. Dans le texte de Christa Prets et Henri Weber titré « Intégration et Handicaps : La situation européenne », on classe les pays européens en trois catégories selon l’importance qu’ils accordent à leur politique d’inclusion des jeunes ayant des besoins éducatifs spécifiques :

- Les pays pratiquant  le « one- track approach » (trajectoire unique), où les politiques et les pratiques sont orientées vers l’inclusion de presque tous les élèves dans l’école ordinaire. Ce type d’inclusion est soutenu par un large éventail de services destinés aux écoles ordinaires.

- Les pays pratiquant le « multi- track approach » qui ont de nombreuses approches de l’inclusion : ils offrent une grande variété de services entre le système ordinaire et le système spécialisé.

- Les pays ou deux systèmes éducatifs distincts coexistent sans se croiser (« two track approach »). Les élèves ayant des besoins particuliers sont d’habitude placés dans des écoles spécialisées ou des classes spéciales.

Pour certains pays, l’accès à l’éducation n’est déjà pas évident même pour les enfants considérés comme ‘’normaux’’  tenant compte de la situation économique difficile des parents et de la faible offre scolaire ; si on ajoute à ces situations, la question des enfants vivant avec un handicap on doit donc faire face à plusieurs embuches qui se dresseront contre la jouissance de ce droit. Face à cette socialisation qui est importante dans la vie de l’individu, cette catégorie se voit souvent empêchée, limitée. Certes il y a des enfants handicapés qui puissent fréquenter l’école, mais quel niveau scolaire peuvent-ils atteindre face à toutes les difficultés qu’ils vont rencontrer ? Ou encore quelle qualité d’éducation reçoivent- ils ? Voilà pourquoi nous appelons ces derniers des marginalisés privilégiés. En fait, ils jouissent du droit d’aller à l’école, mais aucune mesure n’est prise pour qu’ils soient traités comme tous les autres enfants. Qui dit traitement différent dit limitation, préférence… En somme, ils sont aussi marginalisés même s’ils peuvent s’estimer heureux de jouir un peu de cet accès.

 

Les obstacles à l’éducation des enfants handicapés en Haïti.

Une analyse minutieuse du milieu éducatif haïtien permet de dévoiler les différents obstacles auxquels font face les enfants handicapés pour accéder à une scolarisation. L’inaccessibilité des infrastructures scolaires reste encore  un blocage majeur pour un enfant vivant avec une déficience physique, particulièrement pour celui qui se déplace en fauteuil roulant, pour accéder à un bâtiment scolaire. En réalité, cet obstacle n’est pas forcement lié à la déficience de l’enfant, mais de préférence à l’inaccessibilité de l’environnement dans lequel il est appelé à évoluer. Les obstacles architecturaux ne constituent pas les seuls freins à l’accessibilité des élèves handicapés  à l’école. Les  préjugés, les discriminations et le non-respect de la différence constituent autant de défis à la scolarisation de cette catégorie.

Alors qu’il devrait être un facilitateur dans le processus de l’apprentissage de l’enfant à l’école, la méthode qu’utilise l’enseignant pour transmettre ses connaissances dans le cas d’un public diversifié (enfants handicapés et non handicapés) doit tenir compte du rythme d’apprentissage de l’apprenant et de ses besoins liés à sa déficience. En ce sens, l’enseignement inclusif appelé aussi ‘’apprentissage différencié’’ ou conception universelle de l’apprentissage est une méthode qui mise sur la diversité pour répondre aux styles  variés d’apprentissages des élèves. Il englobe une vaste gamme de pratiques exemplaires d’enseignement qui,  bien utilisées, transforment l’approche réactive à l’enseignement en une approche pro-active (Shaw 2011 ; Barkley 2010 ; Bowman 2010 et alli). Un professeur qui accueille dans sa classe des élèves ayant des troubles d’apprentissages et du langage (les DYS) est amené  à mettre en place, dans un souci d’inclusion, des  remédiations innovantes (Pédagogie inclusive) pour faciliter leur apprentissage au même titre que les autres élèves qui n’ont pas ces troubles. En agissant ainsi, le professeur reconnait que cette catégorie d’élèves a des besoins éducatifs particuliers par conséquent, les méthodes d’apprentissages doivent être adaptées en fonction de sa déficience. Le thème besoins éducatifs particuliers renvoie à tous les enfants et adolescents dont leurs besoins découlent de handicaps ou des difficultés d’apprentissage (Déclaration de Salamanque 1994) Toutefois, il faut bien le reconnaitre certains enfants ayant des handicaps très lourds ne peuvent être scolarisés que par une éducation spéciale comme pour évoquer l’un des principes de la déclaration de Salamanque sur l’éducation spéciale : « l’apprentissage doit être adapté aux besoins de chaque enfant, au lieu d'obliger l'enfant à s'adapter à des hypothèses établies quant au rythme et à la nature du processus d'apprentissage ». Même dans les cas exceptionnels où les enfants sont placés dans des écoles spéciales, il n'est pas nécessaire que leur éducation soit entièrement séparée. La fréquentation à temps partiel d'écoles ordinaires devrait être encouragée.

 

Quelques pistes de solutions pour favoriser la scolarisation des enfants handicapés en Haïti

Tout compte fait, Haïti a beaucoup à faire pour parvenir à une éducation inclusive. Sachant que l’inclusion est fort souvent une étape à atteindre, il serait judicieux de commencer par rendre les bâtiments scolaires accessibles, ce qui permettrait à un plus grand nombre d’enfants à mobilité réduite de les fréquenter. En effet, une mise en place des facilitateurs d’accessibilité, des adaptations réalisées dans les bâtiments scolaires et des mesures de compensation prises en faveur de l’enfant handicapé sont à même de lever les obstacles qui se dressent sur son parcours scolaire.

De ce fait, il parait nécessaire et même obligatoire de préparer l’accueil des enfants handicapés à l’école pour anticiper sur ces types de comportements et favoriser des relations interindividuelles entre les enfants handicapés et enfants non handicapés. La mise en place de formation pour les enseignants et enseignantes sur les techniques d’apprentissage inclusif est nécessaire ainsi que des formations pour le personnel académique sur l’inclusion afin d’éviter tout acte pouvant être qualifié de discriminant envers les enfants. Il est aussi nécessaire qu’un module sur les pratiques pédagogiques inclusives soit inséré dans le curriculum de formation des étudiants en science de l’éducation et d’administration scolaire pour les mieux outiller dans l’accueil et l’accompagnement éducatif des enfants handicapés dans leur parcours professionnel. La subvention économique accordée aux familles des enfants handicapés pour assurer les frais scolaires ainsi que la mise en place de services de soutien scolaire sont à encourager pour promouvoir et faciliter le droit à l’éducation de cette catégorie d’enfant.

 

 

 

Auteurs :

Carl-Henry SAINT-PIERRE,  Travailleur Social.

Spécialiste du Handicap et des Pratiques Inclusives.

E-mail : carlhenry1985@yahoo.fr

&

Alexandrine AMAZAN, Psychologue Sociale

Spécialiste en Inégalités et Discriminations

Email : lidza79@yahoo.fr

 

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