Depuis quelques années, dans le souci d'agir avec justice dans un système qui a longtemps marginalisé les femmes, notamment en matière de représentation politique, on en arrive parfois à provoquer l'effet inverse : les femmes engagées sont perçues avec suspicion, comme si leur participation relevait d'un privilège.
Le cas de se demander : L'adoption du principe des quotas, dans un pays comme Haïti qui se veut démocratique, constitue-t-elle vraiment un moyen efficace de promouvoir la participation politique des femmes face à la rigidité du système patriarcal ?
Lorsque les femmes accèdent au pouvoir, cela devrait être perçu comme une opportunité, non comme une menace. Pourtant, elles sont peu nombreuses à briguer la présidence en Haïti. Des figures comme Camille D. Sillaire, Edmonde Supplice Beauzile, Carole C. Roy, Josette Bijou ou Mirlande Manigat restent des exceptions.
Le quota de 30 à 40 % de participation féminine dans la vie publique, introduit dans la Constitution amendée de 2012 et dans le projet de 2025, est censé garantir une meilleure représentation. Mais il agit parfois comme un plafond ou un instrument de contrôle. Adopté sous influence internationale (ONU), il est appliqué sans véritable volonté politique.
Ce paradoxe est d'autant plus frustrant que des lois haïtiennes progressistes antérieures (comme la Constitution de 1950) avaient déjà amorcé une ouverture. Hélas, ce sont souvent les textes étrangers que l'on applique avec plus de zèle que nos propres productions.
La Constitution de 1950 reconnaissait aux femmes le droit de vote et d'éligibilité, d'abord pour les élections municipales, puis dans un délai de trois ans pour les autres postes électifs. Mais cette promesse n'a pas été tenue, comme beaucoup d'autres articles restés lettres mortes.
Sans les luttes individuelles et collectives des femmes, cet article aurait connu le même sort que d'autres transitoires oubliés. Leur mobilisation a permis de maintenir vivante une revendication fondamentale.
Pas de soutien concret aux femmes
Les femmes ne doivent pas être utilisées comme instruments symboliques ou publicitaires pour faire croire à une représentation. Il faut des actions réelles. Si l'on veut une participation politique significative, il faut un soutien concret : formation, financement, accompagnement logistique.
Certaines Premières Dames ont joué un rôle marquant. Michèle B. Duvalier, notamment, a redéfini cette fonction par sa visibilité et son ambition. D'autres femmes comme la juge Ertha Pascal-Trouillot ont laissé une empreinte durable, en organisant des élections historiques en 1990. Leur exemple montre qu'une participation féminine active est non seulement possible, mais bénéfique pour la nation.
Depuis 1986, Haïti peine à progresser, malgré les libertés offertes par la Constitution de 1987. L'éducation reste le parent pauvre, et sans elle, les citoyens votent parfois contre leurs propres intérêts. Les violences contre les écoles en sont la preuve : sans instruction, pas de participation citoyenne.
Les quotas, quant à eux, apparaissent comme une solution illusoire. Le droit, même inscrit dans la loi, ne suffit pas à changer les mentalités. Il faut aussi agir sur la culture politique et sociale.
Les données entre 2012 et 2017 montrent que la représentation des femmes stagne, voire recule. En 2015, aucune femme n'a été élue. En 2016, seulement 8 % des candidatures ont été retenues.
Les causes sont multiples : manque de préparation, barrières administratives, absence de soutien des partis. Le vote des femmes pour des hommes (ex. : Martelly contre Manigat en 2010) montre aussi qu'elles votent librement, mais cela ne remet pas en cause leur droit à une présence équitable.
Du 50/50 serait juste
Les articles 30, 30-1 et 30-2 de l'avant-projet de Constitution 2025 manquent d'engagement réel envers les femmes. Ils évoquent les citoyens, sans inclure explicitement les citoyennes. Ils encouragent la participation des femmes sans leur offrir les moyens financiers ou politiques de réussir.
Il est absurde de prétendre promouvoir l'égalité sans prévoir un véritable soutien aux candidatures féminines. La politique ne peut reposer sur des demi-mesures.
Les femmes haïtiennes ne peuvent plus rester simples spectatrices. L'histoire est pleine de figures féminines courageuses : Catherine Flon, Marie-Jeanne, Marie Dédée Bazile, Michèle Duvalier, Ertha Pascal-Trouillot... Il est temps de prendre leur exemple pour construire une véritable égalité politique.
La démocratie ne saurait se contenter de 30 ou 40 %. Si Haïti est faite de femmes et d'hommes, la représentation doit refléter cette réalité : 50/50. Si cet objectif ne peut être atteint immédiatement, il doit au moins être reconnu comme le but à atteindre, non une faveur, mais un droit.
Mon texte est un appel à un sursaut collectif. Les femmes ne peuvent plus être les témoins muets de l'effondrement d'Haïti. Elles doivent y participer pleinement, non par charité, ni par quota, mais par responsabilité citoyenne. Car la véritable reconstruction d'Haïti ne pourra se faire sans elles.
Emmanuel Charles
Docteur en droit
