À la suite d’une série d’articles dans lesquels je partageais mes rencontres avec les loups-garous, une amie – que j’appellerai Michelle afin de préserver son anonymat – m’a confié à son tour le récit troublant de sa propre expérience avec ces sinistres créatures.
Les loups-garous qu’elle a connus ont, tous, une caractéristique : ce sont des femmes, marchandes ambulantes assoiffées de sang, incapables de maîtriser leur soif meurtrière qui les pousse à s’en prendre principalement aux nourrissons, nous dit Michelle. Selon des témoignages qu’elle a reçus de voisins, cette malédiction – ce désir de faire du mal - se transmet de la grand-mère à ses filles, puis à leurs descendants, marquant à la fois leurs traits et leur esprit.
À l’en croire, ces personnes pénétreraient dans les maisons pour atteindre les bébés dans leurs berceaux. La transformation de l’humain en loup-garou est un rituel infaillible : elle s’opère toujours à minuit, jamais avant ni après.
Généralement maléfiques, affirme-t-elle, elles possèdent la capacité de passer de l’apparence humaine à une force inhumaine colossale, dotée d’une férocité telle qu’elles peuvent massacrer plusieurs nourrissons en une seule nuit — un carnage dont, paraît-il, elles ne gardent souvent aucun souvenir une fois revenues à leur forme humaine.
Il y aurait, poursuit-elle, plusieurs raisons de croire que ces créatures ont réellement existé telles qu’elles sont décrites. Cependant, elle estime troublant de constater que les mêmes familles se retrouvent toujours impliquées : Madan Fèyel, sa tante, ses deux sœurs, sa belle-mère, ses trois autres tantes…
« Je suis une femme moderne »
« Comment l’expliquer, se demande-t-elle. Est-ce le fruit d’un brassage entre familles de loups-garous ? Un simple hasard ? Une prédestination ? Ou bien le complot de femmes mystérieuses ? » Toujours est-il, recommande-t-elle, qu’il faut rester prudent lorsque l’on parle ou que l’on analyse les faits du passé à travers le prisme de la science.
« Je suis une femme moderne, formée à la science, et pourtant j’ai vu, dans ces localités, durant mes vacances d’été, des choses étranges que je n’aurais jamais admises d’un point de vue scientifique et que je croyais impossibles. » Elle refuse qu’on relègue tout simplement au domaine de l’imaginaire ce que ses propres yeux ont vu.
Elle dit avoir assisté, avec d’autres personnes, à des transformations à la sortie des fêtes champêtres, ce qui les ferait sans doute les prendre pour des folles ou pour des hallucinées. Elle explique que dans ces localités, certains voient des choses étranges, mais, pour éviter la moquerie et la stigmatisation, ils préfèrent se taire.
Selon elle, les paysans connaissaient des moyens de combattre ces loups-garous malfaisants. Par exemple, le fait de jeter du sel marin ou de la cendre devant la porte leur faisait perdre temporairement leurs pouvoirs. « Ainsi, des chauves-souris pouvaient être forcées à se transformer en porc ou en cabri, avant de redevenir humaines ».
Le hougan fit cela à Madam Féyél et fut stupéfait de découvrir que sa voisine, une femme respectée du village, se tenait nue devant lui. Elle implora sa pitié et le supplia de garder son secret. Il promit de le faire, mais la vérité fit rapidement le tour des localités.
L’histoire d’une mère et de sa fille qui découvrirent des peaux de loups-garous sur le toit de la maison du voisin dont sa femme était la reine des loups-garous (madan Fèyèl) : pas un seul nouveau-né a survécu. Madan Sonson, Eunide étaient derrière ces drames, affirme-t-elle. Leur carnage a pris fin lorsque le père a attaqué la reine lui infligeant une blessure mortelle à l'aide d'un poignard.
Des cas de morts de nourrissons à Cavaillon
En 1970, à Cavaillon (Pliché), Gros Marin, Pòfi et Twamango furent le théâtre de nombreux faits divers glaçants, ce qui laisse croire, nous révèle notre amie, que les loups-garous existaient réellement en Haïti.
À cette époque, Madan Fèyèl, femme sage et respectée, était une véritable référence à Pòfi.
Un jour, Madan Sonson fut prise de contractions. Sa cousine Eunide demanda de l’aide pour l’emmener à Cavaillon. La reine zòbòp sur place réclama un drap blanc, un œuf, un pilon et un balai. L’accouchement aboutit à la naissance de jumeaux : une délivrance, une victoire pour cette femme stérile depuis dix ans. Mais, détail troublant, vingt et un jours avant la naissance, des marques de morsures avaient été retrouvées près du cœur des jumeaux, semblant indiquer l’attaque de chauves-souris responsables de ces blessures.
Quelques jours plus tard, un bébé âgé de vingt et un jours fut retrouvé mort, horriblement mutilé. Peu après, un autre nourrisson, âgé de seulement sept jours, connut le même sort.
La population lança alors une chasse aux chauves-souris dans la localité. L’animal était décrit comme « de couleur noire, haut sur pattes grises », un témoignage unanime qui renforça la vigilance des voisins.
Un pêcheur de Cavaillon réussit à capturer l’animal dans son filet : il se transforma successivement en dindon, puis en porc. Une autre nuit, sous l’effet d’une terreur extrême qui provoqua un égarement de son esprit, la créature prit la forme d’un chat. Fléau redoutable, elle plongea la contrée dans la désolation, rendant désertes de nombreuses demeures paysannes où vivaient des nourrissons.
L’une des caractéristiques essentielles du loup-garou est en effet sa capacité à se métamorphoser : d’humain en chat, en dindon ou en chauve-souris, principalement lors des nuits de pleine lune. Ces événements marquants de la transformation sont restés gravés dans la mémoire de sa génération. « Ces affirmations n’ont jamais suscité le moindre doute, conclut-elle, les témoignages de l’époque étaient trop nombreux et concordants. »
Emmanuel Charles
Avocat et sociologue