Le système de santé haïtien a été touché de plein fouet par la crise de sécurité au cours de l'année 2024.Plus d'une quarantaine de centres hospitaliers dans la région métropolitaine de Port-au-Prince sont devenus dysfonctionnels, ce qui a réduit de plus de 70 % l'accès aux soins de la population, selon le secrétaire général de l'Association médicale haïtienne (AMH), Ardouin Louis-Charles.
Dès sa genèse, l'année 2024 a été empreinte de crise politique et sécuritaire. La tension était palpable avant et après le 7 février, lorsque des membres de l'opposition politique réclamaient le départ de l'ancien Premier ministre, Ariel Henry, qui a dirigé l'exécutif monocéphale pendant plus de trois ans et ne jurait que par les élections pour céder les rênes à une nouvelle équipe.
Son voyage au Suriname, suivi de son transit vers le Kenya pour finaliser l'accord de la mission multinationale d'appui à la sécurité, a provoqué la chute de son administration et a plongé le pays davantage dans le chaos. Le 29 février, les groupes armés de la coalition « Viv Ansanm» ont resserré leur étau contre la population civile, notamment au centre-ville de Port-au-Prince et à Croix-des-Bouquets, provoquant l'évasion de plus de quatre mille prisonniers des deux plus grands centres carcéraux du pays, dans la nuit du samedi 2 au dimanche 3 mars 2024.
L'attaque contre le pénitencier national a paralysé toutes les activités de la région métropolitaine de Port-au-Prince, notamment celles des cliniques, polycliniques, pharmacies, et hôpitaux spécialisés dans les traitements des maladies infectieuses et des troubles mentaux, comme Mars & Klein. Quelques jours après, les malfrats ont incendié près d'une quinzaine de pharmacies dans la nuit du 25 au 26 mars à la rue Monseigneur Guilloux, non loin de l’Hôpital universitaire d’État d’Haïti (HUEH), communément appelé « L'Hôpital Général ».
L'HUEH, considéré comme l'un des patrimoines du pays, a été pris particulièrement pour cible. Le 1er avril, les bandits ont investi et pris en otage le bâtiment du centre pour en faire leur cachette afin d'affronter les policiers et d'attaquer le Palais national. Jusqu'à la fin de l'année, les caïds contrôlent l'enceinte de l'édifice et défient les autorités, qui n'arrivent pas à rouvrir le centre hospitalier.
Avec la mise en place du conseil présidentiel de transition et la désignation du Premier ministre, Garry Conille, le nouveau chef du gouvernement, à peine arrivé dans le pays, a fait une tournée au centre-ville de Port-au-Prince et en a profité pour visiter les locaux de l'HUEH, en promettant de faciliter une reprise rapide des activités.
Plus d'un mois après, le Dr Conille, accompagné du directeur général par intérim de la police nationale et du responsable de la mission multinationale d'appui à la sécurité, Godfrey Otungue, a visité, le 9 juillet, le plus grand centre hospitalier public du pays. Cette descente a failli coûter la vie aux visiteurs en raison des tirs d'armes automatiques des caïds.
Après la révocation du Premier ministre Garry Conille, le dimanche 10 novembre, la région métropolitaine de Port-au-Prince a connu une nouvelle montée de violence. Le nombre de blessés par projectiles, notamment par balles perdues, a connu une hausse exponentielle. L'Hôpital universitaire de la Paix a tiré à diverses reprises la sonnette d'alarme face à l'afflux des patients. Les responsables ont précisé avoir admis en moyenne 10 à 15 patients par jour pour des plaies.
À côté des institutions sanitaires, de nombreux praticiens et praticiennes ont été victimes de la violence qui gangrène le pays. Le Dr Deborah Pierre, médecin urologue, a été tragiquement tuée par balle dans la tête devant la Clinique Familiale à la rue Cameau, en Haïti, le mardi 12 novembre 2024, alors qu'elle aidait son père à déménager.
Toujours dans la recrudescence de l'insécurité, l'organisme non gouvernemental Médecins Sans Frontières (MSF) a suspendu ses services dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, le 20 novembre, suite à des menaces de mort et de violences directes et répétées visant son personnel et ses patients. Environ 22 jours plus tard, le 11 décembre, MSF a repris ses activités, indiquant qu'après de longues discussions avec les autorités, ils ont obtenu la garantie de pouvoir continuer à desservir la communauté haïtienne.
Plus loin, dans la nuit du lundi 16 au mardi 17 décembre, les bandits armés de la coalition de gangs « Viv Ansanm» ont incendié plusieurs sections de l'hôpital Bernard Mevs, dont la salle d’opération, la salle d’imagerie, les laboratoires, la pédiatrie, l'administration, et deux scanners. Cette institution sanitaire de référence est située au Village Solidarité à Delmas, non loin de la route de l’aéroport international Toussaint Louverture.
Le dernier ministre de la Santé publique et de la Population, Dr Duckenson Lorthé Bléma, avait lancé une campagne de réouverture des centres dysfonctionnels à son arrivée à la tête du MSPP. Il a procédé, le lundi 2 décembre, à la réouverture de la maternité Isaïe Jeanty et Léon Audain, communément appelée « L’Hôpital Chancerelles », après neuf mois d'inactivité.
Cette initiative pressante du ministre de la Santé a tourné au cauchemar. Deux journalistes, Markenzy Nathoux et Jimmy Jean, ainsi qu'un policier, ont été tués, et plus d'une dizaine de blessés ont été enregistrés le mardi 24 décembre lors d'une tentative de rouvrir l'Hôpital universitaire d'État d'Haïti. En réaction, le conseil présidentiel de transition a évincé ce dernier, arguant qu'il avait pris cette initiative de manière unilatérale, sans aviser les autorités.
Pour le Dr Ardouin Louis-Charles de l'Association médicale haïtienne, l'année 2024 a été une année cauchemardesque et de malédiction pour le peuple haïtien, en particulier pour le secteur médical, en raison du nombre de professionnels de la santé touchés par l'insécurité. Il raconte que des travailleurs de la santé ont été tués, kidnappés, ou contraints de fuir leurs quartiers pour se rendre soit à l'étranger, soit chez des proches. « Le secteur est décapitalisé », a-t-il lancé.
Le pneumologue affirme que cette situation a réduit considérablement l'accès aux soins des citoyens. « Des tuberculeux, des patients vivant avec le VIH/SIDA sont éparpillés dans la nature, certains sont incapables de poursuivre leurs traitements. Le risque de contamination d'autres personnes est de plus en plus élevé. La santé de la population, déjà précaire, est devenue beaucoup plus fragile, et notre espérance de vie continue à diminuer », se désole-t-il.
Il souligne que les hôpitaux des villes de province en payent les frais. « Les centres des autres départements ont subi les conséquences de cette montée en puissance de l'insécurité. Ils se trouvent dans l'incapacité de se réapprovisionner en médicaments et en matériel. Avec la concentration des services publics, certains cas ont du mal à être transférés vers Port-au-Prince, mettant en danger la vie des nécessiteux », dit-il.
Ainsi, le secrétaire de l'AMH invite les autorités à rétablir la sécurité dans le pays afin de faciliter la reprise des activités, notamment dans le secteur médical. Entre-temps, il exhorte les responsables concernés à délocaliser certains services de base, tels que le traitement des tuberculeux et des sidéens, dès le début de l'année 2025, afin de briser la chaîne de propagation de ces maladies.
Sheelove Semexant