ASSASSINAT DE ME MONFERRIER DORVAL

«La chronique d’un calvaire judiciaire », 3 ans après

Pour commémorer les trois ans depuis l’horrible crime contre le bâtonnier Monferrier Dorval, survenu le 28 août 2020 en sa résidence privée à Pèlerin 5, le Barreau de l'ordre des avocats de Port-au-Prince a organisé une conférence autour du thème « le destin des procès pénaux emblématiques d’Haïti». Parallèment, pour commémorer cette triste date, une messe de Requiem  a été chantée en l'honneur du bâtonnier Monferrier Dorval à l'église Sacré-Coeur de Turgeau, à l'initiative de la structure socio-politique «Ann kanpe».

Docteur en droit, professeur de droit public à l'université d’État d’Haïti, bâtonnier de l'ordre des avocats de Port-au-Prince, Monferrier Dorval avait toutes les qualités pour être une personnalité et/ ou un personnage emblématique, a déclaré le président de la commission scientifique du Barreau de Port-au-Prince, Me Léon Saint-Louis, lors de cette conférence tenue en mémoire de l’ancien bâtonnier Dorval ce lundi 28 août 2023 marquant les trois ans de sa disparition brutale. Me Saint-Louis a aussi souligné que la justice haïtienne depuis certains temps est instrumentalisée, ce qui empêche aux auteurs de divers crimes à répondre de leurs actes de violences et de criminalités. 

La bâtonnière des avocats de Port-au-Prince, Marie Suzy Legros qui, pour une énième fois a dénoncé l’assassinat de l'ex-bâtonnier Monferrier Dorval a fait une piqûre de rappel de l’histoire d’Haïti qui est remplie de moments sombre et de massacres de tous genres. «Les massacres économique et politique, les massacres de La Saline, de Bel-Air, de Fort-Dimanche, de Saint-Jean Bosco, de Cité-Soleil, de Raboto, de Piâtre, de Carrefour-Feuilles, de Tabarre et tant d'autres massacres sont restés jusqu’ici impunis, dit-elle dans ses propos d’ouverture. Les auteurs de ces massacres n'ont jamais été traduits en justice. L'impunité dans laquelle le gouvernement et la justice permettent à ces gens d'agir est totale, ils sont connus et restent en libertés, poursuit-elle.

«Alors qu’on a assassiné notre bâtonnier Monferrier Dorval qui fait partie du système judiciaire et dont la poursuite de l'instruction devrait être aboutie à l'arrestation de tous les coupables, complices, auteurs et co-auteurs de ce crime odieux afin qu'ils soient traduits devant un tribunal compétent, malheureusement, on s'arrange pour bafouer cette instruction. On vole le dossier, on menace les juges, on fait disparaître les ordonnances des juges instructeurs et auditions des témoins », a déploré la bâtonnière Legros. Le dossier de Monferrier Dorval a atteint sa troisième année d'une instruction tumultueuse se désole la première femme élue bâtonnière en Haïti. 

En ce qui concerne ce dossier, depuis le 28 août 2020,  le calvaire a commencé. Le procès a été enclenché, les démarches préliminaires ont eu lieu, mais sans succès, c'est donc la chronique d'un calvaire judiciaire autour de cet assassinat. En effet, le 9 novembre 2020, le président d'alors, Jovenel Moïse, qui a été également assassiné le 7 juillet 2021, avait fait des déclarations en ce qui concerne ce meurtre odieux survenu tout près de sa résidence privée à Pèlerin 5. Le 13 mai 2021, la Direction centrale de la Police judiciaire a remis son rapport d’enquête ainsi que les deux dernières personnes arrêtées, au premier juge instructeur chargé dudit dossier, en l’occurrence, Me Renor Régis. Le 24 mai 2021, huit ordonnances ont été émises par le premier juge d’instruction. De mai à juillet 2021, les huit ordonnances n'ont pas été exécutées par le commissaire du gouvernement d'alors. Juillet 2021, le premier juge instructeur quitte Haïti avec toute sa famille en raison des menaces de mort puis se déporte du dossier le 16 septembre de cette même année. Le 5 octobre 2021, Loubens Élysée, l’actuel président du Réseau national des magistrats haïtiens, a été nommé comme deuxième juge pour instruire ce dossier. Pendant ces différents changements et tolalito autour de cette affaire, des individus non identifiés ont cambriolé le greffe du parquet de Port-au-Prince dans la soirée du lundi 19 octobre 2020.

Certains corps du délit du dossier de l'ex-bâtonnier Monferrier Dorval ont été emportés. Toujours en ce qui concerne le greffe du Tribunal de Première instance de Port-au-Prince, en  octobre 2021, il a été cabriolé ( vols du coffre-fort et d'autres éléments de preuves concernant l’assassinat du Bâtonnier Monferrier Dorval). Entre-temps, en février 2022, le deuxième juge instructeur, Loubens Élysée,  s'est déporté du dossier. Le  26 avril 2023, un troisième juge a été désigné, il s'agit là de Me Martel Jean Claude. Du 26 avril 2023 et août 2023, l’enquête se poursuit comme tant d'autres cas dans le pays.

À cet effet, faisant référence à ces nombreuses victimes de violences  et d'actes criminels qui peinent à trouver justice à cause d'un système judiciaire décrié, le Barreau de l’ordre des avocats de Port-au-Prince par l’entremise de la bâtonnière Mary Suzy Legros appelle les autorités concernées notamment celles de la justice à faire tout ce qui est en son pouvoir afin de rendre justice au bâtonnier Monferrier Dorval qui, de son vivant, n'avait cessé de faire des plaidoyers pour le rétablissement d'un État de droit en Haïti. 

«Ce que je souhaite pour Haïti : un véritable État de droit. Les problèmes politiques, économiques et sociaux d'Haïti sont largement dus au non-respect des règles de droit établies. L'instabilité politique chronique est provoquée par la violation des règles constitutionnelles, électorales et administratives. De même, on ne respecte aucune échéance électorale, de même on recourt à des moyens illégaux pour prendre, tenter de prendre ou garder le pouvoir, et aussi l'exercer. Les formes de justice prévues par la Constitution sont soit inefficaces, soit non organisées, soit non fonctionnelles. La justice fonctionne de manière peu satisfaisante. Les conditions de travail laissent à désirer. La formation des magistrats doit être renforcée. Le choix des juges au niveau de la Cour de cassation ne peut se réaliser de manière fantaisiste et sans souci de l'intérêt général. La justice judiciaire n'est pas encore un pouvoir, mais un service public. Son indépendance ne doit pas seulement se concevoir par rapport au pouvoir politique, mais aussi par rapport aux interférences des particuliers. Elle doit être encadrée: le pouvoir doit arrêter le pouvoir, disait Montesquieu. Il faudrait éviter de créer une institution sans contrepoids qui ferait remettre en cause l'indépendance tant recherchée. La justice administrative est méconnue et fonctionne de façon aléatoire. La Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif, à qui est attribuée cette seconde fonction, semble privilégier la fonction de contrôle des finances publiques, même si elle n'arrive pas à produire le rapport annuel sur l'efficacité des dépenses publiques exigé par l'article 204 de la Constitution.

Pour parvenir à l'État de droit, il faudrait lui enlever la compétence de rendre la justice administrative. L'État est un sujet de droit comme les autres; il commet des abus à l'endroit des administrés et de ses propres agents. La violation du droit des administrés et des agents publics doit être valablement sanctionnée par des juges investis de cette seule mission. La Cour supérieure des comptes amputée de ce greffe mal conçu devra se concentrer sur son véritable rôle de contrôle des comptes principalement pour pouvoir octroyer chaque année décharge à des ordonnateurs autres que les ministres et pour faciliter le travail de la Commission bicamérale de décharge chargée de rapporter sur la gestion des ministres pour permettre aux deux (2) assemblées parlementaires de leur donner décharge (article 223 de la Constitution)», telles sont certaines des déclarations de l’ancien Bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, Me Monferrier Dorval qui avait gagné les élections en février 2020 affichées par le Barreau de Port-au-Prince au cours de cette commémoration ce 28 août 2023. 

 

 

Vladimir Predvil 

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