« Lakou »: une chanson en « D »!

Dans cette transition que connaît l’univers depuis quelque temps, dans plusieurs angles et des dimensions, avec l’ère du Verseau et le nouvel ordre mondial qui se dessine, les observations, recherches et réflexions nous orientent vers certaines conclusions que le concept de l’intelligence des lettres peut bien traduire. Et ce n’est pas la jeune chanteuse Tafa-mi-Soleil, qui nous dira le contraire avec sa nouvelle pièce baptisée : « Lakou ».

« Doulé », « dokté », une sélection de mots pleins de sens symboliques, et d’essence mystique, qui tentent de proposer des solutions au mal être collectif des Haïtiens qui ne peut pas se résumer aux mallettes de voyage. Pour celles et ceux qui n’auront pas droit à ces départs ou une lettre de confirmation pour renforcer les rangs de la diaspora, ils n’ont d’autres choix que de se tourner ou se réfugier vers leur « Lakou ». 

Dans l’impossibilité de voir pérenniser les souhaits du chanteur Belo, pour jouir de « Lakou trankil », dans le pays, Tafa-mi-Soleil nous fait plonger en « D », entre les voiles poétiques et les vagues musicales d’un « Lakou », à la fois alchimique, thérapeutique, symbolique et mystique.  

Découvrons toutes les semences de cette interprétation musicale, explorant les couleurs des traditions ancestrales haïtiennes, jusqu’à se confondre dans une sorte d’alchimie combinatoire. À l’écoute de la sagesse ancestrale, entre la terre et l’être haïtien, la flore et la faune qui nous entourent. « Vèvenn », « Asosi », jete kafe », « Men lòtbò rivyè a gon solèy kap relew », « Kot lonbrik out ere gen tout sak pou fèw djanm ». !

Des paroles qui rappellent ou célèbrent certainement la victoire de la médecine traditionnelle et de la résistance du peuple d’Haïti, face au passage de la pandémie de Covid-19 en Haïti, et dans plusieurs familles d’origine évoluant dans la diaspora et les grandes capitales du monde : « Yon doulè ka manjew e doktè paka wè », men latè gen vèvenn pou tout sa ki chokew ».

Dans « Lakou », le créole et l’anglais sont les deux langues utilisées pour ouvrir bien des portes que certaines chanteuses de cette génération n’arrivent pas encore à traverser. Loin d’être une invention de la jeune interprète, Tafa-mi-Soleil ne fait que rappeler les recettes des anciens aux générations actuelles. Elle invite et informe aux jeunes d’ici et d’ailleurs de: « Veye lalin plenn pouw jere koze aw », « Al anba mapou a, jete kafe a », « Take a breath and cry to your mama ».

Dieu, dans toutes ces facettes religieuses, occidentales, ancestrales ou traditionnelles est bel et bien présent dans cette chanson, à travers les éléments de la nature. C’est pratiquement une musique syncrétique qui présente les doubles faces de la même médaille que chaque Haïtien porte dans leur âme, comme une arme de résistance civilisationnelle.  Ailleurs ne sera jamais meilleur que chez soi. Tôt ou tard se manifestera ce besoin de revoir ses origines, cette obligation de revenir sur ses pas et ses traces, dont les Lakou disposent tous les codes de communication, de traduction et d’interprétation de nos rêves, nos envies, nos besoins et notre bien-être personnel et collectif.  

Dansante, inspirante et à la fois séduisante et entraînante, cette chanson propose des paroles recueillies dans ces coins oubliés qui offrent un beau décor de la nature sauvage. Ces endroits où des centaines et milliers des premiers habitants de cette terre, les Amérindiens et nos grands-parents, les esclaves rebelles et survivants se sont réfugiés, et se sont croisés pour discuter et développer de nouvelles stratégies de combats pour vaincre leurs ennemis communs. 

Dans cet hommage musical à la culture haïtienne, on sent bien l’odeur non pas uniquement de la terre ancestrale, il y a bien quelques fragments de la musique issue des régions et de la culture du Moyen-Orient qui sont bien présents.  Elle coule comme le symbolisme de l’eau, également très présent dans cette balade ancestrale. On pourrait même conclure que la chanson : « Lakou », sans aucune comparaison, affiche un certain prolongement de « Sele Bride », l’une des pièces maîtresses du répertoire de Dener Ceide.

Direction, c’est pratiquement ce que cherche une bonne partie de la population haïtienne dans le contexte actuel, de destruction, de délabrement, de déshumanisation, de déchirement, de déclin et de désespoir. C’est pratiquement ce constat dégradant qui impose à la chanteuse Tafa-mi-soleil, l’obligation de proposer l’une des meilleures directions, ou la voie tracée par nos grands-parents, pour retrouver le calme, la paix, la sécurité, afin de refaire le plein d’énergies qui manquent terriblement au peuple d’Haïti, pour se réveiller ou pour renouveler l’historique.

Dans « Lakou », ce n’est pas le Vodou qui est célébré dans ses couleurs folkloriques, mais de préférence l’intelligence culturelle ancestrale qui est commémorée.  Les connaissances et les compétences de la culture ancestrale, les savoirs et les secrets dans l’harmonie entre la flore et la faune, la nature et les astres vibrent aux quatre saisons dans cette musique, entre la nature, la lune, les feuilles et le feu, les thés et le café, la terre et l’eau, la lune et le soleil.  

Derrière la lettre « A », comme une vitamine, qui occupe une place importante dans le cœur du texte et le chœur qui accompagne la chanteuse nouvellement initiée dans la musique racine, la lettre « D » est persistante et provocante. Ici dans la « Lakou » que représente Haïti, ou la « Lakou » qui nous habite tous et toutes, c’est pratiquement la sécheresse des douleurs et du désespoir, de la déviance des valeurs, la destruction des vies, la délocalisation et la dispersion des familles qui gouvernent.

« Dlo », c’est pratiquement ce symbole omniprésent dans les rituels dans le Vodou haïtien et d’autres cultures qui est célébré et proposé, dans toutes ses formes et représentations, pour laver les blessures de la population haïtienne, nettoyer  le sang des innocentes victimes, enlever les taches de larmes sur les visages des orphelins, des veufs et des veuves,   passer la soif de dignité des familles humiliées, arroser la terre, tout en emportant vers la mer,  tous les débris de la misère et des souffrances de ce peuple insulaire.  

Démembré est l’autre thème caché, le titre sacré que la nouvelle pièce « Lakou » devrait porter. En effet, Haïti, à travers sa capitale encerclée, est devenue ce « Demanbre » de la modernité imposée. À défaut de traverser ces nouvelles frontières de la violence, chaque Haïtien et chaque famille n’ont d’autres choix que de se réconcilier avec cette nature, cette terre, et chaque « Lakou » !

Duty Boukman et Jean Jacques Dessalines trouveront certainement dans cette composition un nouveau souffle pour faire revivre la semence pour les droits des peuples noirs et la dignité humaine, portée entre 1791 et 1804. Beaucoup plus proche de nous, le Dr Jean Price Mars serait pratiquement honoré, de voir célébrer cette dimension spatio-symbolique de la mémoire collective. Ce retour à la source est plus que nécessaire, pour faire renaître l’identité et la dignité des Haïtiens, à travers le « Lakou », comme un passage obligé, notre « Demanbre ». 

 

Dominique Domerçant

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