André Pasquet, alias Dadou, vient de s’éteindre comme se couche un soleil rare : sans bruit, mais en laissant derrière lui une traînée d’or que personne n’oubliera. Le compas dépose ses cymbales et les guitares tiennent une minute de silence. La musique haïtienne est en deuil.
Aujourd’hui, Haïti perd l’un de ses plus grands guitaristes, un maître des accords invisibles, un alchimiste des vibrations, un homme capable de transformer une simple note en chemin, en récit, en respiration. À soixante-douze ans, l’artiste aux mains façonnées par la discipline et la grâce, a quitté la scène terrestre avec la simplicité de ceux qui vivent pour l’essentiel.
Fondateur du légendaire Magnum Band, il était plus qu’un musicien : il était une route, une vision, une signature. Cette distinction qui est sa marque de fabrique rappelait à tous qu’on peut rester soi-même tout en réinventant le son d’un peuple.
Sous sa direction, Magnum Band n’était pas seulement un groupe : c’était une manière de marcher dans le monde, de dire « nous sommes là » sans hausser la voix, simplement en jouant juste.
Dans son sillage demeurent des mélodies qui sentent la mer, des harmonies qui respirent Port-au-Prince, des rythmes où le compas marche, fier et debout, avec l’élégance sereine qu’il lui avait donnée.
Ces chansons flottent encore dans l’azur de nos désenchantements comme dans la lumière de nos réjouissances. Elles orbitent autour de nous comme des planètes fidèles, toujours prêtes à nous ramener, d’un accord, vers ce que nous avions de plus pur, de plus vrai, de plus profondément haïtien. « Expérience », « Jéhovah », « Grann », « Chèche lavi », « Island », « The Best in Town », « Sans Frontière », « Okay », « Dife », « Révélation », « Adoration », « Pure Gold », « Congo nan vodou », « Paka pala », « Pike devan », « Ashdei ». Et cet album « Liberté », et cette chanson qui traverse encore le temps (1)
Plus que des morceaux, ces titres sont des escaliers de mémoire, des phares au bord de nos nuits, des fragments de lumière que même le temps n’ose pas effacer. Ils dansent encore devant nous comme des lucioles obstinées, pour rappeler que la vraie musique ne hurle jamais : elle respire, elle enseigne, elle console, elle transfigure.
Sa musique le rend éternel
En quittant ce monde, il a laissé une absence mais celle-ci n’est pas un vide : c’est un écho. Un rappel de la force tranquille d’un homme qui a transformé chaque note en héritage. Dadou n’est pas parti : il se poursuit. Sa musique le rend éternel. Il devient cette note tenue que rien n’éteint, ce fil d’or qui traverse la mémoire collective et relie les générations comme un pont jeté d’un cœur à l’autre.
Ta guitare se tait, mais ta musique commence à peine. Au moment même où la musique dansante haïtienne dérive parfois vers une vulgarité sans fond et où certaines sonos ne crachent plus que du vacarme, la nation s’incline devant ces œuvres qui ont accompagné notre jeunesse, jalonné notre adolescence, caressé nos premières fièvres et nos premières victoires.
Et maintenant que la nuit se referme sur lui, c’est le ciel qui s’ouvre. Avec cette lucidité douloureuse, nous avions compris qu’il ne remonterait plus sur scène.
On imagine déjà Ti Manno lui tendre un micro, Coupé Cloué esquisser un sourire, et l’armée céleste des musiciens haïtiens accorder leurs instruments pour lui souhaiter la bienvenue. Repose en paix, Maestro !
Maguet Delva
Paris, France
(1) https://youtu.be/EiuPhomLKHg?si=tZzAksTBt3Byg54p
