Les Femmes troubadours musiciennes haïtiennes sur les traces de Lumane Casimir

Les femmes sont la catégorie marginale du mouvement de troubadour en Haïti alors que des notes et paroles renvoient à l’amour dans l’humour et la sensibilité des femmes. Ce qui aurait transpiré les réminiscences des troubadours des 12e et 13e siècles quand des femmes troubadours avaient un apport non négligeable en Europe, avec les qualités de compositrices et chanteuses. Dans le cas d’Haïti, le mouvement de Troubadour a charrié les déboires, récriminations, la sensibilité de la vie dans les champs de canne tout comme l’amour véritable et les relations durables entre hommes et femmes. Bien souvent, les paroles sont osées et suggestives jusqu’à pouvoir frustrer des femmes à s’exercer  . Mais, la jeune talentueuse Troubadour haïtienne Lumane Casimir a tout défié en s’affirmant dans cette ambiance, et sous la ferveur du mouvement féministe naissant des années 1930.

Le parcours est long et tortueux aux femmes musiciennes qui, sur la volée, réinvestissent et réapproprient la musique troubadour qui les a laissées de coté en dépit de l’essor du mouvement de Troubadour des années 2000 dénommé « Haïti Troubadour ».

Jadis, les hommes troubadours qui dominaient la scène avaient souvent la réputation de « tafiateurs » et de « vagabonds ». Ils revenaient de Cuba après de longues expériences de coupeurs de canne-à-sucre et en avaient profité pour une migration de retour avec les traditions musicales de « travador » ce, pour désigner des chanteurs traditionnels accompagnés d’instruments à cordes, soit une instrumentation simple, dont une guitare (banjo), le tambour (conga), le tchatcha (maraca), le manumba, une basse faite d’une caisse en bois montée de lamelles métalliques fixées au-dessus d’une ouverture circulaire, un accordéon. Ces musiciens se produisent en ville ou à la campagne dans les bars, les hotels, les « bambòch », les » fèt champèt ».

Les troubadours s’assimilent aussi à des petits orchestres ruraux appeles egalement « bann grenn siwèl » ou « ti bann ». Les « grenn Siwèl » nous font rappeler le groupe « Etoile du Soir » de Bas Peu de chose ou de « l’Ensemble l’Avenir » qui animait les séances de tirage de la Loterie nationale à la Rue Bonne Foi.

Le Mouvement de Troubadour remonte à l’occupation américaine de 1915-1934 et s’inscrit dans la tendance de satire sociale et de contestation associée à la musique ayant pour l’un de ses chefs de file Auguste Des Pradines(Candio). C’est un genre populaire qui a combiné la musique issue de la tradition Guajira de Cuba et le Meringue haïtien.

Les femmes sont au-devant des scènes dans ses danses pour faire bonne réception de la musique de troubadour. Elles se sont aussi impliquées dans l’action sociale et politique. Elles accédaient dans le même contexte à leur première profession d’assistante sociale, d’infirmière ou d’institutrice et s’exhibaient aussi dans la musique mondaine. En effet, nous avons relevé dans les recherches le nom de Lumane Casimir comme la première jeune troubadour d’Haïti (1945-1950). C’est la première femme guitariste, a-t-on rapporté, qui se présentait dans des concerts de rue improviséés. Une jeune paysanne, revenue de Plaisance du Nord qui avait toujours sa guitare sous les bras dans les rues, au champs de mars pour des shows mondains avant sa rencontre avec Alix Roy qui l’introduisait à la troupe de madame Lina Mathon Blanchet .Elle s’était même prestée dans un trio troubadour du nom « ASTORIA » que dirigeait Jacques Nelson qui animait chez Mme Ludovic Boucard, Rue Lafleur Ducheine ou elle venait parfois chanter et pincer la guitare pour combler le plaisir ». Elle performait dans des intermèdes avec le fameux percussionniste haïtien « ti Roro Baillergeau. https://belidemag.net/lumane-casimir-la-paysanne-a-la-voix-dor/ (consulté le 2 juin 2023) . Elle avait connu un parcours au sein du super jazz des jeunes, puis très remarquée au grand festival de l’exposition du Bicentenaire de Port-au-Prince.

Le Troubadour fait son chemin pour rebondir dans les années 1970 dans ses notes de satire sociale et de contestation à travers les prestations de Coumbite Créole de Rodrigue Millien, de Toto Nécessité (Jules Similien), de Trio Select (Coupé Cloué) de Jean Gesner Henry . Puis, c’était le tour suivi de Manno Charlemagne et Marco Jeanty, Amos Coulanges et Jean Coulanges, les Freres Dodo, Ti Paris (Paris Achille). Althiery Dorival se mettait de la partie dans les années 1980 dans les 7 Vedettes. Dans la nuée, apparaissait l’étoile Anna Pierre dans son morceau exhaltant de “Suk sou bonbon” comme une jeune troubadouresse. Entretemps la célèbre Toto Bissainthe assurait le dialogue intergénérationnel, elle est parmi les pionnières du Troubadour.

La relève des femmes troubadours se dessine à l’horizon malgré leur faible effectif dans le paysage. Nous devons citer quelques figures qui appartiennent à plusieurs générations. A cet effet, Toto Bissainthe qui a exécuté le standard “ou sòti pòs machan” repris par Emeline Michel qui suit le cours dans Chorale Kalfou dans “ Kole Zepòl” dans les années 1980. Tamara Sufren  a chanté dans l’album “Impulsion”, le morceau de troubadour “ Bonjou”. Toto Bissainthe  est revenue dans “Pa gen Zanmi ankò ‘au nom du groupe Ti Coca . Et, maintenant, en Diaspora se performait l’étoile montante Naïma Frank dans Soul Troubadour, une Montréalaise d’origine haïtienne.

La grande révélation était bien Anna Pierre dans ‘Suk sou bonbon m’, sorti en 1989 (Geronimo Records), soit un morceau qui présente toutes les qualités du genreTroubadour tarditionnel dans ses paroles osées et une rythmique entrainante et monotone. En voici quelques séquences textuelles de ce chant.

 

‘Vin mete suk sou bonbon m

Vin simen sik sou bonbon m

Vin mete sik sou bonbon m

Papi cheri pou w ka fè mwen dous

O vin mete sik sou bonbon m

Vin simen sik sou bonbon m

Si w pa met sik sou bonbon m

Papi cheri, mwen pap sa kenbe’.

 

Hancy PIERRE, professeur à l’Université

 

Repères bibliographiques

-CORVINGTON Georges (1987), Port-au-Prince au cours des ans. La capitale d’Haiti sous l’occupation 1922-1934, Henry Deschamps, Port-au-Prince

-FOUCHARD ,Jean (1988), Regards sur le temps passe. La meringue, danse nationale d’Haiti, Editions Henri Deschamps.

 - Dr AVERILL Gage (2016), ‘Konpa !La musique populaire en Haïti.-1.La bèl epòk:la musique populaire de la 1ère moitié du 20ème siècle’Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2016-2019http://www.lameca.org/publications-numeriques/dossiers-et-articles/konpa-la-musique-populaire-en-haiti/1-la-bel-epok-la-musique- (consulté le 9 novembre 2023)

-PIERRE Hancy (2016). ‘Pratiques de loisirs chez les jeunes dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince après 1986 : entre contrôle social et contestation.’ Cahiers du CEPODE. No 6, Avril 2016, Édition du  CEPODE.p 73-109.

 

-PIERRE Hancy (2023), ‘Les expressions de la musique haïtienne dans le prisme de la culture de masse: dilemmes éthiques et perspectives’ in Le National, Port-au-Prince.

-PIERRE, Hancy (2023) ‘les femmes musiciennes : une réappropriation des groupes du compas direct en Haïti’, in Le Nouvelliste du 7 mars 2023

-PIERRE Hancy(2023) Haiti - Le Rabòday à l’aune de la musique populaire et de la musique savante ‘, in le National

-Geslet Frislet ( 2019) ‘Anna Pierre tounen pou mete suk sou bonbon’ nou » dans le Nouvelliste du 21 mai 2019.

-VILBRUN Emerson (2022), ‘Ti Paris l’immortel troubadour haitien’, dans le National du 21/07/2022.

https://belidemag.net/lumane-casimir-la-paysanne-a-la-voix-dor/ (consulte le 2 juin 2023)

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES