« …des hommes et des hommes » est le titre d’un livre collectif – treize auteurs d’ici et d’ailleurs – paru chez LEGS ÉDITION dans sa collection Textes courts en octobre 2018. En 150 pages, chacun de ces écrivains donne forme à la figure du père peu présente dans le corpus littéraire haïtien.
L’idée de ce livre, s’il faut bien comprendre la note de la quatrième de couverture, est de mettre en évidence le rapport au père. Il s’agit entre autres de décrire et d’écrire « le mode de filiation, la distance ou les liens, l’héritage symbolique et la construction de soi à travers la figure paternelle. » Qu’évoque le père dans l’imaginaire de ces écrivains ? Comment la littérature appréhende-t-elle l’objet et/ou le sujet du père ? En plus de suggérer les formes de (ré)appropriation de son image, les textes proposent aussi des modes de construction de soi et de l’autre dans un rapport de va-et-vient inscrivant, du coup, l’altérité dans une mouvance discontinue de ressemblance et de conciliation des contraires.
Paru sous la direction de Dieulermesson Petit Frère, « …des hommes et des ombres » regroupe treize récits les uns plus intéressants que les autres qui disent le bonheur de vivre et d’exister dans l’environnement familial, le regret de ne pouvoir profiter des plaisirs de l’enfance. Ils (ces récits) rassemblent des tranches de vie, des souvenirs d’enfance et donnent corps à des voix cachées en chacun de nous dès lors que nous avions compris, tel que le suggère le titre du texte de Guy Régis Junior, que notre père est une ombre, un être effacé difficile ou impossible à voir et à inventer. À lire ces histoires, on est comme invités à sortir de soi pour se réconcilier avec soi et réapprendre à vivre avec ce qui nous a toujours été perçu comme un manque.
Des enfants sans père, il en existe certainement. Et le père dans ce livre peut être une présence-absence, une ombre – non pas dans le sens d’un ange-gardien mais plutôt une présence futile. Le rapport au père est donné à voir sous plusieurs jours : affectif ou tendre, conflictuel ou amer, autoritaire ou une sorte de rendez-vous manqués ou ratés.
Jean Watson Charles, dans « Le goût des ombres » par exemple, évoque ce rendez-vous manqué avec le père qui part « en terre voisine, cette terre de tous les crimes et de toutes les souffrances » (p. 25) sans espoir de retour, laissant derrière lui la petite Mathilde gardant en elle « le souvenir d’un père qu’elle croyait connaître » (p. 25). Dans « Mon père, ce héros » de Yanick Lahens, c’est la figure du père autoritaire et brutal qui est dessiné. Autant d’images, de souvenirs et de figurations de cet être généralement perçu comme le symbole de l’ordre et de l’assurance dans la perception sociale haïtienne. Si Mirline Pierre fustige l’irresponsabilité de son père, absent à sa naissance mais avec qui elle développera, sans le savoir, un rapport compliqué et regrettable par la suite, Sybille Claude revient sur l’enfance heureuse de cette petite fille qui a grandi à l’ombre protectrice de ce père adoré. Et de l’autre, Louis-Philippe Dalembert et Franz Benjamin mettent en scène chacun un père qui s’adresse à ses enfants. Le premier n’ayant rien reçu de son propre père essaie de s’inventer lui-même la paternité juste pour essayer de combler son fils. Le second fait le bilan de sa vie après avoir vu les enfants grandir et se demande au soir de sa vie s’il a été un bon père.
« …des hommes et des ombres » est donc un livre-témoin des relations de soi à l’autre et du vivre-ensemble au-delà des différences.
Les auteurs : Franz Benjamin, Jean Watson Charles, Sybille Claude, Louis-Philippe Dalembert, Marie-Josée Desvignes ; Yanick Lahens ; Jean-Robert Léonidas ; Stéphane Martelly ; Dieulermesson Petit Frère ; Mirlinr Pierre, Guy Régis Jr, Évelyne Trouillot, Gary Victor.
Jean-Lucas Saint-Jean
