La construction du barrage hydroélectrique de Péligre, un prix payé par des paysans à Petit-Fond

Le barrage hydroélectrique de Péligre a été une conception du président Dumarsais Estimé en 1950 et réalisé par le président Paul Eugène Magloire en 1956. Un projet qui avait pour objectif produire de l’électricité au profit du pays et irriguer 32000 hectares de terre dans la vallée de l’Artibonite. Mais parallèlement aux objectifs escomptés du projet, également des dommages ont été causés.

Suite à la création du lac artificiel de Péligre par la construction du barrage, les paysans qui habitaient la suite de la vallée de l’Artibonite ont été forcés de vider l’espace, leurs terres ont été submergées. Un événement qui a pu faire voir habiter et peupler plusieurs recoins autour du lac fraichement crée de l’époque. Parmi lesquels se trouvent « Chapoto », « Titwou », « Jilbè », « Malantyal », « Blancha », « Gran Casav », « Silgè », « Vye Kay », entre autres. Des espaces, selon les témoignages des plus âgés de ces zones, qui ont été habitées par des animaux non domestiqués (Bèt mawon). Ces endroits n’ont pas été destinés à l'habitation et non plus ils ne sont pas propices à l’agriculture, en fonction du relief.

Le déménagement des paysans a fait qu’ils ont perdu leurs vieilles habitudes, leurs maisons, leurs jardins et leurs terres fertiles ; l’agriculture et l’élevage ont été leurs principales activités de production de biens et de richesses. Et, malgré l'ampleur du dégât causé par la construction du barrage, aucun accompagnement ou aucune indemnisation n’a été accordé aux paysans.

Ces paysans pourchassés de leurs habitations, ils ont dépourvu de presque tout en matière socioéconomique dans les nouveaux espaces conquérir. Des infrastructures scolaires, sanitaires et administratives leur faisaient aussi défaut. Pour ces paysans nouvellement arrivés dans ces zones, une autre mode de vie a été instituée, de nouvelles pratiques de la vie courante et une économie à refaire.

En effet, le projet du barrage hydroélectrique de Péligre exerce une externalité négative sur les paysans de la suite de la vallée de l’Artibonite à Petit-Fond, Lascahobas.

Quid le rôle de l’État, n’avait-il pas pour obligation d’assister ces paysans déguerpis de leur espace né ?

L’État, le principal concepteur de la misère autour du lac de Péligre

L’externalité qui avait été exercée sur les paysans, elle est une conduite de l’État haïtien, car le barrage hydroélectrique de Péligre a été un projet de l’État, pourtant l’État s’est déresponsabilisé en vers les paysans. Il nie ses responsabilités. L’État se montrait bandit et persécutait un groupe de paysan à Petit-Fond, puisque les paysans ont été chassés de leurs propriétés, sans aucun recours. Un fait qui est inconcevable, puisqu'au contraire la défense de ces citoyens devrait être assurée par l’État. Quant à parler de l'externalité du projet, c’est parce que les paysans ne bénéficient pas de ce dernier, mais ils subissent seulement les conséquences négatives du projet.

Suivant la conception moderne de l’État évoqué par Paul Leroy Beaulieu, impérativement tout État doit travailler pour pérenniser l’existence de ses citoyens. Un précepte qui échappait à l’État haïtien. S'il n'en était pas ainsi, dès la conception du projet barrage hydroélectrique de Péligre, l’État prévoyait comment réorganiser les paysans de la suite de la vallée. Et, pour mieux faire, un village d’accueil faisait donc partie du projet. Tel n’a pas été le cas, donc cette situation de misère observée dans ce recoin de la paysannerie a été prévisible : elle n’est pas un fait du hasard, puisque ce qui devrait être fait n’a pas été fait. De même que pour les mathématiciens, un événement qui n’a qu’une chance sur 10 exposants 50 de se reproduire est en fait une impossibilité, laisser les paysans à s’organiser eux-mêmes après leurs déguerpissements est une impossibilité pour ne pas créer une nouvelle communauté misérable et prend le contraire de la modernité.

Généralement, le développement est considéré comme le contraire du sous-développement. Il est  caractérisé par un ensemble d’actions cohérentes. Le développement est d’abord une planification, et il prépare la bonne destinée de l’homme. Et, tous ceux qui sont contraires à l’évolution de l’homme et engendrent de la pauvreté et de la misère sont d’une certaine manière le sous-développement. Cependant, contrairement à ce que l’on veut vous faire croire lors des campagnes de propagandes, la construction de quelques grands bâtiments ou autres types d’infrastructures n’est ni le développement ni la modernité, mais ce sont quelques éléments de la modernité. À un point tel, le développement n’est pas quelque chose  au quelle il faut chercher son existence. Mais, de préférence il faut chercher les acteurs du développement. Ils doivent être présents dans l’espace souhaité développer. En ce sens, le développement est conçu, pour l’essayiste africain, Olivier J-P, comme « l’ensemble des processus sociaux induits par des opérations volontaristes de transformation d’un milieu social, entreprises par le biais d’institutions ou d’acteurs extérieurs à ce milieu, mais cherchant à se mobiliser ce milieu, et reposant sur une tentative de greffe de ressources et/ou techniques et/ou savoirs ». Donc, le développement réel n’est que celui qui fait la promotion de l’épanouissement de l’être. C’est ainsi que dans cette même logique, pour Alexis de Tocqueville, la démocratie est conçue comme « un état social », c’est-à-dire qui permet la progression des individus dans une grande diversité sociale, un rôle qui est attribué à l’État. Le développement  permet donc d'agir sur les modes de penser et orienter les actes des individus vers le progrès. Autrement dit, par le développement, l’environnement social de l’homme doit être transformé. Lorsqu’on insiste sur la présence des acteurs du développement dans le milieu, c’est par la présence des institutions. Néanmoins faut-il retenir que, les acteurs du développement ne sont pas des particuliers, mais l’État dans son organisation.

Loin du progrès, Petit-Fond, puisque les acteurs nécessaires à cette tâche sont distants. La structure étatique est presqu’absente dans cette partie du territoire haïtien. L'État s'est uniquement cristallisé autour du Conseil d’Administration de la Section communale (CASEC), qui n'a même pas un bureau avec une adresse physique, alors que les membres ont du mal à s'entendre. Souvent seulement le premier membre du Conseil incarne l'administration dans la section.  En un mot, le premier membre du conseil absorbe les autres membres de cette structure.

À Petit-Fond, le CASEC exécute mal que bien toutes les tâches et attributions de l’État. Face à cet ensemble de facteurs et autres, il n’y a pas lieu de parler du développement de l’être dans la section, de même que pour la création de la richesse dans les communautés.

Des modes d’organisations nécessaires au développement réel n’existent pas à Petit-Fond. En conséquence, la pauvreté ne cesse pas d’enrayer ce coin de terre. Les principales activités des habitants sont l’élevage et l’agriculture, alors qu’une agriculture saisonnière et de subsistance est encore pratiquée. Non plus, les paysans n’ont pas encadré dans leurs activités. Quelques paysans pratiquent de la pèche dans le lac de Péligre, tandis que d'autres pour faire face à la misère, se sont voués au charbon de bois afin de subvenir à leurs besoins. Une pratique qui non seulement détruit l’environnement, mais aussi le déboisement est l'une des causes de l’érosion qui, est à l’ origine des dépôts de sédiments dans le lac de Péligre, puisque les espaces autour du lac devraient être des espaces boisés. Phénomène de déboisement autour du lac, une pratique qui peut être considérée comme une rançon réclamée de la misère et de la pauvreté.

Des dispositions devraient être prises par l’État pour améliorer les conditions de vie de la population, c’est en partie le noble rôle de l’État moderne. À cette fin, l’État devrait faire du lac artificiel de Péligre une des ressources à exploiter par la communauté autour du lac. Car, généralement, toute stratégie de développement économique s’appuie sur les ressources (matérielles, humain, culturelle…) dont dispose une communauté.

Des communautés secourues par des églises et des ONG

Les ONG et l’église sont les seules actrices à la charge des communautés, en termes d’actions. Dans les quartiers environnants le lac de Péligre et Petit-Fond presqu’entièrement, la population a recours aux églises et aux ONG, particulièrement à Zanmi Lasante et à l’Église catholique romaine et anglicane.

Petit-Fond, semble-t-elle, n’existe pas dans la cartographie d’intervention de l’État haïtien. Jusqu’en 2022, l’État n’a pas fait cas de la section. Pour environ ses 13000 habitants, les préliminaires leur font encore défaut, la pauvreté est cautionnée et l’injustice sociale règne encore dans la communauté. Des infrastructures scolaires et sanitaires manquent encore à la population. N’en parlons pas de l’énergie, Petit-Fond presqu’entièrement n’est pas électrifiée. Des initiatives sont juste entamées. Bien que, l’électrification poserait un autre problème. À quoi demanderait-on à un pauvre de payer les frais de l’électricité ?

Au niveau de la communication physique, la route qui relie le centre-ville de Lascahobas et quelques zones de la section, dont les quartiers, autour du lac est très critique. Elle est une route faite en terre battue. Lors des périodes pluvieuses, elle est impraticable aux usagers. Elle est accessible seulement aux voitures tours de terrain 4x4, communément appelées « Zo Reken » en Haïti.

Il n’est pas différent pour la justice. Il n' y a pas de représentation judiciaire dans la section, alors que la justice est l’un des éléments clés de toutes les sociétés modernes. Des tribunaux de paix et de bureaux d'enregistrements d’État civil n’ont pas remarqué à Petit-Fond ; aucun poste de police n’a été installé dans la section depuis l’existence de la PNH. C’est comme dans l’antiquité où les chefs de villages jouaient le rôle de l’État, autour du lac de Péligre, il est presque semblable. Car, toutes les affaires relevant de la justice sont traitées soit par un notable de quartier ou déférer par devant le CASEC. C’est ainsi que les personnes concernées sont souvent rançonnées par cette autorité, surtout dans le cas de vol et de viol. Ces genres d'affaires restent toutefois à la discrétion du CASEC, il peut décider de transférer certaines affaires au centre ville ( Nan Bouk ), non pas selon la gravitée des affaires, mais parfois selon la connaissance et l’intelligence des personnes impliquées.

Pour se faire soigner, les gens autour du lac de Peligre se sont dirigés à Bon Sauveur de Cange, hôpital de Zanmi Lasante. Ils bénéficient aussi des services de santé communautaire de cette ONG, par le biais des agents de santé dont dispose l'organisation dans ces quartiers. Également quelques étrangers viennent en aide à travers de projets de santé, ils se sont impliqués surtout dans la santé communautaire. C’est le cas du Dr Morse, médecin américain. À travers un programme établi, il a pu faire bénéficier aux habitants souffrants de l’hypertension artérielle des soins que nécessitent leurs cas, sans se rendre dans un centre hospitalier, sous le contrôle d’un agent de santé certifié. Et, en ce qui a trait à l'assainissement, quelques points de captage et distributions d'eau retrouvés dans ces zones sont l’œuvre de Zanmi Lasante (ZL).

Grâce à l’action de l’église catholique romaine à Petit-Fond, hormis des initiatives privées de quelques particuliers, du point de vue sanitaire, un centre de santé a été construit dans un quartier dénommé « Kabestò ». Et, les femmes enceintes en sont les grandes bénéficiaires de ce projet.

Il en est de même sur le plan éducatif, une ou deux écoles nationales sont existées dans la section, alors qu’elles sont à déplorer. Elles sont des trompeuses de soleil, mais non la pluie «  Yo twonpe soley men yo pa ka twonpe lapli », sans parler de la qualité de l’éducation qu’elles offrent. Les établissements scolaires qui sont plus ou moins structurés dans la section sont la réalisation de l’église romaine, anglicane et de Sommets Education/ Zanmi Lasante (ZL).

Cependant dans la dynamique entrepreneuriale, il existe de nouvelles conceptions sur l’entreprise et de nouvelles théories naissent. C’est par exemple le cas de la théorie de la Responsabilité sociale de l’Entreprise (RSE). Cette théorie veut que, aux côtés de l’aspect de profit qui caractérise une entreprise, elle doive être aussi caractérisée par le social, c’est-à-dire l’implication de l’entreprise dans la communauté implantée est une nécessitée. Selon cette théorie, depuis où le barrage hydro-électrique de Péligre avait été entré dans le patrimoine de l’EDH, l’entreprise avait une responsabilité sociale envers les communautés de l’autre coté du lac. Le lac est non seulement crée sur la propriété de ces habitants, mais il fait aussi des victimes. Vu les conséquences sociales de cet investissement sur la communauté, l’entreprise a une responsabilité morale en vers les victimes. En dépit de tout, cette entreprise publique ne tient compte de ses responsabilités sociales et morales dans les communautés, puisque ses traces, en termes d’investissements, n’ont pas remarqué dans les localités autour du lac de Péligre.

Valeurs et caractéristiques des recoins autour du lac

Majoritairement les quartiers de l’autre bout du lac de Péligre, les découpages administratifs et géographiques l’ont fait appartenir à Petit-Fond. Une brève description de la réalité sociale, culturelle, géographique et administrative de la section parait être nécessaire. Sur le plan administratif, Petit-Fond est classée au rang de première section, commune de Lascahobas. Elle s’étale, selon un document du plan de développement communal de Lascahobas (2010-2015), sur une superficie de 69.72 kilomètres carrés pour une population de 12624 personnes et 2817 ménages, soit une densité de 181 personnes/kilomètre carré.

En ce qui a trait aux ressources naturelles, Petit-Fond, elle a une couverture végétale assez intéressante et très diversifiée. Elle est traversée par une seule rivière, celle de « Laskawob » ; la section est traversée par le fleuve de l’Artibonite ; et il existe des ravins et sources dans la section. Une partie du territoire baignée par le lac artificiel de Péligre, est la propriété de Petit-Fond. C’est  donc le lac qui alimentait toute la commune de Lascahobas et quelques communes avoisinantes de Lascahobas (Mirebalais, Thomonde, etc.) en poisson d’eau douce.

Au plan culturel, « Ma Batiman » à « Morne Michel », il est un lieu  sacré de prière et de pèlerinage pour les croyants (des chrétiens catholiques et des chrétiens protestants y compris des vodouisants). Derrière cette espace se cache un mythe : La mythologie du lâche de Noé. Dans cette espace se trouve une structure en forme d’un bateau. Selon la mythologie de la zone, cette structure observée, est le vestige du lâche de Noé, après le déluge. Cependant à ma connaissance aucune recherche archéologique n’a été réalisée là-dessus. Tout simplement une mythologie est construite et propagée, elle s’appuie sur l’histoire dont raconte la Bible à propos du déluge de Noé.

Différentes pratiques spirituelles et confessions religieuses existent dans la section. Des églises protestantes, des péristyles ou temple de vaudou, des églises romaines et des églises anglicanes sont existées dans la section. Pour revenir à « Ma Batiman » à « Morne Michel », cet espace a une grande utilité pour les deux compagnies téléphoniques d’Haïti. La Natcom et la Digicel, elles l’ont utilisé pour installer leurs réseaux de relais du département du Centre, « Morne Michel » se situe en hauteur, elle domine presque tout le département. Elle est d'abord située à environ 1200 mètres d’altitude, selon le document du plan communal évoqué plus haut. « Morne Michel » pourrait être au département du Centre ce qu’est boutillier est à Port-au-Prince, au niveau de la télécommunication.

Petit-Fond, selon le même document du plan de développement communal, est dotée de l’unique marché public de « Gran Casav », communément appelé « Mache Tifon ». Un espace non construit, à ciel ouvert et fonctionne une fois par semaine, tous les mardis. Confiant aux informations fournies par ce même document, tous les autres espaces de rassemblement des petits commerçants dans la Section, pourraient être considérés comme des  « marchés-mouches ».

En dépit de la situation de pauvreté où se trouve la population des quartiers autour du lac de Péligre, au point de vue humain, ces quartiers produisent quelques ressources qui desservent le pays dans divers domaines. Certains prêtres de l’Église anglicane, des ingénieurs civils, des comptables, des ingénieurs-agronomes, des avocats, des journalistes, des infirmières, des professeurs, des médecins ou autres, de niveau licence et de maîtrise, sont originaires de ces quartiers.

Conclusion

Le projet de la construction du barrage hydroélectrique de Péligre présentait à la fois des opportunités et des inconvénients pour les habitants de la suite de la vallée de l’Artibonite. Mais en réalité, les opportunités se sont échappées et les inconvénients restent.

Le destin d’une communauté est d'abord charpenté par des acteurs légitimes. Ce destin se révèlerait positif dans la mesure où les acteurs sont à la fois compétents et responsables. Et le destin peut être perçu pour négatif dans le cas contraire. C’est ainsi que généralement, la progression d’une espace territoriale, elle est d’abord celle des idées progressistes. Obstruer le développement humain est le plus nécessaire des conditions favorables au sous-développement. Des ressources culturelles et naturelles ou autres peuvent être disponibles, mais elles deviennent réellement des ressources au cas où l’esprit est évolué et est conditionné à cet effet. Sans le préalable de certaines dispositions nécessaires, il est vain d’espérer au progrès ; le progrès est à la fois un enchainement d’actions et une association d’éléments cohérents.

La communauté en face de Péligre, espace enclavée de la misère et de la pauvreté, elle est le résultat de l’irresponsabilité de l’État, car le développement humain n’a pas été planifié. Les acteurs n’ont pas organisé l’espace au profit de l’épanouissement de l’être pouvant faciliter de la mobilité sociale. Dans cette communauté, quelques rares individus s’en sortent, malgré les difficiles conditions, ils sont des rescapés. Leurs (filles et fils de Petit-Fond) chances n’ont pas été égales aux autres dans la société, malgré prétendument en démocratie.

D’une telle manière, comme étant victimes de l’État, toutes tentatives de réparation à la communauté, soulevées par les citoyens du bas Petit-Fond, se révéleraient un acte responsable, conscient et légitime.

 

Lopkendy JACOB, libre penseur, Agronome

Lopkendyjacobrne@gmail.com

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