Dans cette destruction désormais bien orchestrée, parfois même huilée comme une machine infernale dont chaque rouage sait exactement quoi faire, l’œuvre de démantèlement de notre chère Haïti avance à pas sûrs, implacables. C’est une symphonie macabre, exécutée avec une précision dérangeante et accompagnée d’une communication démentielle, presque triomphante, comme si la démolition d’un pays entier devait être annoncée à coups de tambours et de clameurs funestes.
Mais ce qui brûle le plus, ce qui transperce le cœur comme un fer rouge, c’est que les bras qui allument les flammes ne viennent pas d’ailleurs. Ce sont nos propres enfants. Les fils du pays.
Ceux qui devraient être les héritiers de la terre, et non ses fossoyeurs.
Qu’est-ce qui peut bien se tramer dans la tête de certains hommes pour qu’un beau matin, sous le soleil lourd des tropiques, ils se lèvent, achètent des gallons d’essence comme d’autres achètent du pain, puis se dirigent délibérément vers une école d’adolescentes ? Qu’est-ce qui anime ces esprits pour qu’ils rassemblent méthodiquement chaises et pupitres, érigeant un bûcher moderne avant de l’enflammer sans un souffle d’humanité ?
Ainsi va Haïti, dirait-on. Mais comment comprendre de tels forfaits ? À quoi rime l’incendie d’une école, sinon à l’incendie de l’avenir lui-même ?
Les gangs, devenus maîtres d’un jeu macabre, rivalisent de barbarie comme si la cruauté était un trophée. Ce matin-là, c’est l’école Sacré-Cœur qui a été avalée par un brasier qui n’avait rien de naturel. Selon une vidéo, certains proches du pouvoir auraient même célébré l’événement. Quel désastre ! Quelle sécheresse du cœur ! Quel gouffre moral !
Détruire pour s’approprier
Dans un pays où les infrastructures ne sont pas légion, le peu qui subsiste semble condamné à disparaître dans les flammes. Trop souvent, ces incendies ne sont pas des accidents : ce sont des gestes volontairement exécutés par les gangs, avec une froideur mécanique. Leur stratégie est simple, brutale, presque primitive : détruire pour s’approprier. Effacer la propriété privée comme on efface une trace gênante, puis s’installer dans les ruines.
Les gangs de Viv Ansanm ont ainsi incendié l’école du Sacré-Cœur. Non seulement par haine de l’éducation, mais aussi par opportunisme, par volonté de s’implanter, par appétit territorial. L’incendie est devenu leur mode opératoire, leur signature. Là où d’autres bâtissent, eux carbonisent. Là où l’on espère, eux étouffent.
Le beau, ici, ne résiste plus. Il n’y a que le hideux qui prospère. La lumière fuit ; la fumée, elle, s’étale sans gêne ni honte.
Voir brûler une école — sanctuaire de savoir, d’avenir, d’innocence — n’est pas qu’une perte matérielle. C’est une blessure morale, un message sombre envoyé à ceux qui croient encore au renouveau.
Comment espérer que les graines de demain germent, lorsque les champs sont incendiés avant même la germination ? Ce ne sont ni les zenglen, ni les Piquets, ni les sanmanman, encore moins les kako de notre histoire tumultueuse. Non.
C’est une nouvelle espèce de destructeurs, une génération forgée dans le chaos, dressée par la faim, la frustration et le vide. Une génération qui prend parfois ses ordres de l’étranger — marionnettes accrochées à des fils invisibles — mais qui, le plus souvent, s’écoute elle-même, ne répondant qu’à ses pulsions, son profit, son propre abîme.
Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est la faillite totale d’une société qui n’a pas su mettre un frein à l’anarchie, qui l’a laissée pousser comme une herbe folle jusqu’à étouffer la moindre forme d’ordre. Nous avons balayé la poussière sous le tapis jusqu’à ce que le tapis lui-même disparaisse. Nous avons ignoré les fissures jusqu’à ce que la maison entière s’effondre.
La barbarie, désormais, n’est plus importée. Elle pousse chez nous comme ces arbres aux racines tordues qui fendent la terre. Nous avons enfanté des hommes que la société n’a jamais su élever. Des citoyens que la citoyenneté n’a jamais touchés. Des enfants que le pays n’a jamais vraiment embrassés.
Alors ils embrassent le chaos.
Et maintenant, les voilà à l’œuvre, bâtissant leur empire de fumée sur les cendres d’un pays qui peine à respirer. Haïti n’est pas seulement en crise : elle est en train d’être dévorée par ses propres rejetons, comme une mère affamée contrainte de manger ses enfants — sauf qu’ici, ce sont les enfants qui mangent la mère.
Si rien n’arrête cette spirale, si aucun rempart moral, social ou institutionnel ne se dresse, alors l’anarchie cessera d’être un accident : elle deviendra une culture. Et un pays où l’anarchie devient culture est un pays qui se dissout, lentement, irrémédiablement.
Maguet Delva,
Paris, France
