Les peuples haïtiens et dominicains ont une histoire commune et des héritages partagés mais marqués d'un dualisme sous le coup de la colonisation . Les interprétations des historiens et politiques sont variées, et à la base des mémoires conflictuelles. Malgré tout, il existe des réminiscences d'un substrat culturel ancré chez les deux peuples. Si des évènements historiques ont caractérisé des enracinements culturels d'autres ont dénié tout héritage partagé. On discute autour des causes diverses en opposant haïtianité et dominicanité. L'anti-haïtianisme est partant des positions dominantes mais il y a lieu de considérer l'endophobie construit chez le dominicain pendant qu'il se manifeste des survivances de la convivialité entre des populations frontalières. Le folklore sert de référence pour situer les relations haïtiano-dominicaines au regard des héritages partagés. En effet, le clash historique de 1937 tient lieu d'un chambardement dans les relations entre les deux États sans pour autant détruire le patrimoine commun existant. Les projets coloniaux et néocoloniaux impliquent une dissociation qui envenime les relations et fait développer des sentiments de domination qui définissent des rôles subalternes en conséquence.
La logique de colonialité de pouvoir tient lieu à déterminer les relations haïtiano-dominicaines traversées par des conflits. L'itinéraire historique des deux peuples permet, dans le présent exposé, de faire ressortir les moments-charnières de dissensions et de rapprochement qu'ils ont connus. Ainsi nous retenons les dates suivantes : le déplacement forcé des populations de la bande nord face à la contagion calviniste 1606);Le Traité de Ryswick (1697); le Traité de Arrajuez (1777); le Traité de Bâle (1795); la libération des esclaves dans la partie Est (1801); la campagne de l'Est 1805); le projet Ayiti espagnol (1817-1821); la domination haïtienne (1822-1843); Indépendance de la République dominicaine (1844); Indépendance de la République dominicaine (1865); Traité de 1874 ou Union haïtiano-dominicaine (1874); Occupation américaine de la RD (1916-1924); Occupation américaine d'Haïti(1915-1934); Massacre Kout kouto des Haïtiens(1937); dominicanisation de la frontière et dominicanité (1940); occupation américaine de la RD (1965); rechauffement des relations haïtiano-dominicaines (1972); fin de l'embauchage de braceros(1986); la déclaration d'Entente Balaguer-Préval et la création de la CMB (1996); Arrêt 168-13(2013); la crise des relations haïtiano-dominicaines et la question de la rivière Massacre (2023).
A L’arrivée des espagnols , les ancêtres des Arawaks et des Taïnos dits des pacifistes, se sont dressés contre les Caraïbes perçus plutôt comme des sauvages. C’est une instruction qui a parcouru l'imaginaire de toutes les générations, à la base du rejet de l'autre malgré sa fausseté.Nous avons constaté l’alliance matrimoniale entre Caraïbes et tainos , d’une part et l’existence d’une fédération de caciques pour mener la résistance contre les conquérants. Nos ancêtres communs se son érigés de part et d’autre de l’ile dans les cinq caciquats alors identifiés : le Marien (nord) la Magua( la Vega ), Xaragua (Ouest-Sud), la Maguana (cibao, nord ) , le Higuey(à l’est). Le Xaragua exerçait un droit de regard sur les autres caciquats constitués en fédération. Nous avons étudié à l’école fondamentale cette période d’histoire commune.
Il est important de circonscrire notre démarche dans une perspective d’anthropologie politique en vue de déconstruire des positionnements qui contribuent à attiser des conflits dans les relations haïtiano-dominicaines. Nous nous référons tout de suite à l’alliance entre noirs africains et indiens qui pratiquaient très tôt le marronage de telle sorte que la couronne hésita à faire venir des noirs africains contrairement aux instructions qui rapportent qu’ils sont arrivés en grand nombre dès 1503.Il est à noter déja en 1493, Colomb fut accompagné du premier noir africain dénommé (Moreno).Aussi la première revolte d’esclaves a eu lieu dans une plantation de Diego Colomb en 1521. En ce moment, des indiens se sont associés à des noirs .
Tous les territoires n’étaient pas contrôlés par les espagnols.Des marrons indiens et noirs africains ont aussi organisé une longue résistance dans les montagnes de Bahoruco sous l’obédience du Nitayno Enriquillo du Xaragua . Ce, malgré les noirs ont été abandonnés par la suite, quand intervint l’accord avec la couronne et se promulga la loi des Indes qui abolit l’esclavage des indiens. Cette tranche d’histoire a été rapportée pour déconstruire toute dualité indio et noir africain. Les dominicains s’identifient comme des indios, soient une catégorie ethnique supérieure aux haïtiens d’ascendance africaine.
Les haïtiens ont aussi l’héritage indio qu’ils ont déconsidéré au regard de mémoires conflictuelles sur la question.On parle du génocide des indiens . Ce qui n’implique pas la disparition de la culture des indiens dans les pratiques soient dans l’art culinaire, le vodou, la médecine populaire, la langue, la mythologie, entre autres. En Haïti, on savait célébrer le jour des indiens, soit le 28 novembre. Cela s’est passé sous silence de nos jours si ce ne fut l’historienne Odette Roy Fombrun dans son plaidoyer pourque Haïti soit considérée comme le berceau de la civilisation des indiens.
On peut se demander pourquoi nous avons accordé une grande importance à l’histoire de la caraïbe antique pour faire la part de choses .En effet, il convient de situer les héritages partagés d’Haïti et de la République dominicaine.Ce qui fait référence à l’antrhopologie de ces deux peuples.
Nos perceptions ont été façonnées suivant les tares apportées notamment par l'éducation et la religion.Aussi le temps et l’espace sont-ils objet de controverses dans leur définition. La partie orientale de l’ile , après avoir été rebaptisée Hispaniola a fait état de contentieux sur une dénomination commune. Nous comprenons bien l’enjeu en nous référant au contentieux entre les appellations golfe du Mexique et golfe des Amériques-Une parenthèse que nous fermons tout de suite. On parle de l’ile d’Haïti, de l’île de Santo Domingo, de l’île Quisqueya. Ce qui est de l’ordre d’un faux débat. Il est un fait que l’ile ne se constitua jamais en un Etat unitaire. Le mot Quisqueya n’a jamais existé dans les dialectes indiens selon l’historien dominicain Bernado Vega. Nous sommes devenus des voisins indifférents après que nous fûmes enfermés et isolés les uns les autres dans des communautés (Pedro Perez Herrero,1992).
Le premier heurt connu dans les relations entre les deux groupes survint en 1606 sous le règne d’Osorio qui allait durer plus deux siècles. Au regard d’une politique de la terre brulée des espagnols, pour éviter des contacts éventuels, soient l’influence luthérienne des corsaires et la contrebande commerciale, Il a été opéré des déplacements forcés massifs des habitants de la région de Santiago (nord) autour de la ville de Santo Domingo. Ainsi se réalisèrent les dévastations d’Osorio de la bande nord de l’île, Montecristi, Puerto Plata, Bayajà et Yaguana. Cet acte dénota déjà de l’intolérance religieuse et économique (Martinez, 1997 :50).La première opposition concerna le catholicisme et le protestantisme avant celle du catholicisme et du vodou à l’ordre du jour. Hurbon dans « Le barbare imaginaire » (1987 :9) a relaté le problème de la dissolution de l’altérité de l’autre et de simulacres de dialogue dans la mesure qu’il relève à peine du champ de l’imaginaire. Cette position peut nous éclairer sur les fondements des dissensions entre les deux peuples ayant pourtant des héritages partagés.
Un bond dans l’histoire des deux peuples nous emmène aux traités de Ryswisck (1697) qui délimite les influences des puissances espagnole et francaise dans l’île. Plus tard, en 1795, intervint le Traité de Bale qui conclut la juridiction de la France sur l’île entière. C’est au nom de ce traité que le Général Toussaint Louverture a libéré les habitants de la partie orientale de l’île de l’esclavage. Car la France eut déjà proclamé l’affranchissement des esclaves contrairement à l’Espagne qui persista encore dans cette entreprise. Mais la campagne de l’Est de 1805 a causé de blessures historiques différemment interprétées suivant les intérêts des acteurs. Cet évènement laisse des rancoeurs jusqu’à présent difficile à être dépassés. Des mémoires conflictuelles se sont ranimées en conséquence et n’aident pas à faire la part des choses. Plus tard, Boyer allait à nouveau procéder à la libération du peuple de la partie orientale de l’esclavage en février 1822.
L’Ayiti Espagnol consacré par Nunez de Caceres (1er décembre 1821) a mis fin à trois siècles de domination coloniale de l’Espagne. Ce fut une étape –éclair dans la vie de la nation dominicaine qui va être contrée par les menées unificatrices des dirigeants de la partie occidentale. C’était du point de vue de certains un affront-certes-, pour d’autres, un acquis de liberté. Pour Roberto Cassà, par exemple, une importante croissance économique a été notée, malgré les caractéristiques dominantes d’une production basée sur une technologie rudimentaire et archaïque. L’accès à la propriété de la terre était garanti ainsi que la destruction des liens de dépendance personnelle et économique vis-à-vis des Hateros dont le Dr Joaquin Balaguer suit les traces du point de vue ideologique. Ce furent ces hateros qui eurent procédé aux déplacements forcés de 1606 .
Par la force des choses, la gestion de Boyer était décriée et accusé de commettre des exactions démesurées, ces reproches s’ajoutent au poids de la « dette envers la France » pour les deux parties, par la suite ; et cela a constitué les éléments de fondements du discours anti haïtien dominant.
Le 27 février 1844, s’est proclamée une République indépendante sous le leadership De Duarte, Mella et Sanchez. Aussi les « Trinitarios », pères fondateurs de la République Dominicaine n’avaient pas nourri de sentiment anti haïtien sinon avaient combattu le colonialisme.
Malgré tout, les menaces d’occupation de l’Espagne notamment, concrétisées au début des années 1860, invitée par le Général Pedro Santana, un anti haïtien d’ascendance haïtienne (Pedro Encarnacion, 1998) , ont crée une situation de perturbation dans les relations de deux jeunes Etats due aux incursions militaires de la part d’Haïti. L’occupation espagnole a représenté, d’après les faits, un avilissement inqualifiable au peuple dominicain humilié et rabaissé par un groupe qui cristallise un idéal au regard de l’hispanité. Paradoxalement, les autorités haïtiennes alliées aux indépendantistes dominicains ont chassé les espagnols en 1865. Ce qu’on a appelle communément « La Restauraciòn ». La guerre de restauration était une étape cruciale dans la formation de la conscience dominicaine avec la promotion de la »dominicanité » sans aucun lien alors avec l’anti - haïtianisme sinon le dépasse. Dans cette perspective les masses avaient identifié le colonialisme comme leur ennemi commun. Par la suite, les secteurs en dispute du pouvoir politique s’alignent du côté de l’Europe ou des Etats Unis pour protéger ses intérêts, à l’exception des libéraux de la lignée des Trinitaires.
Dans ce contexte , il exista l’Union haïtiano dominicaine conclue par le Traité du 9 novembre 1874 mais érodée en 1900 sous les menaces des puissances impérialistes montantes dont les Etats Unis. Plus tard en 1905, les douanes dominicaines allaient être contrôlées par le gouvernement des Etats Unis. Ce qui annoncait déjà l’occupation de l’île par les Américains: la République dominicaine ,de 1916 à 1924 et Haïti, de 1915 à 1934.C’est le début d’un renversement des relations entre Haïti et la République dominicaine quand cette dernière commencait à exercer une suprématie sur le plan économique par rapport à Haïti. La migration devient un dossier litigieux ainsi que la question de la frontière.
Peña Battle , dans le cas dominicain s’est inspiré de l’approche relative à la valorisation de l’espace et du territoire en vue promouvoir des politiques de sécurité nationale, Ce qui allait donner lieu à proner l’opération dominicanisation de la frontière à partir des années 1940 . Le paradoxe existant est la présence du nègre dans la littérature dans ce même contexte. Dans les années 1940, tout suite après le massacre des haïtiens en 1937, en République Dominicaine, s'est installé l'anti haïtianisme, ce, en réaction à une nouvelle publiée par Fray Cipriano de Utrera (1946) dans laquelle le héros indien fut assimilé à un espion qui dénonçait les esclaves marrons. Les réminiscences de l'ère de Hateros ont aussi justifié les fondements de l' idéologie anti haïtienne en République Dominicaine.
Le massacre de 1937 vient renverser cet état de fait existant. C’est la destruction d’un monde et le début de définition d’une nouvelle frontière. Les habitants d’avant 1937 sont bien nostalgiques de la convivialité dans le cadre d’une frontière plutôt fictive comme ligne imaginaire avant qu’interviennent des mécanismes repréhensibles pour une frontière étanchement délimitée. Les différends concernant la frontière semblaient trouver un leurre de solution dans la signature du traité définitif de 1936 issu des négociations de 21 janvier 1929 entre Louis Borno et Horacio Vasquez. Le massacre survint dans un contexte de rapprochement à une association entre les deux Etats mais aussi dans l’instrumentalisation du dirigeant haïtien Stenio Vincent pour le traité de la frontière. Ainsi la frontière est -elle devenue un lieu de conflits et un espace de militarisation, soit d’une frontière de concorde à une frontière de discorde.
Nous avons eu un survol sur les relations haïtiano-dominicaines avec une emphase sur les héritages partagés et les mémoires conflictuelles. Le débat est à peine creusé et reste ouvert car il y a lieu de déconstruire quelques positions erronées à propos des relations haïtiano-dominicaines.Voici quelques positions soumises au questionnement:
- La dénomination de l’île d’Haïti est la plus légitime pour certains et pour d’autres c’est plutot l’île d’Hispaniola , l’ile de Santo Domingo ou l’île de Quisqueya
- Les pères fondateurs de la nation dominicaine sont anti-haïtiens;
- Les haïtiens sont assimilés à des noirs africains et les dominicains ont des origines d’ indios;
- La dominicanité s’oppose à l’haïtianité;
- Haïti a occupé la République dominicaine;
- Les dominicains sont hostiles aux haïtiens;
- Boyer a fermé l’université de Santo Domingo pou la transformer en une caserne;
- La migration haïtienne est une invasion pacifique des haïtiens en République dominicaine;
- Les haïtiens n’ont plus rien à voir avec la culture indienne contrairement aux dominicains;
- Le projet d’intégration régionale propulsée par l’Union européenne est un retour au projet de l’unification de l’île de l’ère de Boyer 1822-1843.
Hancy PIERRE, spécialiste en Relations internationales, Port-au-Prince
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