Une exploration économique de la pauvreté et des inégalités en Haïti

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Par Evens Emmanuel

Inspiré par la thèse de doctorat de Jean-Baptiste Anténord

 

Dans le cadre de l’axe de recherche « Financement de l’économie » du Centre de Recherche en Gestion et en Économie de Développement (CREGED) de l’Université Quisqueya, Jean-Baptiste Anténord aborde la problématique complexe de la pauvreté, de risques et des inégalités, qui se caractérisent par leur nature multidimensionnelle. Son travail de recherche vise à apporter des éléments de réponse à certains aspects spécifiques de la pauvreté, notamment l'accès aux biens et services pour les ménages les plus démunis, les risques auxquels font face les petits agriculteurs et les défis méthodologiques de l'étude statistique des populations les plus vulnérables.

Les travaux de recherche doctorale de Jean-Baptiste Anténord ouvrent des perspectives pour des recherches futures en fournissant des modèles théoriques qui peuvent être testés empiriquement. Ils proposent des fondements conceptuels solides pour l'élaboration de politiques publiques plus ciblées et plus efficaces, notamment dans les domaines de la collecte de données relatives aux populations difficiles à recenser, de l'agriculture et de la régulation des marchés, avec un objectif clair : réduire la pauvreté et les inégalités.

 

Introduction : Comprendre la pauvreté sous un nouvel angle

La pauvreté est un défi complexe qui touche des millions de personnes à travers le monde, et Haïti n’y échappe pas. Dans sa thèse de doctorat intitulée Pauvreté, risques et inégalités : trois essais inspirés de l'économie haïtienne, Jean-Baptiste Anténord, docteur en sciences économiques, propose une analyse novatrice des multiples facettes de la pauvreté. Cette thèse a été réalisée dans le cadre d’une cotutelle de thèse entre l’Université Quisqueya et l’Université de Lille, sous la direction du Professeur Etienne Billette De Villemeur et du Dr Raulin Lincifort Cadet et soutenue le 5 juillet 2022 à l’Université Quisqueya, Le Dr. Antenord y a abordé trois  questions cruciales, à savoir: comment identifier et dénombrer les populations pauvres ? Comment les petits agriculteurs peuvent-ils surmonter les risques climatiques ? Et comment les inégalités de revenus affectent-elles l’accès des plus démunis aux biens et services ? Cet article, destiné au grand public, vous invite à découvrir les idées-clés de cette thèse, expliquées de manière claire et accessible.

 

 

 

Problématique : La pauvreté, un puzzle multidimensionnel

La pauvreté ne se résume pas à un manque d’argent. Elle englobe des privations multiples : manque d’accès à la santé, à l’éducation, à un logement décent, ou encore une vulnérabilité face aux catastrophes naturelles. En Haïti, où plus de 60 % de la population vit dans une grande précarité, souvent en milieu rural, comprendre et mesurer la pauvreté est un défi de taille. Les pauvres, en particulier les plus démunis, sont souvent difficiles à recenser en raison de la stigmatisation ou de leur marginalisation. Les petits agriculteurs, qui forment une part importante de la population haïtienne, sont exposés à des risques climatiques comme les sécheresses et les inondations, aggravant leur précarité. Enfin, les inégalités de revenus creusent un fossé entre les ménages pauvres et l’accès à des biens essentiels. La thèse d’Anténord s’attaque à ces trois dimensions : identification des pauvres, gestion des risques climatiques, et impact des inégalités.

 

Objectif : Proposer des solutions concrètes à des problèmes précis

L’objectif de cette thèse est d’apporter des réponses pratiques à des aspects spécifiques de la pauvreté, en s’appuyant sur des outils économiques et statistiques. Le premier essai cherche à mieux identifier et dénombrer les populations pauvres, souvent invisibles dans les enquêtes traditionnelles. Le deuxième explore des stratégies pour protéger les petits agriculteurs contre les aléas climatiques. Quant au troisième, il  analyse comment les inégalités de revenus influencent les prix des biens et services, limitant l’accès des plus pauvres à ceux-ci. Ces trois volets, bien que distincts, convergent vers un but commun: mieux comprendre la pauvreté pour mieux la combattre.

 

Méthodologie : Une approche scientifique rigoureuse

La thèse se divise en trois essais, chacun utilisant des méthodes adaptées aux réalités haïtiennes :

  1. Premier essai : Identifier les pauvres avec la méthode « capture-recapture »
    Pour recenser les populations pauvres, souvent difficiles à atteindre, Anténord adapte une méthode statistique appelée « capture-recapture ». Initialement utilisée pour compter les animaux dans la nature, cette technique combine plusieurs sources de données (comme des listes de bénéficiaires d’aide ou des registres communautaires) pour estimer la taille d’une population sans supposer que les données soient parfaites. Anténord l’étend à une analyse économétrique, permettant de corriger les biais dans les enquêtes et d’estimer des relations entre variables, comme le lien entre pauvreté et accès à l’éducation. Cette méthode offre une solution pour mieux cibler les politiques d’aide.
  2. Deuxième essai : Protéger les agriculteurs contre les risques climatiques
    Le deuxième essai développe un modèle théorique pour aider les petits agriculteurs à minimiser les pertes dues aux sécheresses et inondations. Anténord examine si l’arrosage manuel, une pratique courante en Haïti, est rentable face à ces risques. Il analyse également l’impact de l’assurance agricole et des aides publiques. Ce modèle mathématique évalue les conditions (intensité des sécheresses, probabilité d’inondations, etc.) dans lesquelles arroser devient une stratégie viable pour augmenter les revenus.
  3. Troisième essai : Comprendre l’impact des inégalités sur l’accès aux biens et services
    Le dernier essai explore comment les inégalités de revenus influencent les prix fixés par les entreprises. En utilisant un modèle microéconomique, Anténord montre que lorsque les revenus sont très inégaux, les entreprises augmentent leurs marges, rendant les biens inaccessibles aux plus pauvres. Il utilise des distributions statistiques, comme celle de Pareto et la distribution log-normale, pour démontrer que des revenus plus équitablement répartis réduisent les prix et améliorent l’accès des ménages pauvres.

 

Résultats et discussion : Des pistes pour l’action

Les résultats de la thèse offrent des enseignements précieux :

  • Recenser les pauvres avec précision : La méthode « capture-recapture » permet de mieux estimer la taille des populations pauvres, même lorsque les données sont imparfaites. Cela pourrait aider les autorités haïtiennes à mieux cibler les aides sociales, par exemple pour les enfants de rue ou les ménages en extrême pauvreté. Cependant, cette méthode demande des échantillons suffisamment grands pour être fiable, ce qui peut poser des défis logistiques en Haïti.
  • Protéger les agriculteurs : Le modèle montre que l’arrosage manuel est rentable si les sécheresses sont fréquentes mais les inondations rares, et si les agriculteurs bénéficient d’aides ou d’assurances. Un résultat frappant est qu’il est difficile d’éliminer totalement les risques pour les agriculteurs : sans assurance contre les inondations, arroser devient moins intéressant, et sans arrosage, l’assurance est moins rentable. Cela souligne l’importance de combiner des solutions pratiques (comme l’irrigation) avec des politiques publiques (assurances ou subventions).
  • Réduire les inégalités de revenus pour plus d’accès aux biens et services.: Le troisième essai révèle que les inégalités de revenus poussent les entreprises à fixer des prix élevés, excluant les ménages les plus pauvres. Une redistribution des revenus pourrait non seulement rendre les marchés plus justes, mais aussi plus efficaces, car des prix plus bas permettraient à plus de personnes d’accéder aux biens et services. Ce résultat est particulièrement pertinent en Haïti, où la majorité de la population vit avec des revenus très faibles.

Ces résultats mettent en lumière des solutions concrètes, mais aussi des défis qui peuvent se présenter. Par exemple, la mise en place d’assurances agricoles ou de politiques redistributives nécessite une coordination institutionnelle, souvent complexe dans un pays comme Haïti.

 

Conclusion : Une contribution à la lutte contre la pauvreté

La thèse de Jean-Baptiste Anténord apporte une contribution significative à la compréhension de la pauvreté en Haïti. En combinant des outils statistiques, économiques et théoriques, elle propose des solutions pratiques pour identifier les pauvres, protéger les agriculteurs et réduire les inégalités. Ces travaux montrent que la lutte contre la pauvreté ne se limite pas à distribuer des aides, mais nécessite des approches innovantes et adaptées aux réalités locales.

 

Perspectives : Un appel à l’action

Anténord ouvre plusieurs pistes pour l’avenir. Il envisage d’appliquer la méthode « capture-recapture » pour recenser les enfants de rue en Haïti, un groupe particulièrement vulnérable. Il souhaite également approfondir l’étude des incitations à l’arrosage et analyser l’impact des impôts redistributifs sur les inégalités. Ces recherches pourraient inspirer des politiques publiques plus efficaces, non seulement en Haïti, mais dans d’autres pays en développement confrontés à des défis similaires.

En somme, cette thèse est un appel à repenser la lutte contre la pauvreté avec des outils scientifiques rigoureux, tout en tenant compte des réalités sociales et économiques d’Haïti. Elle invite les décideurs, les chercheurs et les citoyens à travailler ensemble pour un avenir plus équitable.

 

Evens Emmanuel, PhD HDR

ERC2-UniQ / LMI-CARIBACT

Pôle Haïti-Caraïbe Haïti Sciences et Société (HaSci-So)

Équipe des Partenaires Scientifiques pour la Communication de la Recherche (E-PSi-CoRe)

E-mail : evens.emmanuel@uniq.edu

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