Prévue pour le 24 décembre 2025, l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal et du Code de procédure pénale marque une étape importante dans la modernisation du système judiciaire haïtien. Pourtant, à trois semaines de cette échéance, le Conseil présidentiel de transition (CPT) n’a toujours pas organisé de formations à l'intention des professionnels du droit, ni lancé de campagne d’information au profit de la population. Une situation qui suscite de nombreuses interrogations.
Pour tenter d’y voir plus clair, la rédaction du journal Le National s’est entretenue avec une source proche de la commission chargée de la révision du nouveau Code pénal haïtien. Celui-ci souligne l’ampleur des réformes introduites par les nouveaux textes, notamment l’inclusion de nouvelles infractions telles que le génocide, le crime contre l’humanité ou encore l’interruption volontaire de grossesse, cette dernière étant désormais passible de peines allant jusqu’à trois ans de prison.
Le nouveau régime des peines se veut plus moderne, en intégrant des alternatives à l’incarcération. Ainsi, pour les infractions mineures, un condamné pourra s’acquitter d’une amende équivalente au nombre de jours de détention prononcés. Par exemple, une peine de 15 jours de prison pourra être convertie en paiement. En outre, autre innovation tels que les travaux d’intérêt général, qui incluent la participation à des chantiers publics ou l’enseignement en milieu carcéral, sont désormais prévus comme peines de substitution. Par ailleurs, la peine de « travaux forcés à perpétuité » est remplacée par la « réclusion criminelle à perpétuité », dans une logique de réinsertion sociale.
Le Code de procédure pénale, lui aussi profondément remanié, introduit de nouveaux rôles judiciaires. Le Juge des libertés et de la détention, sera chargé de statuer sur la légalité des arrestations. L’avocat pourra saisir ce juge en cas de détention jugée arbitraire. Les Juges de l’application des peines auront pour mission de surveiller les conditions de détention et d’éviter les incarcérations prolongées sans jugement, une pratique malheureusement fréquente en Haïti.
Le rôle du Commissaire du gouvernement est également redéfini. Les magistrats du parquet porteront désormais les titres de « Procureur de la République » ou de « Procureur général » au niveau de la cour d’appel. Le système introduit aussi des mécanismes de désengorgement des tribunaux, tels que la médiation pénale ou la composition pénale, afin de limiter le recours systématique aux procès.
Ces réformes visent à corriger des dysfonctionnements historiques, notamment les cas où des prévenus passaient plus de temps en détention préventive que la peine finalement prononcée. L’objectif affiché est clair: passer d’un modèle punitif hérité de l’époque coloniale à une justice plus humaine, plus efficace et respectueuse des droits fondamentaux.
Néanmoins, malgré l’ambition de ces réformes, leur mise en application soulève de nombreuses inquiétudes. Notre source déplore l’absence de formation pour les juges, greffiers, procureurs et autres acteurs judiciaires, ainsi que le manque de moyens alloués par l’État. « Sans ressources ni accompagnement, ces normes risquent de rester lettre morte », prévient-il, alors que nous sommes à environ deux semaines pour la rentrée en vigueur de ces nouveaux codes.
L’entrée en vigueur de ces codes a déjà été reportée à plusieurs reprises. Initialement prévue pour 2022 sous la présidence de Jovenel Moïse, qui a été lâchement assassiné le 7 juillet 2021, elle a été successivement repoussée à 2023, puis à 2024. Ce n’est qu’après plusieurs mois de travail d’une commission spéciale que le CPT a fixé la date du 24 décembre 2025 pour sa mise en application.
Pourtant cette échéance pourrait, une fois de plus, être repoussée. Une source au sein de la commission de révision confirme pour la rédaction qu’un nouveau report est « fortement probable ». Elle reconnaît néanmoins que ces textes représentent une avancée majeure pour le pays, malgré leurs imperfections. « Le système judiciaire haïtien accuse un retard considérable. Il est temps d’y remédier », affirme-t-il.
Au-delà des considérations juridiques, des obstacles techniques et sociaux pourraient freiner l’application de certaines mesures. L’utilisation de bracelets électroniques, semble difficilement envisageable dans un pays où l’accès à l’électricité et à Internet reste limité, notamment dans plusieurs quartiers défavorisés.
En somme, si les nouveaux codes incarnent une volonté de modernisation salutaire, leur succès dépendra largement de la capacité de l’État haïtien à mobiliser les ressources nécessaires, à former ses acteurs judiciaires et à sensibiliser la population. Faute de quoi, cette réforme historique pourrait bien rester un vœu pieux.
Likenton Joseph
