Dans la troisième ou la deuxième ville du pays ouverte sur le monde, en sachant que la capitale Port-au-Prince perd de plus en plus ses galons, pour céder la place au Cap-Haitien et les Cayes sur le plan touristique local en particulier, le secteur de l'aviation civile continue de tenter de rattraper symboliquement le long retard, en termes de circulation et d'attractivité, en attendant que le pays dispose de nouvelles infrastructures modernes et compétitives dignes des autres grandes villes et capitales des pays voisins.
Désormais une nouvelle date s'ajoute dans le calendrier commémoratif de la ville des Cayes, le 10 novembre 2025, avec l'arrivée de l'avion de la compagnie IBC Airways qui atterrissait sur le tarmac de l’aéroport Antoine-Simon.
Disons que c'est juste un petit pas à la fois pour la ville, pour le pays, et pour le secteur de l'aviation à voir les images au passage, l'environnement des bagages, et du petit paysage aménagé pour accueillir de nouvelles ailes, mais un grand bon pour les familles qui veulent retrouver la terre natale à l'autre bout de l'île.
De ce tout premier vol international direct entre Miami et les Cayes, il faudra conserver le plus grand nombre des souvenirs, des objets témoins de cet atterrissage, pour chacun des passagers autant que pour le personnel mobilisé dans les différents maillons du système de transport aérien. Une date historique pour cette ville du Sud longtemps enclavée, désormais connectée au monde. Mais derrière les applaudissements et les rubans coupés, une question persiste : cette ouverture aérienne est-elle le début d’un essor économique durable ou un simple mirage de développement ?
De quoi faire rêver, un nouveau levier économique est désormais activé, à condition de l’exploiter dans toutes ses composantes. Nous sommes unanimes à reconnaître que les retombées économiques potentielles sont nombreuses, notamment sur le plan touristique, pour un plus grand accès autour des différents hauts lieux culturels et patrimoniaux de la région, notamment l’île-à-Vache, les plages de Port-Salut, et vestiges historiques et les habitations coloniales des Cayes.
Atterrissage d'une promesse d’ouverture ?
Destination internationale. L’arrivée du vol inaugural a été saluée comme un tournant stratégique. Pour la première fois, Les Cayes devenaient accessibles sans passer par Port-au-Prince. Une aubaine pour les touristes, les investisseurs, et surtout la diaspora haïtienne de Floride, impatiente de renouer avec ses racines sans les tracas logistiques habituels.
Développement communal transversal. « C’est une victoire pour le Sud, une victoire pour Haïti », déclarait Dimitri Fouchard, représentant d’IBC Airways, lors de la cérémonie d’accueil. Le vol transportait 30 passagers, dont des entrepreneurs, des membres de la diaspora, et des représentants d’organisations internationales.
Demain, dans un proche avenir, la ville des Cayes et les autres communes qui composent le Grand Sud devront également se préparer à l'arrivée des autres passagers pas toujours désirés, comme les hommes, les femmes et les jeunes en situation de migration irrégulière, ou en contravention avec la justice de certains États de la région.
Des producteurs, des créateurs et des marchés à rapprocher. Sur le plan commercial, il faudra espérer une exportation plus rapide de produits agricoles et artisanaux vers la Floride. Au niveau de l'emploi, il faudra s'attendre à la création de postes dans les secteurs de l’aviation, de l'hôtellerie et des services connexes.
Diaspora en fête, cette nouvelle opération aérienne participe au renforcement des liens économiques et affectifs avec la région. Mais ces promesses ne se concrétiseront que si des investissements structurants suivent. Routes, sécurité, formation professionnelle, et gouvernance locale doivent être renforcés pour que l’aérien ne reste pas une bulle isolée.
Dualité entre l'offre et la demande. Un risque de fracture à prendre en compte. Certains observateurs mettent en garde contre un développement à deux vitesses. « Si seuls les hôtels de luxe et les élites en profitent, on aura raté le décollage », avertit un économiste local. Le coût des billets, l’accès limité à l’aéroport, et l’absence de politique inclusive pourraient creuser les inégalités.
De plus, la dépendance à un seul axe international (Miami–Les Cayes) expose la région à des chocs extérieurs : instabilité politique, catastrophes naturelles, ou fluctuations économiques.
De la nécessité de construire une mémoire collective d'ici 2050, dans 25 ans, le Musée haïtien de l’aviation devrait proposer une exposition autour de la collection en pleine constitution dans la ville des Cayes, racontera cette page d'histoire en 2025. Des visages associés à ce voyage seront revisités. Les générations futures en profiteront pour découvrir l'exposition des documents du vol inaugural, les noms des passagers, les uniformes du personnel, et les témoignages de ceux qui ont rendu ce rêve possible. Mais au-delà des vitrines, c’est une mémoire vivante qu’il faudra transmettre : celle d’un Sud qui a osé s’élever.
De manière réaliste, le vol du 10 novembre 2025 n’est pas une fin en soi. C’est un point de départ. À la croisée des chemins, Les Cayes peuvent devenir un modèle de développement régional fondé sur l’ouverture, l’équité et la vision. Mais pour cela, il faudra plus qu’un avion : il faudra une stratégie.
Dominique DOMERÇANT
