Cent ans après sa mort, Georges Sylvain reste l’un des plus fervents défenseurs de l’âme haïtienne. Juriste, diplomate, écrivain engagé, il a porté, tout au long de sa vie, la voix d’un patriotisme lucide et profond. Son poème:” Prière” , cri du cœur adressé à Dieu pour sauver un peuple en détresse, témoigne de cet amour indéfectible pour Haïti. Plus qu’un simple poème spirituel, Prière est un texte fondateur d’une foi nationale : celle d’un pays meurtri mais digne, croyant encore à la lumière malgré l’oppression et la douleur.
Une foi ancrée dans la souffrance collective
Georges Sylvain ne parle pas en son seul nom. À travers les vers limpides et solennels de sa Prière, il donne voix à un peuple: “agonisant, / qui de son salut désespère”. Loin d’un repli individuel, sa foi devient foi nationale, acte de résistance poétique et spirituelle. Il n’idéalise pas : il constate, avec une lucidité douloureuse, que le peuple haïtien peine depuis si longtemps . Mais dans cette peine, il perçoit aussi un courage : celui d’un peuple qui souffre, mais ne cède pas.
Une poésie de la dignité et de l’humilité
À genoux devant Dieu, le poète est debout pour son pays. Il se prosterne “ à deux genoux” , non par faiblesse, mais parce qu’il sait que seule la miséricorde divine peut encore redonner souffle à cette nation blessée. Il ne demande pas des miracles : il demande la compassion, un regard divin sur ce peuple qui lutte. Il rappelle que ce peuple, bien que misérable, a du cœur et de la foi, et qu’aucun effort vers le bien n’est jamais oublié de Dieu. À lire ce poème aujourd’hui, on est frappé par sa portée contemporaine. Haïti souffre encore. Haïti lutte encore. Mais la voix de Sylvain traverse les décennies avec une intensité intacte. Il nous rappelle que l’histoire d’Haïti est aussi celle d’une espérance tenace, d’une prière jamais interrompue, malgré les épreuves. Ce texte est une source de consolation, mais aussi un acte de mémoire, de foi et de combat. Au-delà de la beauté littéraire, Prière est un acte d’amour pour Haïti, une offrande spirituelle que chaque Haïtien peut faire sienne. En ces temps d’incertitude, relire Georges Sylvain, c’est se rappeler que même dans l’abîme, une voix peut s’élever humble, sincère, et forte d’un peuple tout entier Le National publie un extrait de ce poème :
Prière
Seigneur, mon Dieu, je viens à vous
Comme au Père infiniment juste.
Et devant votre autel auguste,
Je me prosterne à deux genoux.
Qu’au spectacle imposant des choses
D’autres assistant, proclamant
Le vide du bleu firmament
Et l’inutilité des causes;
Que, rebelles à votre voix,
ls dédaignent mon ignorance,
Moi qui sens ma détresse immense,
Je crois en vous. Seigneur! Je crois
Que votre pouvoir sans limite
S’exerce, pitoyable et doux.
Sur ce monde créé par vous,
Et qu’aucun souffle n’y palpite(…)
Mais sur ce peuple agonisant,
Qui de son salut désespère,
N’inclinerez-vous pas, mon Père,
Votre regard compatissant!”.
Schultz Laurent Junior
