Un corps de papier vidé de toute chair, animé par les réflexes d’une mémoire usurpée, d’une autorité acquise non par souffle, mais par répétition. Il ne s’agit plus ici de critiquer une œuvre faible, mais d’affronter un fantôme persistant, un simulacre de pensée encadré, salué, archivé et pourtant déjà exsangue. Il s'agit de l'abattre une bonne fois. Or, tuer ce qui est déjà décapité exige un art plus retors que la simple décapitation. Le zombie littéraire est ce texte qui refuse de mourir parce que le système symbolique le maintient artificiellement en vie. Il vit de citations tautologiques, de commentaires circulaires, de théories qui ne risquent plus le monde. Sa substance n’est plus la langue, mais le discours sur la langue. Son moteur n’est plus le désir d’écrire, mais la mécanique du crédit académique, éditorial, institutionnel. Il traîne son corps d’idées mortes dans des phrases qui s’épaississent de prétention pour masquer leur vacuité. Il se cache dans l’évidence formelle, dans l’imitation d’un style devenu méthode. Il ressuscite à travers les applaudissements automatiques de ceux qui confondent épaisseur et densité, posture et pensée.
Il ne vit pas
Le corps du texte est sans nerf : plus de conflit intérieur, plus d’instabilité rythmique, plus de langue prise au piège de son propre excès.
Pour tuer le zombie, il faut réintroduire le désordre organique dans l’œuvre. Il faut fracturer la syntaxe si elle devient tyrannie. Il faut raturer les évidences, précipiter la narration dans ses gouffres. Ce n’est pas une esthétique du chaos : c’est une poétique du risque.
Le vrai corps du texte est celui qui saigne, qui sue, qui ne tremble pas celui qui défile droit sous la lumière des prix. Le zombie littéraire est commenté sans fin. Le commentaire devient l’ultime lieu où il respire, comme un corps maintenu par assistance critique. Il ne se lit plus : il s’interprète comme un monument, jamais remis en jeu, toujours reconduit par des gardiens de ruines.
Il faut donc se soustraire au pacte du commentaire. Ne plus analyser le zombie : le faire taire. Rompre la chaîne de la lecture érudite qui recycle l’inerte comme si c’était du vivant. Il ne s’agit plus d’éclairer : il faut éteindre la lumière pour que surgisse autre chose.
contre la mort feinte
La seule manière de tuer un zombie littéraire cou coupé, c’est de produire de la vie nue. Une écriture qui se dresse sans filet, qui trébuche peut-être, mais qui cherche. Une voix qui n’a pas peur du ridicule parce qu’elle naît d’une nécessité et non d’un calcul. Écrire, ici, devient un acte d’hostilité envers l’héritage figé. Non pas une négation de la tradition, mais un refus de sa muséification. Il faut voler les outils des morts, les retourner, les fracasser contre les parois du temps, pour retrouver un bruit neuf, une fêlure où passe un peu d’air. :
Ce qui tue vraiment le zombie littéraire, ce n’est pas la critique. C’est l’œuvre vivante qui lui fait honte par sa seule présence. Celle qui n’explique rien, mais qui brûle. Celle qui n’a pas de programme, mais une nécessité intérieure. Celle qui, sans arme ni tête, fend pourtant la page et mord dans la conscience du lecteur.
Godson Moulite