En 2055: Un musée pour le Compas Direct, une chaire universitaire pour Nemours Jean-Baptiste ?

Déçu, certainement dans son repos éternel. En sachant que ce qui restait de son tombeau pourrait bien figurer parmi les vestiges détruits au cimetière national, Nemours Jean-Baptiste, dont les principaux hauts lieux associés à sa vie familiale, professionnelle et sa mémoire culturelle dans la capitale sont pratiquement tombés dans l'indigence et l'indifférence, ne dispose pratiquement d'aucun repère vivant comme une véritable institution verticale pour valoriser son nom en Haïti.

 

Dans quelle collection pourra-t-on trouver quelques-uns des instruments qui appartenaient à Nemours Jean-Baptiste, comme l’un des saxophones qui figurent dans ses principales images d’archives, des affiches ou pochettes d’album ? Que reste-t-il des documents qui pourraient raconter l’histoire personnelle de l’artiste ou de la fondation de la formation “Ensembles aux Calebasses ? Que sont devenus les enfants ou les héritiers de Nemours et de ses anciens proches collaborateurs qui pourraient bien disposer de certaines archives et témoins de son époque ?  

 

Depuis 70 ans (25 juillet 1955-2025), Nemours Jean-Baptiste avait bien joué sa part de responsabilité dans la naissance de cette institution créative et créatrice d’identité, d’authenticité et de valeur ajoutée pour toute une nation. NJB a en effet si bien joué sa partition,  dans ce jeu musical d’ensemble, et collectif qui dépasse désormais les frontières nationales et culturelles.

 

Dommage qu’en retour, la majorité des héritiers autant et surtout les principaux bénéficiaires qui crient haut et fort son nom, ne sont pas prèts à jeter un seul sous dans la sauvegarde de la mémoire de cet personnage emblématique. Encore moins, ces musiciens, promoteurs et décideurs n’arrivent pas à s’entendre autour d’un seul projet culturel, éducatif et scientifique, parmi les trois piliers de l’UNESCO pour institutionnaliser la diffusion des connaissances et des savoirs autour de l’oeuvre et de son auteur aux quatre saisons, et dans les quatre coins du pays.    

 

De nombreux créateurs et des acteurs vont continuer à utiliser cette tendance de façon maladroite, abusive et désordonnée dans le seul objectif de faire profit, et sans retourner l’ascenseur. Cette tendance musicale populaire depuis sept décennies n’a cessé de continuer à nourrir des dizaines de formations musicales, des centaines de milliers de familles de musiciens, et des milliers d'opérateurs, parmi les entrepreneurs connus et des anonymes depuis tantôt 70.

 

D'un monument à une place publique, une distinction officielle et pérenne qui porte son nom,  en passant par la publication et la diffusion des documents de référence,  de manuels scolaires ou l'organisation de journée nationale ou officielle pour marquer l'importance et la valeur de cette œuvre majeure, autant pour signifier l'immortalité de son fier auteur, NJB. 

 

Durant la dernière semaine de juillet, ces cérémonies d'hommage occasionnel, accidentel et isolé ne peuvent servir qu'à de simples tentatives louables de la part des acteurs privés, pour sauver la partie, parmi d'autres manifestations médiatiques et culturelles à encourager, tout en reconnaissant leur limite et leur approche souvent stérile et cosmétique. Sachant que les vrais questions ne sont pas toujours posées aux vrais acteurs, et qu'entre les réponses des promoteurs qui annoncent ou certains musiciens qui dénoncent la pseudo industrie du Compas Direct ne dépassent pas les limites de la parole pour passer au actes, pour jeter des bases solides, intelligentes, durables et constructives, créatives et rentables, responsables et équitables.  

 

Dans le couloirs du cimetière de la musique populaire haïtienne, Nemours Jean-Baptiste trône au sommet de sa gloire 70 ans plus tard, sans pour autant véritablement jouer son vrai rôle de "Bawon". Autour de lui se tournent plusieurs générations de musiciens, chanteurs, compositeurs et d'opérateurs qui traînent derrière des sacs de vieux instruments ou des supports tels des CD abîmés, pour montrer leurs engagements et contributions respectifs dans cette industrie souvent mafieux ou maléfiques, pour reprendre certains acteurs, qui n'arrive pas encore à récompenser valablement à la fois le travail de ses artisans vivants, encore moins la mémoire des contributrices et contributeurs absents.   

 

Demandez-vous pourquoi et comment expliquer que durant les dernières années, des millions de gourdes et des milliers de dollars sont toujours accordés aux formations musicales d'ici et d'ailleurs pendant les trois jours gras ? Et pourtant, pas un seul des donateurs et de ces bénéficiaires prennent la peine de penser à investir au moins une part symbolique, entre un à dix pour cent de cette somme pour investir dans la mémoire de celui qui a donné vie à ce bien commun, ce patrimoine national. 

 

D'ici les trente prochaines années qui marqueront le premier centenaire de la fondation du Compas Direct, il faudra plus que jamais dépasser le cadre des cérémonies cosmétiques, des débats stériles, et des activités isolées et partisans pour passer à des actions concrètes, pour non pas honorer la mémoire de Nemours et célébrer la musique Konpa.

 

Du concret. Des investissements consistants à l’aune des dépenses des trois jours gras sont plus que nécessaires à mobiliser pour les trente prochaines années, pour marquer une nouvelle ère dans les industries de la musique haïtienne. Pourquoi et comment impliquer l’Ecole nationale des Arts (ENARTS) dans la dynamique institutionnelle de revaloriser la musique populaire et le Compas Direct en particulier ? En dehors d’un musée vivant pour valoriser et rentabiliser l’oeuvre de Nemours Jean-Baptiste et une chaire universitaire pour institutionnaliser les recherches sur la musique populaire haïtienne, quels sont les musiciens les plus conscients et les opérateurs les plus visionnaires qui s'engagent à investir dans de tels chantiers durables ?   

 

Dans le prochain musée du Compas Direct, il sera possible de constituer une véritable collection d’objets pour écrire l’histoire de cette tendance et remonter les moments forts de son évolution et sans discrimination. En dehors de Nemours Jean-Baptiste, il faudra ressusciter tous les autres talents musiciens, les compositeurs, les promoteurs, les techniciens, les animateurs, et les collaborateurs, complices de ce projet collectif et culturel national. Nemours n’était pas seul dans cette aventure. Autant rendre justice à tous les autres noms oubliés, à travers des expositions thématiques, des animations, et des publications qui permettront au pays d’apprendre l’alphabet du Compas Direct, de comprendre l'abécédaire de la musique populaire, et d’entreprendre dans cette industrie musicale nationale et internationale.

 

De la nécessité pour le pays de se doter de sa première  chaire universitaire consacrée  à la musique populaire, qui porterait le nom de Nemours Jean-Baptiste. Pour la rendre pérenne et dynamique, il serait opportune pour que cette chaire Nemours Jean-Baptiste bénéficie d’une subvention automatique dans l’enveloppe budgétaire du carnaval national chaque année. En retour, les principales thématiques ou problématiques de  recherche réalisées seraient publiés, exposés et diffusés sur le parcours du carnaval national, pour une meilleure vulgarisation des enjeux, des atouts, des métiers, des leviers, des opportunités.

 

Donnons-nous rendez-vous pour le centenaire du Compas Direct, le 25 juillet 2055. En commençant par reconnaître que le Compas autant que Nemours Jean-Baptiste méritent mieux que de simples débats qui ne dépassent pas l’espace d’une semaine et le cercle de quelques clans isolés. Il y a certes urgence pour informer la population, mais surtout l’obligation de former cette génération pour devenir de véritables acteurs et actrices, capables d'identifier et de transformer tous les atouts du Compas Direct, en des métiers valorisants et rentables.

 

D'ici 2055, pour les cent ans du Compas Direct, l’éducation populaire et la formation des musiciens haïtiens devraient être au centre des calendriers commémoratifs dans cette riche industrie, trop dominée par l’improvisation et l’absence d’institution inclusive.   

 

Dominique Domerçant

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