Une pensée pour Jean Métellus

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À l’occasion du décès d’Anne-Marie Métellus, épouse et première lectrice de l’écrivain haïtien Jean Métellus, c’est l’occasion de rendre hommage à la mémoire de cet auteur exceptionnel. Jean Métellus, véritable virtuose, a marqué les lettres et la science par son talent inégalé dans divers domaines : la poésie, l’essai et la neurologie. Son héritage demeure une source d’inspiration pour tous.

Jean Métellus, né à Jacmel, était bien plus qu’un simple écrivain ; il incarnait une voix majeure, une conscience littéraire et poétique ancrée dans les tumultes de l’histoire haïtienne et de l’humanité.

Décédé le 4 janvier 2014, cinq ans après son grand ami Jean-Claude Charles, Métellus laisse derrière lui une œuvre prolifique et plurielle, traversée par une lucidité poignante et une tendresse implacable pour son pays natal, Haïti.

Jean Métellus n’était pas uniquement poète, bien que sa poésie occupe une place centrale dans son œuvre avec plus de 30 recueils publiés, il était également romancier, dramaturge, essayiste, et docteur aussi en linguistique.

Chaque forme d’écriture était pour lui une voie d’exploration, un moyen d’exorciser les blessures collectives et individuelles, tout en tissant un dialogue permanent entre l’histoire d’Haïti et l’universel. Son œuvre la plus connue, Haïti, une nation pathétique, est emblématique de cette tension entre l’amour et la douleur, entre l’espoir et la désillusion. Ce texte, à mi-chemin entre l’essai et la plaidoirie poétique, interroge avec une acuité bouleversante l’identité haïtienne, les traumatismes historiques, et les défis d’un peuple en quête de dignité.

La poésie : une terre de résistance

Jean Métellus utilisait la poésie comme un miroir où se reflétaient les tragédies et les splendeurs de son pays natal. Ses poèmes, souvent marqués par des métaphores puissantes et des rythmes incantatoires, étaient des cris de révolte autant que des chants d’amour. Sa plume, vibrante et dense, explorait les thèmes de l’exil, de la mémoire, de l’injustice, et de l’espoir.

Dans son recueil Au pipirite chantant, le poète s’acharnait à célébrer la richesse culturelle et linguistique de son pays, tout en exprimant une nostalgie déchirante pour cette Haïti qu’il a dû quitter pour la France, où il a poursuivi une carrière de neurologue. Le pipirite, cet oiseau qui chante à l’aube, devient un symbole de résistance et de renouveau, une métaphore de la persévérance haïtienne face aux tempêtes de l’histoire.

Un dramaturge engagé

Sur les planches, Métellus a également marqué les esprits avec des pièces qui scrutent les rapports de pouvoir, les tensions sociales, et les défis existentiels. Sa dramaturgie, empreinte d’une grande intensité, est un prolongement naturel de sa poésie : elle interroge, dérange, et éclaire. Ses pièces ne sont pas seulement des spectacles ; elles sont des expériences cathartiques, des appels à une prise de conscience collective. Dans ses romans, Métellus plonge dans les méandres de l’histoire haïtienne et mondiale, explorant les répercussions de l’esclavage, de la colonisation, et des dictatures sur les corps et les âmes. En parallèle, ses essais, comme Haïti, une nation pathétique, montrent son érudition et sa capacité à analyser les structures politiques et sociales avec une rigueur implacable.

Un intellectuel engagé et visionnaire

Mais au-delà de ses prouesses médicales, Métellus était un homme profondément engagé, mêlant réflexion scientifique et conscience politique. Il n’hésitait pas à dénoncer les injustices et à poser des questions fondamentales sur l’histoire et l’avenir d’Haïti. L’auteur de Jacmel aux crépuscules fut le premier à exiger publiquement que la France reconnaisse et rembourse la « dette de l’indépendance », cet odieux tribut que la jeune République haïtienne dut payer à son ancien colonisateur en échange de sa liberté. Ce combat, longtemps ignoré, commence à trouver une place sur la scène diplomatique. Au cours des six derniers mois, deux présidents haïtiens ont officiellement formulé cette demande à la France, montrant que la vision de Métellus reste d’une brûlante actualité.

Un écrivain intemporel

Jean Métellus appartient à une génération d’intellectuels haïtiens qui ont su transcender les frontières de leur île pour porter la voix d’Haïti sur la scène mondiale. Sa maîtrise de la langue française, son sens aigu de la métaphore, et sa capacité à articuler l’intime et le collectif font de lui un écrivain intemporel. En le lisant, on ne peut qu’être frappé par la profondeur de sa pensée et la générosité de son humanisme. Il a su, comme peu d’écrivains, transformer la douleur en beauté, le désespoir en poésie, et l’exil en un espace d’écriture fertile. Jean Métellus est parti, mais ses mots résonnent encore, comme une mélopée douce-amère, un testament d’amour pour Haïti et pour l’humanité tout entière. 

Un grand neurologue 

Cependant, beaucoup de nos compatriotes ignorent que le natif de Jacmel, Jean Métellus, ne se distinguait pas uniquement par son œuvre littéraire prolifique, mais également par son immense contribution au domaine médical. Spécialiste du langage et neurologue reconnu, il fut une sommité dans son domaine. Chaque année, il réunissait, dans sa ville d’adoption, Limeil-Brévannes, des spécialistes européens pour des colloques de haut niveau, témoignant de son influence dans le monde scientifique.

Un pont entre science et littérature

Loin d’être un simple homme de lettres, Métellus est l’exemple rare d’un intellectuel total. Son double parcours – scientifique et littéraire – enrichissait l’ensemble de son œuvre. Sa connaissance approfondie du langage, acquise grâce à sa pratique médicale, transparaît dans ses écrits, où les mots deviennent des instruments de précision, à la fois poétiques et chirurgicaux. Il savait démonter les mécanismes de l’oppression linguistique tout en célébrant la beauté des langues créoles et françaises, marquant ainsi une rupture avec les pratiques littéraires traditionnelles.

Jacmel : une source d’inspiration inépuisable

Jacmel, sa ville natale, restait au cœur de son imaginaire. Avec Jacmel aux crépuscules, Métellus nous offre une fresque poétique de son enfance, tout en la confrontant aux réalités sombres de l’exil, de la misère et des violences sociales. Cette ville côtière, connue pour sa lumière et son histoire culturelle, devient chez lui un espace symbolique où se croisent mémoire et engagement.

Ce lieu, souvent présent en filigrane dans ses écrits, est davantage un lieu géographique qu’une source inépuisable de mythes, de récits, et de souvenirs. C’est à travers cette ville qu’il dialogue avec son enfance, ses racines, et cette Haïti qui ne l’a jamais quitté, même en exil.

Un héritage impérissable

Jean Métellus est aujourd’hui un exemple incontournable pour tous ceux qui aspirent à conjuguer réflexion intellectuelle et action citoyenne. Que ce soit par ses plaidoyers en faveur de la justice historique ou ses contributions dans le domaine scientifique, il nous montre que le savoir et l’art ne doivent pas être dissociés de la lutte pour un monde plus équitable. Sa vie et son œuvre demeurent des modèles pour Haïti et au-delà, rappelant que le combat pour la dignité et la reconnaissance est un combat universel.

Son épouse, Anne-Marie Métellus, vient de le rejoindre dans l’éternité. Ensemble, ils formaient un pilier de force, d’amour et d’inspiration. À leurs enfants, qui portent en eux cet héritage de lumière et de résilience, nous adressons nos plus sincères condoléances. Que le souvenir de leurs parents, unis dans la vie comme dans l’éternité, leur apporte réconfort et courage dans ces moments de tristesse. La mémoire de Jean et Anne-Marie Métellus continuera de briller, non seulement dans leurs écrits et leurs actions, mais aussi dans les cœurs de ceux qu’ils ont touchés.

Maguet Delva

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