2024 : quel bilan pour les industries culturelles haïtiennes ?

Des passifs autant que des actifs à inscrire dans le bilan. 2024 a été une année riche en activités en dehors de la capitale haïtienne, et en particulier dans la diaspora. En attendant d'ajouter les activités des fêtes patronales dans le bilan culturel, d'inscrire les pratiques traditionnelles de danses, des combats de coqs, les courses organisées par les jeunes anonymes, et même les manifestations culturelles organisées dans les zones rouges, on retiendra la destruction de nombreux symboles culturels majeurs en 2024, comme la Bibliothèque nationale d'Haïti, les Presses nationales d'Haïti, les attaques contre les locaux du journal Le Nouvelliste, parmi d'autres lieux symbolisant la mémoire nationale, le culte du  sacré et des savoirs. La désacralisation de Port-au-Prince, comme la capitale du carnaval national, s'est confirmée une fois de plus. Entre la culture de la violence qui étale ses racines et les violences culturelles qui ouvrent leurs ailes sur la population et dans l'imaginaire collectif des Haïtiens, le Vodou se retrouve une fois de plus parmi les cibles à abattre dans les temps de crise et d'incertitude en 2024. 

 

Des figures éminentes de la culture haïtienne continuent de servir la jeunesse malgré l'âge et les temps violents comme Frankétienne, Lyonel Benjamin, Ti Corne, Sanba Zao, Ménard Derenoncourt, parmi d'autres. L'année 2024 a été très dynamique pour le professeur Hérold Toussaint qui continue d'accompagner des jeunes dans des projets de recherche et publications. Parallèlement, il publie et intervient dans les médias et d'autres rencontres pour partager des messages savants et socialisants. 

 

Difficile de proposer un véritable  bilan pour un secteur comme la culture en Haïti, face à la nouvelle reconfiguration sociale et économique des industries culturelles, et surtout sans la production  et l'actualisation de véritables statistiques. Ces données auraient pour objectif de nous aider à mesurer les résultats, les impacts et la régression et l'évolution des activités dans les différentes filières traditionnelles et les nouveaux marchés numériques, pour une meilleure planification, pour la formulation de plus pertinentes propositions, et enfin pour définir de meilleurs argumentaires autour des projections artistiques, culturelles et innovantes pour 2049 et 2054. Les deux plus grandes dates qui attendent les créateurs haïtiens d'ici et d'ailleurs.  

 

Dans l'obligation de proposer des pistes aux acteurs, aux actuels et futurs dirigeants qui doivent orienter ou influencer les actions culturelles dans les programmes gouvernementaux et les politiques publiques, on retiendra les douze points essentiels qui ont marqué l'année culturelle d'Haïti en 2024. L'agenda culturel porté par le ministère de la Culture et de la Communication n'a pas pu suivre ses cours en raison des troubles politiques et des violences des rues. 

 

Dans ces douze points on peut citer: 1-La diasporisation de la culture haïtienne à l'étranger ou le renouvellement des têtes ; 2-La résistance culturelle des artistes et artisans en Haïti qui ne peuvent ou ne souhaitent pas laisser le pays  ; 3- La musique comme fer de lance pour négocier la place d'Haïti ; 4-L'artisanat comme pratique traditionnelle pour nourrir des familles ;  5-L'opportunité offerte pour repenser l'École nationale des Arts (ENARTS); 6-La diplomatie culturelle en marche sur de nouvelles bases ; 7- L'avenir du développement culturel passera par le créole et les femmes ; 8-L'obligation pour les villes de province d'Haïti de définir leur propre agenda culturel avec l'isolement de la capitale ; 9-L'urgence pour le pays de se doter d'un fonds d'investissement pour promouvoir la littérature haïtienne  ; 10-Le chaos culturel dans la capitale ; 11- L'obligation pour les leaders Vodou de s'organiser pour mieux résister et se réinventer sur les réseaux sociaux ; 12-L'absence d'une conscience culturelle haïtienne autour des nouveaux enjeux relatifs à l'intelligence artificielle dans un proche avenir. 

 

Difficile de faire le bilan de la culture haïtienne en 2024, sans prendre le temps de saluer la contribution des principaux talents et les formations musicales qui se sont distinguées au cours des douze derniers mois. Entre les anciens et les nouveaux acteurs, la culture haïtienne persiste et signe avec Carimi qui vient de boucler l'année, en réinventant une fois de plus leur aura, leur charme et la mémoire de Mikaben.

 

Des talents tués et disparus comme pour le cas de Mechanste, des entreprises culturelles pillées, détruites et incendiées, ou contraintes de fermer leurs portes comme le centre Culture Caraïbes. Des collections entières de biens culturels détruites et sauvagement disparues. Des responsabilités non assumées et des irresponsabilités affichées publiquement.  Une année difficile pour le secteur des musées en Haïti. La gastronomie a été rendue dans plusieurs villes et manifestations en Haïti et ailleurs. 

 

De Zafèm à Klass, en passant par Nu Look, Zenglen, Ekip, T Vice, et toutes  les autres formations qui disposent de nouvelles pièces pour négocier l'attention des mélomanes et les scènes, chacun trouvera son ton et des couleurs musicales pour faire vibrer ses émotions. Tropicana autant que Septen ne restent pas dans l'ombre, malgré la perte tragique de certains membres, leur musique continue de charmer.  

 

Des anciennes têtes d'affiche poursuivent leur ascension en 2024, tout en se faisant rattraper et dépasser, comme avec le cas de Rénald Cangé avec Zafèm, Arly Larivière avec Nu Look, Richard Cavé de Kai, et Joé Dwèt File. Ils ne sont pas seuls, et parfois se rapprochent des stars féminines comme Rutshelle Guillaume dans "Tolere w", Fatima Altieri, et Bedjine qui brille avec son autre moitié qui véhicule ses talents à l'image de K-dilak. Darline Desca continue de briller. Emeline Michel comme Yole Desrose trônent au sommet.  

 

D'autres voix comme celles de  Medjy, de Kenny Haïti, de Ti Djo Zenny avec Kreyol La persistent et signe, pendant que Michael Brun, Jean-Jean Roosevelt et BIC continuent de s'inscrire dans la musique engagée, savante ou innovante. Le Rap ne dort pas pour autant, comme la musique racine, évangélique et d'autres tendances. Fantom, Wendy, Troubleboy persistent et signent leurs  

 

Des créateurs plasticiens haïtiens, parmi les survivants du chaos urbain en marche, continuent de résister avec leurs talents. On peut citer les artistes de la Grand-Rue (Atis Rezistans). Les artisans de la Croix des Bouquets et d'autres régions du pays, avec Jean Eddy Rémy en première ligne continuent de briller tant à l'extérieur du pays, que dans les foires à succès comme à  Artisanat en Fête. Kévens Prévaris allait une fois de plus commémorer son parcours artistique dans le cadre d'une tournée qui a été interrompue avec les crises et violences survenues entre février et mars 2024, dans la capitale. 

 

Durant l'année plusieurs auteurs et des éditeurs, incluant les promoteurs de C3 Éditions continuent d'offrir la culture à travers de nombreux supports, des contenus enrichis,  des initiatives et des lieux divers. Livres en Folie  se sont investis dans la réalisation de leurs agendas respectifs. Le public continue de répondre aux invitations même si le pouvoir d'achat fait défaut considérablement pour la grande majorité des jeunes et des professionnels restreints dans leur soif de loisir et de culture.  Une nouvelle rencontre autour des livres et des villes en Haïti a été organisée par Educamuse cette année. 

 

Des opérateurs culturels évoluant dans le secteur des arts de la scène continuent de faire rire et réfléchir en 2024, entre les scènes formelles et avec les supports audiovisuels.  Gaëlle Bien-Aimé en première ligne, et ses autres compères et commères. Le festival Quatre Chemins s'est invité une fois de plus dans une nouvelle dynamique de résilience adaptée à la réalité sociopolitique et environnementale, pendant que la COSAFH, moins présente, se livre dans une publication signée Georges Béleck. Ticket Magazine a atteint l'âge des 22 ans  dans les industries culturelles haïtiennes durant l'année. 

 

Des distinctions, des créations en préparation, des concerts, des bals et des soirées de retrouvailles, des rendez-vous manqués, d'autres reportés permettront de porter des regards différents sur la diversité et la réalité culturelles d'une ville à une autre, en Haïti comme dans la diaspora. 

 

De plus en plus puissants dans les industries culturelles d'ici et d'ailleurs, il est pratiquement impossible d'évaluer la vitalité et la régression de la culture nationale sans prendre en compte les médias sociaux. Un nouvel acteur puissant et incontournable à prendre en compte dans le prochain bilan culturel. 

 

Dominique Domerçant 

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