L’évolution de la géographie des loisirs en Haïti

De nos jours l’insécurité qui s’abat sur la capitale d’Haïti a changé les pratiques de civilité. Il s’installe l’autocensure des gens à pouvoir se détendre d’une part et se ramener à des loisirs personnalisés ou l’existence de campements de loisirs disséminés, d’autre part. Les loisirs comme passe-temps dans le temps libre des individus, des groupes ou des communautés renvoient à des activités diverses. Ils s’assimilent à la détente et au bien-être par le défoulement, l’amusement, l’émancipation ou le plaisir. Ce sont aussi des rencontres d’amis, l’animation communautaire, la lecture, la danse, la musique et le cinéma, les activités sportives et culturelles. Il y a lieu de présenter les catégories de loisirs selon l’aspect de mobilisation en l’occurrence les loisirs communautaires, les loisirs en famille, l’animation de quartier, les festivités municipales et publiques ainsi que des loisirs personnalisés. Nous n’évoquons pas ici des loisirs et ses dérives qui frôlent la débauche , le voyeurisme, l’exhibitionnisme  ainsi que de loisirs qui s’associent à l’usage excessif de l’alcool, à la drogue et aux scènes pudiques de sexe- comme le “Krèy”-.Ceux qui sont inscrits dans les débordements de la jouissance et du principe du plaisir. De plus en plus les scènes de loisirs tendent à se déplacer tant sous l’effet des influences générationnelles que des changements dans la géographie physique qui les caractérisent. Le poids de la globalisation est important quand le public s’est ramené à l’individuel au prix des changements dans la technologie et au règne du monde virtuel.Ce sont les cas des fans de séries sur le You tube et la manipulation des programmes virtuels EFootball entre autres.

 Les scènes de loisirs remontent aux divertissements dans les champs de travail en référence aux chants, danses et des lodyans durant la période coloniale. Ce point se déplace vers des Lakous aussi bien que vers des familles et dans le voisinage. Dans les “bitasyon”, les gens profitent des sites environnants pour se distraire en l’occurrence les rivières pour ses baignades et pour des jeux de « bàt lobe » du côté des jeunes et les femmes qui chantent durant leur séance de lessive au son des « Batwèl » et dans le sifflement en frottant les linges. Dans les savanes, les enfants et les jeunes s’amusent au cache - cache, à la course à cheval, la chasse. Ils jouent aussi au ballon. Les églises et les temples de vodou servent de lieux de fête et de loisirs. Les églises sont un foyer qui exerce les jeunes dans des chorales, le théâtre et la musique à travers les paroisses qui se trouvent dans les bourgs. Les fêtes patronales animent les bourgs ; des bals en bas tonnelle se sont organisés au son de la musique « siwèl » qui est devenu les premières bases de la musique du Konpa direct. Dans les perystils les gens profitent des « kandyanwou » et des grandes cérémonies des loas.

La géographie des loisirs évolue au fur et à mesure, des champs à la ville, au quartier, dans les salons de famille et aux espaces virtuels. Au fil des temps, les pratiques de loisirs changent de lieux physiques spécifiques. L’essor des villes aussi bien que l’effet de la culture globale et l’existence des communautés virtuelles participent considérablement à ces changements. En effet, avec l’urbanisation, nous avons assisté à la promotion de politiques publiques en matière de loisirs qui remontent aux années 1920 qui inaugurent les infrastructures de loisirs comme les places publiques, les monuments et des lieux de rencontres tels les bars, hôtels, restaurants et clubs. Mais il existait une géographie sociale des loisirs de sorte à établir un découpage pour les bourgeois, les occupants, les classes moyennes et le peuple (Pierre,2016 :79). Ainsi le président Borno accordait une grande priorité aux programmes de loisirs en termes de diversion du peuple des problèmes politiques entraînant des conséquences néfastes pour l’émancipation de la population. C’était dès lors l’introduction du carnaval qui restait une activité bourgeoise jusqu’en 1930 pour s’étendre aux quartiers populaires. Cependant le rara s’est considéré comme un carnaval rural. Les bandes de rara se limitaient dans les périphéries et ne pouvaient pas franchir les bornes urbaines. L’urbanisation croissante a donné lieu à une extension des loisirs dans une perspective de consommation de masse.

Les loisirs se réalisent dans les Night-club, les centres de théâtre, les centres d’art, les parcs de football qui se localisent dans les villes pendant que se maintiennent les gageures, les « anba tonèl « dans le milieu rural et les bourgs. Le quartier s’affirme comme foyer principal de loisirs. Ce qui relève de la tendance d’animation communautaire du moment qui sert lieu au contrôle social de la population. Le quartier a continué à jouer un rôle central pour les pratiques de loisirs urbaines grâce aux choix des politiques d’animation de quartier des années 1990 assorties des programmes de « ti sourit » qui accouplent le sport, la musique, le théâtre, la danse et les défilés vestimentaires. C’est aussi l’essor des restaurants dansants et des clubs qui s’animent au son du zouk, du rap et d’autres musiques urbaines comme le « Raboday masterisé ». Inhaler la chicha dans les rencontres vient se substituer comme une nouvelle pratique de loisirs chez les jeunes tant dans les salons que dans les clubs .

Les after school , les clubs exhibitionnistes , les « ti sourit »  , les car wash party et atè Plat sont manifestes. Quelquefois les dérives ne s’écartent pas des nouvelles pratiques de loisirs survenues surtout après l’année 2010 qui ont tendance à accorder une place centrale au sexe, à l’alcool, à la drogue et l’exhibitionnisme.

 

Nous avons connu un intermède avec le démembrement du quartier comme lieu de prédilection des pratiques de loisirs par les pratiques individualisées de loisirs associées aux espaces virtuels qui ont supporté les jeux et gadgets électroniques, les commandes sur des réseaux de Facebook, Tic toc, You Tube et autres pour se distraire. Cela a eu un grand essor durant la période marquant la pandémie de Covid 19 (2021-2022) quand des festivals se sont réalisés sur du support virtuel sans un public présentiel par exemple. Aussi les rencontres et mobilisations lors de la transmission télévisée des grands championnats de football et de basket-ball n’ont-elles  pas disparu en dépit de l’isolement des gens que marque la conjoncture actuelle?

 

La géographie des loisirs a considérablement changé avec la présence de nouveaux pôles. Les villes de province marquent le pas par rapport à la capitale qui est sous le contrôle des gangs armés qui sèment la terreur. Les espaces publics de loisirs dans leur grande majorité sont fermés. Les réseaux se sont déplacés, disséminés en de petites communautés. Les salons redeviennent un lieu privilégié pour des pratiques de loisirs du moins c’est l’autocensure des uns ou des autres à se détendre sous le coup de l’insécurité qui sévit notamment à Port-au-Prince.

 

 Hancy Pierre

 

Repère bibliographique

Hancy PIERRE (2016) « Pratiques de loisirs chez les jeunes dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince après 1986 : entre contrôle social et contestation » in Revue les Cahier du CEPODE, No 6, Editions CEPODE, Port-au-Prince.

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