Un poète kabyle vivant en France.
Amar Benhamouche est un journaliste, dramaturge, poète kabyle. Né à Akbou en 1985, il suit une formation de clinicien psychologue à l’université de Béjaïa. Militant politique anarchiste, il quitte l’Algérie en 2013 et s’installe en France. Auteur d’expression kabyle, il écrit également en arabe et en français.
Il est l'auteur d'une pièce publiée en France en langue Kabyle, Éros et Thanatos. En juin 2024 il coordonne et écrit dans l’ouvrage collectif: Poésie, luttes et combats aux éditions Milot (dirigées par Donel Saint Juste).
Il finalise en ce moment plusieurs ouvrages: un recueil de Haikus en kabyle, adaptation en français et préface d’Alexandra Cretté. Une bande dessinée avec le sculpteur, le peintre et le dessinateur Hamid Aftis. Un ouvrage collectif sur la poésie de l’exil (en tant que coordinateur et auteur).
Le National : Amar BEHAMOUCHE vous êtes né à Akbou en 1985, une région qui porte une richesse culturelle et historique notable. Pourriez-vous nous parler de votre enfance à Akbou, de la manière dont votre milieu familial et votre environnement social ont contribué à la formation de votre identité personnelle et littéraire ? Et comment la culture kabyle, et la poésie, s’inscrivent-elles dans vos premières découvertes artistiques et intellectuelles ?
Je suis né en 1985 à Akbou, en Kabylie, dans une modeste famille de paysans. Nous habitions alors un village dépourvu, à cette époque, des moyens les plus essentiels : eau potable, électricité, gaz de ville, etc. J’ai entamé ma scolarité, en 1991, à l’école primaire de notre village dans une classe qui comptait plus de cinquante élèves. Puis nous avons été transférés, l’année suivante, vers une nouvelle école primaire construite dans le village même. J’étais un brillant élève, très apprécié par mes enseignants. Certains de ces professeurs, comme Mme B.H et M.L.M.L, sont restés éternellement gravés dans ma mémoire. En effet, avec une pédagogie centrée sur l’épanouissement de l’enfant, ils m’ont ouvert les yeux sur les arts et la lecture.
Mon père, autodidacte, était un militant du mouvement culturel berbère, habité par les idées progressistes. Il était aussi un poète de langue kabyle. Ses vers défendaient la langue berbère (kabyle) et chantaient son refus d’obtempérer au régime algérien. Aux côtés de ce papa militant et ami, un entourage familial et social insoumis refusait de se diluer dans le système, d’être un appendice du régime militaro-bourgeois qui avait confisqué notre indépendance arrachée par les sacrifices de braves femmes et hommes.
L’effervescence politique et la dynamique culturelle, qui avaient amorcé le mouvement culturel berbère après le Printemps berbère en 1980 et le Printemps de la Soummam en 1981, ainsi que l’ouverture démocratique après les tragiques événements d’octobre 1988, avaient participé amplement à l’éveil des consciences chez les classes populaires en Kabylie. À la suite de cela plusieurs associations, particulièrement culturelles, étaient nées ; dont celles de mon village.
Encore aujourd’hui, je me souviens de mon père qui nous récitait ses poèmes et nous les expliquait. Je me souviens des discussions quotidiennes entre les villageois, dans les cafeterias du village, lors des fêtes de mariages ou même lors des rassemblements funèbres, autour de sujets en lien avec la politique ou la culture. Cette atmosphère bouillonnante a forgé ma personnalité et construit mon identité de militant culturel et politique.
LN : Avant de vous tourner pleinement vers l’écriture, vous avez choisi un parcours en psychologie clinique à l’Université de Béjaïa. Ce choix semble à la fois pragmatique et intellectuellement riche. Comment cette discipline a-t-elle influencé votre approche de l’écriture et des personnages dans vos œuvres ?
Effectivement, la psychologie, et particulièrement la psychanalyse, ont influencé non seulement mon approche de l’écriture, mais aussi ma façon d’être et ma manière de me comporter au quotidien. Elles m’ont aussi permis de me positionner à la fois en tant que thérapeute, lorsque je donne la parole à des personnages, et à la fois en tant que patient, en permettant la catharsis.
Pour moi, l’écriture est une jouissance. C’est dire le non-dit. C’est éveiller des mécanismes inconscients. Transformer nos angoisses en stimulations positives.
LN: Y a-t-il une résonance particulière entre les thématiques psychologiques et les luttes sociales ou politiques que vous traitez dans vos écrits ?
Au préalable, il faut confirmer l’existence d’une interdisciplinarité entre les Sciences Humaines et Sociales. Les interférences sont souvent fréquentes. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de connaitre un camarade, à l’université de Bejaïa, durant mon cursus universitaire, qui m’a initié au freudo-marxisme. Cette découverte m’avait permis de comprendre l’importance de la psychanalyse et de son extension en dehors du cadre clinique. J’avais été très imprégné de mes lectures d’Herbert Marcuse et de Wilhem Reich. Par conséquent, mon écriture, plus poétique que d’autres, est souvent marquée par cette empreinte psychalytique.
LN : Vous avez ouvertement adopté des positions anarchistes tout au long de votre parcours. Dans quelle mesure cet engagement politique a-t-il façonné votre art et votre vision du monde ? Comment l’intégration de ces idées intervient-elle dans vos créations artistiques et littéraires ?
Critiquant toute domination de l'Homme par l'Homme, toute forme d'autorité céleste ou terrestre, l'anarchisme comme conception théorique a eu beaucoup d'impact sur ma pensée et philosophie de vie.
Je suis né dans une région où l’organisation sociale et politique repose sur le principe d’horizontalité, incarné par "Agraw n Taddart", ou"l'Agora du village".
Indéniablement, c’est une forme de démocratie directe, où se gèrent les affaires de la vie quotidienne et se résolvent les conflits internes du village et où cohabitent les trois pouvoirs; législatif, exécutif et judiciaire. Seul point négatif important : l'exclusion de la femme de cette structure sociale et politique. Jusqu’à nos jours, l'Agora kabyle résiste malgré ses mutations et les incessantes tentatives du régime algérien pour la galvauder et la biaiser. Pour finir sur ce point, je vous renvoie à Kropotkine, géographe et théoricien anarchiste russe, qui avait fait l’éloge de cette organisation sociale et politique Kabyle, dans le chapitre IV de son livre "l'Entraide", paru en 1902.
Parmi les figures anarchistes kabyles qui m’ont influencé, il y a Mohand Amezian Saïl (1894-1953). Resté longtemps méconnu en Kabylie, ce grand militant libertaire était très actif dans les mouvements de lutte en France et dans le monde. D’ailleurs, il s’était engagé volontairement dans le groupe international de la colonne Durruti, au début de la révolution espagnole, en juillet 1936.
Pendant une longue période, j’ai lu Mikhaïl Bakounine, Pierre Kropotkine, Murray Bookchin,Maria Montessori, Dario Fo... Les penseurs de cette littérature anarchiste et libertaire ont forgé ma pensée. Ils m’ont permis d’être subversif dans mon engagement politique et ont libéré ma plume. Dans mes écrits politiques ou poétiques, j’exprime sans ambages mes idées et condamne avec emphase le mal perçu. Un écrivain, un artiste, n’ont besoin ni d’un Dieu ni d’un maître. Ils sont les maîtres à bord de leur créativité, qui ne devrait être orientée ou guidée par quiconque.
LN : Votre départ d’Algérie en 2013 et votre installation en France marquent un tournant dans votre vie. Vous parlez souvent de l’exil, mais comment l’avez-vous vécu concrètement, tant sur le plan personnel que créatif ? Et quels éléments spécifiques de la condition d’exilé avez-vous abordé dans vos écrits ?
L’exil était déjà vécu, bien avant de quitter la terre natale. Sous un régime autoritaire qui avait dépossédé le peuple de sa langue et de sa culture, qui l’empêchait de vivre décemment et le privait de toutes les libertés fondamentales.
L’exil est parfois imposé et d’autres fois, il est choisi. Personnellement, je l’ai choisi pour ne pas vendre ma dignité. Je ne marchande pas mes valeurs et je ne vends pas des mensonges aux attentes des autres.
Le rôle d’un poète, d’un artiste ou d’un intellectuel dans sa société est d’éveiller les consciences pour bouter les ennemis du progrès. C’est une responsabilité historique qui interpelle chacun d’entre nous dans le but de juguler tout le déluge obscurantiste.
L’exil est causé par la bêtise de l’Homme qui fabrique la famine, qui alimente les guerres, qui dégrade le climat, qui opprime des peuples. Il produit des souffrances psychologiques (des angoisses, du stress post-traumatique). L’incertitude vis-à-vis de son avenir et l’incapacité d’accepter sa nouvelle situation sont, parmi plusieurs facteurs, ce qui augmente le risque d’une décompensation et le développement de troubles psychologiques et psychiatriques chez le sujet exilé.
L’écriture en elle-même est un exil avec lequel on transgresse l’isolement. C’est la fuite d’un monde qui crée des frontières entre les humains. C’est un exil dans le monde des idées salutaires pour fuir une civilisation humaine en déliquescence.
LN : Est-ce l’exil qui vous a amené à écrire en arabe et en français, ou étaient-ce des choix préexistants ?
Le choix des langues d’écriture était préexistant. J’ai effectué une grande partie de mes différents cycles d’études en ces deux langues étrangères. Je suis aussi amoureux d’elles, j’ai beaucoup consommé de littérature en ces deux langues. J’ai lu Mahmoud Darwich, Khalil Gibran, Taha Hussein et Nizar Qabbani en arabe. Molière, Racine, Arthur Rimbaud, Victor Hugo, Albert Camus, Kateb Yacine, Tahar Djaout, Mouloud Feraoune en langue française. La particularité de la langue française c’est qu’elle m’a permis de m’ouvrir sur plusieurs horizons, d’accéder à la philosophie, de découvrir la rationalité et de comprendre qui je suis...
À mes yeux, toutes les langues sont belles et constituent une richesse pour l’humanité. Assurément, le mal est dans l’Homme qui stratifie les langues et place une langue au-dessus d’une autre langue ou l’abaisse.
La Kabylie, et ce depuis la crise du mouvement national algérien en 1949 jusqu’aux différents mouvements de luttes postindépendance, avait clamé et revendiqué la reconnaissance et la promotion des langues nationales d’Algérie. Malheureusement, le kabyle comme les autres langues de Berbères, restent encore minorées et opprimées.
LN : L’exil est souvent une période de transition et de renégociation de l’identité. Dans quelle mesure la diaspora kabyle influence-t-elle votre travail ?
Il n’y a pas que la diaspora kabyle qui influence mon travail, mais toute la Kabylie et tous les kabyles où qu’ils soient. Avant d’entrer dans le présent, j’avais un passé et j’aurai un avenir. Et mon passé, durant vingt-huit ans, s’est construit parmi les kabyles de Kabylie.
Je fais partie de ce peuple. Grâce à lui, j’existe en tant que journaliste, poète et auteur. Pourquoi puis-je dire cela? Parce que mes premières sources d’inspiration ont jailli dans cette terre de montagnes, de mer et d’oliviers. Je respirais l’air de la Kabylie. Je ne parlais que le kabyle. Je partageais le bien et le mal de cette partie de la terre. Pour ne pas être un ingrat, je suis éternellement redevable à cette Kabylie.
LN : Peut-on parler de la Kabylie comme d’un espace mental et émotionnel que vous portez avec vous, ou bien votre conception de l’appartenance a-t-elle évolué depuis votre départ ?
Toute personne qui vit loin de sa patrie, particulièrement un exilé, vit une angoisse de séparation ; la perte d’un lien affectif et/ou d’un objet d’amour. L’origine de cette angoisse de séparation est liée comme l’indique Sigmund Freud, en 1926, dans « Inhibition, symptômes et angoisse » à l’absence de la personne aimée ou de l’objet d’amour. Dans le cas de l’exilé, son angoisse est intrinsèquement liée à la perte de sa famille, à son éloignement de son milieu naturel, social et culturel, de son détachement de sa terre natale qui porte la symbolique de la mère.
L’écriture et les arts sont des atouts pour pouvoir surmonter nos angoisses ; une délivrance. Ils nous permettent de déclencher un processus adaptatif face à la nouvelle situation, et cela à travers le mécanisme de « sublimation » qui transforme le négatif en positif.
La poésie est un outil efficace pour m’exprimer et me rapprocher de ma Kabylie. Les vers, les métaphores et les mots rétrécissent cette distance physique.
Concernant la France, elle m’a porté dans ses bras tel un bébé en m’offrant un espace pour m’épanouir. J’y ai rencontré des personnes du milieu culturel, littéraire et artistique qui m’ont épaulé et donné la chance de m’ouvrir sur d’autres cultures.
Je suis d’ailleurs passionné par l’Histoire de France, par son héritage révolutionnaire : 1789, 1830,1848,1871 et 1968. Par ses grandes figures mondiales révolutionnaires telles que Gracchus Babeuf, Sylvain Maréchal, Olympe de Gouges, Louise Michel et tant d’autres. Ainsi je dirai que si la Kabylie est ma mère et la France ma mie, la culture et la révolution sont mes deux filles.
L’œuvre littéraire et poétique
Le National : Votre pièce de théâtre Éros et Thanathos a été publiée en langue kabyle en France. Elle aborde des thématiques universelles liées à la passion et à la mort, mais aussi des spécificités de la culture kabyle. Pouvez-vous nous expliquer le processus de création de cette œuvre ? Et comment avez-vous réussi à articuler des problématiques aussi intenses tout en restant fidèle à la langue et à la culture kabyle ?
Avant d’être poète, j’étais dans le monde du théâtre. J’ai commencé tout jeune au lycée et dans mon village au sein de troupes amateurs. Nous écrivions et nous jouions nos pièces, abordions les problèmes sociaux, sociétaux et culturels. Par la suite, j’ai intégré une troupe théâtrale à l’université. Nous participions au festival national du théâtre universitaire et donnions des représentations dans les résidences universitaires. À la même période, j’ai intégré le Théâtre Régional de Béjaïa pour deux formations : jeu d’acteur et écriture dramaturgique.
À côté de ça, j’étais un passionné et un grand lecteur de théâtre. Comme la poésie, je faisais des pérégrinations théâtrales à travers le monde en lisant Anton Tchekhov, Slawomir Mrozek, Bertolt Brecht, Dario Fo, Jean Racine, Molière, Sophocle et tant d’autres.
En 2012, j’ai travaillé avec un groupe de lycéens comme metteur en scène dans une maison de jeunes, dans ma commune d’Akbou. Cette courte expérience, de quelques mois, où j’ai réussi à écrire une pièce de théâtre sur une problématique environnementale, s’est transformée en un vrai projet d’écriture. En 2015, j’ai réussi à publier cette pièce de théâtre intitulée « Irus d Tanatus ». Sur ce projet j’ai reconverti la thématique initiale en une tragédie. La pièce est devenue la traduction du drame humain dans un conflit. Elle exprime la dualité entre le mal et le bien, l’instinct de la mort et l’instinct de la vie.
LN : Quelle réception a eu cette pièce, notamment au sein du public algérien ?
Malheureusement, le théâtre écrit en kabyle n’est pas présent dans les bibliothèques, dans les librairies. Nous avons plus de spectateurs que de lecteurs. Nos spectateurs sont, en majorité, attirés par la comédie et les petits sketches. Je profite de l’occasion pour citer une grande figure du théâtre kabyle, Mohia, qui a fait un énorme travail d’adaptation, vers le kabyle, des œuvres théâtrales mondialement connues.
Aujourd’hui, des talents naissent et l’écriture théâtrale en langue kabyle présage un avenir meilleur. Des publications en qualité et en quantité.
LN : Votre implication dans le projet collectif Poésie, luttes et combats aux éditions Milot, dirigé par Donel Saint Juste, témoigne de votre désir de contribuer à une réflexion poétique collective sur les enjeux sociaux et politiques actuels. Quels sont, selon vous, les rôles respectifs de la poésie et de l’engagement politique dans ce genre de projet ?
Premièrement, si ce travail a abouti, c’est grâce à l’association Apulivre, présidée par Hacene Lefki, et dont je suis le secrétaire général.
Deuxièmement, ce livre collectif intitulé « Poésie : luttes et combats », préfacé par la poète et écrivaine franco-marocaine Rachida Belkacem, s’est concrétisé grâce à la participation de plusieurs auteurs et poètes, et grâce à la confiance des éditions Milot que dirige Donel Saint-Juste.
Ce livre, dont j’ai coordonné l’écriture, a été publié en juin 2024, lors de La troisième édition du festival de poésie « La Tour Poétique », qui avait lieu du jeudi 13 au samedi 15 juin 2024 à la Maison de la Vie Associative et Citoyenne du 15e arrondissement de Paris.
Je pense que ce genre de travaux collectifs permettent aux poètes de différents horizons de se rencontrer autour d’un travail commun, de promouvoir la poésie, de donner la chance aux poètes méconnus d’être édités, mais aussi ouvrir le chemin à d’autres initiatives et travaux collectifs.
LN : Quel est le lien, pour vous, entre l’artiste et la lutte collective ? Est-ce que vous voyez la poésie comme un moyen de résistance ou de transformation sociale dans un monde de plus en plus fragmenté et dominé par la rationalité économique et politique ?
L’art c’est la lutte, et tout changement est porté par les artistes. L’art est une lutte contre un ordre castrateur.
Un poète est témoin de son temps, il accompagne les transformations sociales et les bouleversements politiques. Sa poésie doit inéluctablement rimer avec la révolution. Les mémoires collectives de tous les peuples sont liées à leurs poètes et artistes comme Charles Alexis Oswald Durand, Jacques Roumain et René Depestre en Haïti et Lounes Matoub en Kabylie.
LN : Votre travail sur un recueil de haikus en kabyle et en français semble vouloir jouer avec les frontières entre la tradition et la modernité. Comment le haiku, une forme poétique d’origine japonaise, trouve-t-il sa place dans votre écriture kabyle ? Et quelles spécificités ou innovations y apportez-vous ?
La poésie est universelle et rime avec toutes les langues. Je me suis récemment intéressé au genre poétique, que j’ai vite apprécié et pour lequel j’éprouve une fascination. Nous avons un lien symbiotique et une relation étroite et symbolique en Kabylie avec les éléments naturels. Par la suite, j’ai rédigé quelques Haïkus. Je les ai soumis à la poète française Alexandra Cretté, qui m’a encouragé à continuer cette écriture. Actuellement, nous travaillons ensemble sur deux projets de recueils poétiques kabyle/francais, dont ce projet de Haïkus.
Pour ce qui est de mon apport à la poésie kabyle, j’espère apporter avec ma modeste contribution un enrichissement de la poésie en introduisant le genre Haïkus dans un lieu nouveau et inédit.
LN : De plus, vous nourrissez un projet de bande dessinée, avec la le sculpteur et peintre kabyle Hamid Aftis, sur le chanteur-poète kabyle Lounes Matoub. Parlez-nous un peu de ce projet?
C’est un honneur de travailler avec un artiste comme Hamid Aftis, qui est l’un des plus grands sculpteurs kabyles. Mais cet honneur se double de celui de participer à la réalisation d’un travail sur une grande figure de la lutte démocratique, de la défense de la langue et de la culture berbère et kabyle : Lounes Matoub.
En effet, nous en sommes à la phase finale de notre projet. J’en suis le scénariste et mon ami Hamid Aftis, le dessinateur et le coloriste. Nous songeons aussi à traduire ce travail en plusieurs langues, car le combat de Lounes Matoub est universel.
LN : Le projet collectif que vous coordonnez sur la poésie de l’exil vous place au cœur de la réflexion sur l’expérience de la migration et de la rupture. L’exil n’est pas seulement géographique mais également affectif et culturel. Quelle vision de l’exil souhaitez-vous transmettre à travers ce projet ?
Dans son poème « Adieu à la révolution » , René Depestre dit : « Au fond du panier d’années d’exil, où mûrissent mes travaux et mes jours ».
Nos conditions de vie, quelles qu’elles soient, nous stimulent et nous poussent à développer des mécanismes d’adaptation. La poésie figure parmi ces mécanismes, qui se manifestent par l’innovation et la créativité.
Comme je l’ai souligné au début de l’interview, l’art permet transformer le négatif en positif en créant une dynamique collective. Autour de l’art, de l’écriture et de la culture s’unissent des personnes venant des quatre coins du monde.
Ce projet de livre, préfacé par mon amie la poète tunisienne Arwa Ben Dhia, a rassemblé plus de trente poètes de quatre continents. Il contient trois parties : essais, interviews et poèmes.
LN : La langue kabyle, comme beaucoup d’autres langues minoritaires, subit des pressions dans le contexte globalisé actuel. Vous écrivez en kabyle, mais également en arabe et en français? Et quelle place donnez-vous à la langue kabyle dans l’évolution de votre œuvre ?
La langue kabyle, qui fait partie de la famille des langues berbères, n’est pas minoritaire mais minorée. Le régime algérien lui a octroyé officieusement le statut de langue nationale et officielle en 2016, mais officiellement elle est marginalisée. En effet, elle n’est enseigné qu’à partir de la quatrième année du cycle primaire et son enseignement est facultatif et n’est pas généralisé sur tout le territoire national.
Il est de mon devoir de contribuer à l’enrichissement de cette langue par mon modeste apport. J’ai publié une pièce de théâtre en kabyle. J’ai participé, il y’a cinq ans, au lancement d’un journal électronique socialiste en kabyle, intitulé « Itri d Udebbuz », et je suis actuellement sur plusieurs projets d’écriture poétique et probablement un essai politique.
LN : Enfin, pour conclure cette interview, comment voyez-vous l’avenir de la poésie dans un monde où l’accélération de la technologie et de l’information semble éloigner de plus en plus de la contemplation, de la réflexion et de la profondeur humaine ?
Tant que l’Homme existera sur terre, la poésie sera. La poésie fait partie de la nature humaine. La poésie n’est pas un métier , elle ne peut être remplacée par la machine.
LN : Pour conclure, quel message aimeriez-vous transmettre aux jeunes écrivains d’origine kabyle ou aux artistes en général qui cherchent à s’affirmer dans un monde complexe ?
Lire, aimer et travailler.
Merci, Amar BEHAMOUCHE pour votre disponibilité et vos réflexions approfondies. Vos expériences enrichissent notre compréhension du paysage littéraire contemporain et du rôle que joue l’écriture dans la construction et la reconnaissance des identités culturelles.
Je vous remercie infiniment pour cette interview. J’en suis vraiment honoré. Ma pensée va aux détenus politiques qui croupissent dans les geôles du régime algérien. Je vous souhaite une bonne année 2025, une année de paix, je l’espère, pour toute l’humanité.
Propos recueillis par Godson MOULITE