Le déclin du compas direct, vu d’Haïti, est indéniable. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater l’insignifiant quota de studios d’enregistrement actifs à Port-au-Prince ou au Cap-Haïtien, autrefois des bastions de production pour ce genre musical majeur.
Ah, Port-au-Prince… Cette ville, berceau du compas direct, a été témoin de ses balbutiements : la première note d’un saxophone, une phrase d’accordéon, le pincement d’une guitare dans un mini-jazz, les affiches publicitaires annonçant bals et kermesses. Port-au-Prince est à la fois le témoin intime et l’écrin historique de cette musique, tout en étant son théâtre principal.
Aujourd’hui, la capitale survit sur les ruines de sa grandeur musicale. Les musiciens sont partis, mais le compas demeure, fermement ancré dans la fibre émotionnelle du peuple haïtien. Malgré des périodes d’essoufflement, notre musique nationale résiste. Comme l’assure le maestro Richie dans DDN :
« Depi Klass egziste, konpa direk paka kraze. »
Une chanson gladiateur
La chanson qui nous intéresse ici, Dwat Pou W Vini, est une œuvre majeure, générique par excellence, tant elle porte en elle la flamboyance de tout l’album. Elle incarne la polyvalence et l’éclectisme de son auteur tout en se dressant comme une chanson combattante, un compas gladiateur.
Dès l’introduction, le rappeur Wyclef Jean plante le décor : « HMI la gen yon sèl patron… Non, yo pa pare Fanatik di match fini, tout advèsè kouri Dwat pou w vini. »
La musique démarre sur les chapeaux de roues. Cette chanson est une véritable déclaration de guerre contre les détracteurs de Klass et les acteurs sordides du showbiz haïtien. Les propos incisifs de Wyclef Jean posent le ton.
Le showbiz haïtien, depuis toujours, est un terrain miné : coup-bas, trahisons, colportages et mensonges y abondent. Les chansons de compas, riches en slogans railleurs, piques et polémiques à peine voilées, reflètent cet univers tumultueux. Pourtant, malgré les critiques et les tentatives de déstabilisation, Klass s’impose comme le pilier du compas direct.
La jalousie comme toile de fond
Les paroles de Dwat Pou W Vini explorent une thématique intemporelle : la jalousie. Mais cette jalousie dépasse le simple cadre personnel ; elle décrit également la tension inhérente à l’univers du Haitian Music Industry (HMI).
« M se yon pyès enpòtan to ou ta yap bezwen Si do w pa laj, ou pap ka antre nan won san baton Menm jan ak laj, l’experience amène la raison. Nan moman sa loyaute trè ra pou trouve Limite antouraj ou, Car lèzom telman jalou. »
Cette jalousie, omniprésente, entrave la créativité et freine l’évolution de l’industrie musicale, perçue comme une arène où dominants et récessifs se mesurent constamment. Richie et Klass répondent à ces critiques avec une confiance inébranlable.
« Lyon pap janm ka wa anba lanmè Konpa mapou a lage, match fini Lè w nan Klass, ou santi w moun. »
Une œuvre virile et triomphante
Dans cet univers de rivalités, l’autopromotion devient essentielle. Klass, fidèle à cette tradition, ne recule devant rien pour galvaniser ses fans et asseoir sa domination. Avec ce quatrième album, le groupe se hisse au sommet du panthéon du compas direct, comme le proclame Dwat Pou W Vini.
« Klass la pa gen rival Ti konpa sa pa gen anfas… Ban m fout pase Gade gwosè ponyèt yon djaz. »
C’est un compas énergique, musclé, assumant pleinement sa virilité. La beauté rythmique de cette chanson réside non seulement dans sa mélodie envoûtante et ses arrangements modernes, mais aussi dans la maîtrise de Richie. Ce dernier passe aisément d’un genre à l’autre, intégrant des influences pop américaines, mambo, cadence compas et même rabòday, cet avatar contemporain du compas direct.
Un renouveau pour le compas direct En fin de compte, ce quatrième album de Klass est un grand cru, annonçant une nouvelle ère pour le compas direct. Dwat Pou W Vini en est la preuve éclatante : sa ligne mélodique succulente, ses arrangements modernes, sa section rythmique dynamique et ses cordes vibrantes offrent un groove exceptionnel, propre à vous catapulter hors de votre fauteuil. Cette chanson, telle une déclaration de suprématie, réaffirme que, malgré les obstacles et les attaques, Klass reste inébranlable.
Yves Lafortune