Il y a une humeur bohémienne dans cette chanson et l’humour si caractéristique de l’auteur, qu’on retrouve dans d’autres morceaux tels que FKD, Cinq Dwèt ou encore Move Siyal, des pièces qui illustrent tout le génie de son écriture.
“Samdi swa mwen pran lari.
Mwen deside fok mwen party
M antre nan club la, bèl set up
Yon bèl bebe step up
Sa w tande a m pull up.”
L’auteur, Jean Richard Hérard, un Haïtiano-Américain, construit son texte avec une interlangue kreyanglais. Ce mélange, bien qu’actuel, trouve ses racines dans l’évolution du créole haïtien. Déjà dans les années 1970, Maurice Sixto, à travers sa pièce Men Yon Lòt Lang, dénonçait cette anglicisation progressive. Hérard, fortement influencé par le rap américain, n’en est pas à son premier coup d’essai. Il est d’ailleurs souvent perçu comme l’un des artistes les plus anglophones et “rap” du compas direct.
“M kase ti bwa nan zorey li
Mwen fè ti kwa nan vèvè li.”
Ce vers est une véritable trouvaille poétique. Pas aussi souvent, la poésie créole n’a si tendrement et délicatement évoqué une géométrie mystique d’inspiration vodou.
“Li di m li pa ret lwen let’s go
M pran machin m fallow
Lèm rive l dim hold on…
Lè l tounen li dim papi ti rouj poko fini.”
En quelques phrases simples et imagées, l’auteur installe un cadre narratif limpide, captivant, et nous embarque dans une aventure où l’humour flirte avec le charme.
Un Sujet Tabou Dévoilé.
“Ou Tou La” aborde un sujet rarement évoqué, même dans les sociétés dites modernes : les menstruations. Cette réalité intime est longtemps restée taboue, bien que les gynécologues aient timidement ouvert la discussion dans les années 1990 sur les plateaux télé. Au début du XXIe siècle, les militantes féministes ukrainiennes, les Femen, tentèrent de briser ce silence en incitant les femmes à afficher ou à parler ouvertement de leurs règles.
Mais ce tabou reste profondément ancré, non seulement d’un point de vue sexuel, mais surtout idéologique et culturel. Les garçons, dans la majorité des cas, n’en reçoivent aucune éducation formelle. Ils apprennent “sur le tas”, au gré de leurs relations de couple.
Dans cette chanson, Hérard aborde la question avec audace, humour et une touche de poésie. Ce qui est habituellement caché ou ignoré devient ici le cœur du récit, dépeint avec une légèreté désarmante.
Entre Douceur et Désir
“Ou Tou La” charme par son rythme lent et dansant. La chanson est lascive, sensuelle, mais sans perdre cette légèreté qui en fait une œuvre accessible et universelle.
“Depi fanm lan vle w,
Pa gen anyen l pap fè pou ou.”
Le désir féminin, bien que souvent intériorisé, est décrit ici comme un big-bang hormonal : irrésistible et brûlant. Ce désir naît d’une rencontre fortuite, un samedi soir dans un club. Deux âmes libres, deux cœurs prêts à vibrer, deux corps qui dansent sous les vapeurs d’alcool, jusqu’à ce que la tension mène à l’explosion d’un one-night stand.
Puis vient la surprise, un moment aussi gênant que désarmant. Mais l’auteur, avec une finesse remarquable, dédramatise la situation. Tout est déjà contenu dans le titre : Ou Tou La.
“Ou Tou La” est une œuvre à la fois osée et délicate, où poésie et réalisme se rencontrent. Avec un humour subtil et une narration captivante, Jean Richard Hérard réussit à transformer une situation du quotidien en une chanson inoubliable qui invite à danser, rire et réfléchir.
Yves Lafortune.
24/12/24