Moonligth Benjamin ou l'esthétique du chaos !

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Moonlight Benjamin, elle, pas comme les autres. Artiste du bouillonnement. Artiste dans l'âme. Voix douce, puissante ou orageuse, c'est la même chose. Chanteuse qui s'assume. Et ce, devant la face du monde. Avec ses deux albums, Siltane et Simidò, elle est en mode pèlerinage, se faufilant dans un univers chaotique, celui d'Haïti. Son œuvre, véritable témoignage sur une vie tumultueuse et  un pays pris entre l'enclume et le marteau.

La musique, tout ce qu'il nous reste après avoir tout saccagé, dévoré, détruit dans ce pays. Les artistes haïtiens, en dépit de l’installation du désordre dans notre quotidien, continuent d'alimenter notre riche répertoire musical. Si certains esquissent une Haïti sous un angle plutôt positif, d'autres l'explorent sous un autre. Tant qu’à Moonlight Benjamin, elle fait du non ordre la matière de son art, donc de sa peinture sonore.

Vivant en France depuis 2002, celle qui a grandi entre Arcahaie et Carrefour a mis le curseur sur Port-au-Prince. Personnifiée dans l’une de ses chansons, la capitale ressemble à un diable qui brise ses chaînes pour faucher les humains. Il semble que le constat de Moonlight ne soit pas si différent de celui de la défunte poétesse Jessica Nazaire :  “ici, c’est toujours avec un cadavre qu’on salue l’aube”.

Pulsion de mort. Allumettes. Gaz, Port-au-Prince n’en manque pas, et feu dans la ville, devenue sans chapeau : la mort s’y pavane tranquillement. Le geste artistique de Moonlight rassemble le visible et l'invisible, donc les encore là et les déjà partis. Ce n’est pas sans raison qu’elle porte, pour ses concerts, le noir, symbolisant deuil et  renaissance. Dissidente de la foi chrétienne, elle a épousé le vodou en 2009 en devenant guérisseuse.

Dans son Haïti, les désastres se succèdent. Comme Frankétienne, elle ne les rejette pas. Ainsi prouve-t-elle que l’inventivité peut bien se trouver dans le désordre. Témoin des atrocités du régime de Jean-Claude Duvalier, observatrice, de la France étant, d’un pays à feu et à sang,  Moonlight Benjamin s’arme d’une force créatrice. Peut-être est-ce pour elle une façon de s’opposer à cette descente aux enfers ou pour nous dire que l’on peut se réinventer même dans le pire. Alors, chez Moonlight, le chaos est à la base de sa création.

La voix de “Tan malouk” décrit, à travers ce morceau, cette longue turbulence, cet état apocalyptique  qui s'abat sur son île.  Sa musique, tout en puisant dans cet univers funeste, campe Haïti comme ce pays qui résiste à cette pagaille. A ses yeux,  Haïti, c’est à la fois sa croix et son espoir. “Tray peyi mwen, se tray pa mwen. Mwen bite, mwen pare so”, chante-elle dans “moso moso”.

Dans ce va et vient, marqué par le sceau du chaos, l’artiste paraît parfois pessimiste en se demandant “ou kwè n ap chape ?” Ce questionnement traduirait également l’urgence d’agir pour éviter de sombrer dans cette forme d’aphasie. “Kafou”, ce morceau est un appel à l’action  face à ce bordel. Moonlight Benjamin, aux rangs des premiers artistes à faire du vodou-rock, se révèle une voix puissante qui chante Haïti dans son état incandescent.

Elle commence à chanter à l’église vers les années 80. En 1999, Moonligth et le feu chanteur Max Aubain ont gagné le concours de “Chante nwèl” organisé par  Telemax. “Nwèl milinè”, qui reste une chanson classique, était le titre de leur morceau récompensé. Max Aubain décédé peu de temps après, Moonlight rejoint la France où elle a produit ses deux albums, Siltane (2018) et Simidò (2020).

Sylvain Wesker

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