Gérard Aubourg parle de son ouvrage sur le duvaliérisme

Frantz Voltaire, directeur de la maison mère du CIDICHA à Montréal, dispose désormais d’une antenne parisienne pour les publications des auteurs vivant dans l’Hexagone et en Europe. Lors de la vente-signature de l’ouvrage de Gérard Aubourg intitulé « Le fascisme mystique du docteur François Duvalier » (1), c’est pour l’auteur une nouvelle occasion de parler de cette période sombre de l’histoire récente haïtienne.

Malgré le froid de canard et les petites pluies très fines tombant par intervalles réguliers sur le macadam parisien, ils étaient nombreux ceux qui s’engouffraient dans la petite salle de la maison de l’Amérique latine où a lieu la vente signature du livre de l’historien et sociologue Gérard Aubourg.

 

Les responsables de l’édition CIDICHA en France, Paul Baron et Isabelle Bohard, ont bien fait les choses en privilégiant ce thème, bizarrement disparu de l’actualité.

 

Après l’ouverture de la séance par Paul Baron, pilier de l’association « Pour Haïti » et de la revue du même nom, le journaliste Brice Ahounou, ethnologue béninois et grand ami de notre pays, dont il connaît et maîtrise l’histoire et la culture, pouvait faire son travail de modération en posant des questions bien tournées sur ce qu’est le duvaliérisme en Haïti. Pour avoir fait partie de cette jeunesse dorée des années 1960, Gérard Aubourg sait mieux que quiconque le début de cette dictature : il a vu l’effondrement de son rêve et celui de sa génération après l’installation de l’effroyable dictateur à la tête de l’État. C’est donc avec pugnacité et même de la hargne qu’il en parle.

 

Son frère assassiné à Fort-dimanche, l’auteur lui-même s’est vu obligé de quitter son pays en 1965 pour échapper des griffes de papa Doc et ses tontons macoutes qui faisaient la chasse aux intellectuels et à tous ceux qui défiaient son pouvoir. Dans sa démence, le pouvoir duvaliérien dvnai jour après jour assoiffé de sang.

 

La jeunesse haïtienne avait quand même fait face au président dictateur. L’Union nationale des étudiants haïtiens (UNH), dont ses membres ont été pour la plupart emprisonnés, tués, ou déportés, en est la preuve. L’historien Gérard Auborg avait déjà raconté un épisode de cette bataille estudiantine dans le livre de l’historien et économiste Leslie Péan « Entre savoir et démocratie - Les luttes de l'Union nationale des étudiants haïtiens sous le gouvernement de François Duvalier » (Édition Mémoire d’encrier). L’onde de choc de l’UNEH avait ébranlé les fondations du régime duvaliérien sans le renverser. Après l’échec du mouvement, la plupart des membres de ce syndicat étudiant avaient opté pour la lutte armée pour renverser le régime. Cette option faisait plus ou moins consensus chez les anciens membres de l’UNEH dispersés dans les partis politiques marxistes pour qui la lutte armée populaire en ce début des années 1960 était une planche de salut. C’est au sein de cette organisation qu’Aubourg a fait son humanitaire politique. On le voit dans ces longues précisions et cette mémoire intacte qui retrace tout en détail.

 

Beaucoup de vieux compatriotes, qui ont pu échapper comme lui à la dictature, se retrouvent dans les plus de 600 pages où le professeur raconte avec minutie ce que fut pour sa génération l’arrivée du médecin François Duvalier à la première magistrature suprême de l’État. L’un d’eux, Fleurimond Kerns, écrivain et grand connaisseur de la communauté haïtienne de France, était dans la salle. Il n’a pas pu faire le déplacement mais a tenu à envoyer un courrier dans lequel il écrit ces propos si touchants : « En lisant ’’Le fascisme mystique du docteur François Duvalier en Haïti’’, ils ne seront pas déçus. Vous ne le serez non plus. Je m’en suis régalé. Je ne peux pas présenter cet ouvrage en le dissociant de son auteur. Pour ceux qui connaissent Gérard Aubourg, c’est une évidence. Car, la facture du livre sur le plan historiographique et intellectuel résume les compétences intrinsèques de son auteur. Gérard Aubourg est un concentré de savoir. Docteur en histoire économique, en droit des affaires et sociologue. Par sa grande culture générale, c’est une Encyclopédie vivante. Le Pr Aubourg fait partie intégrante de l’intelligentsia française et de la diaspora haïtienne. Mais, tout en professant durant des décennies en France, il ne vit et ne respire que pour ce qui est le plus cher pour lui, Haïti, sa terre de naissance. Un pays qu’il s’épuise à comprendre les causes historiques et fondamentales qui font que chaque chef de l’Etat se transforme en un monstre prêt à dévorer ses propres concitoyens. »

 

Dans son ouvrage, Gérard Aubourg montre de façon convaincante le côté mystique d’un pouvoir sanguinaire. Décortiquant avec une érudition d’historien et de sociologue la transition entre la société d’avant et d’après l’arrivée de François Duvalier au pouvoir, l’auteur apporte quelque chose de nouveau à la compréhension de cette dictature. Sa brillante démonstration peut être résumée en cinq points :

 

1- L’idéologie noiriste était un épouvantail que Duvalier utilisait pour faire peur à la bourgeoisie alors qu’il rêvait d’en faire partie et cherchait frénétiquement des mulâtres pour épouser ses filles.   

2- À partir des analyses plutôt sympathiques de l’ancien milicien, Rony Gillot, et des déclarations de Duvalier père, l’auteur découvre que l’ancien tyran était un admirateur des Chemises noires du dictateur italien Benito Mussolini et de l’association nationaliste des Croix-de-feu en France.

3- Le basculement de la société vers une barbarie où tout ce qui était sacré se désacralisait, où tuer était devenu monnaie courante et où la mise en scène de la mort se trouvait utilisée comme instrument de la peur.

4- La mise en scène des événements accompagnés de déclarations tonitruantes telles que « je suis être immatériel » participe à ce fascisme mystique.

5- Parmi les actions les plus terribles, on retient l’embrigadement des citoyens dans le macoutisme et la terrible mutation qui s’est opérée dans la société. Comme étude de cas, le sociologue a utilisé ce qui s’est passé au Lycée Pétion, illustrant parfaitement le passage d’une société à une autre.

 

Gérard ne s’est pas contenté de décrire l’atmosphère mais illustre ses analyses avec des portraits de victimes. Celles-ci étaient nombreuses. Dans sa galerie de portraits, Aubourg a aligné des noms émanant du syndicalisme et des partis politiques. « Il faut savoir que certains de ses hommes et de ces femmes étaient des gens de lettres connus, écrivains, poètes, romanciers, journalistes de talent. D’autres étaient des artisans consciencieux, des spécialistes, appréciés dans leur domaine de compétence. Tous massacrés ! » La séquence relatant la révocation de Marcel Gilbert comme professeur de philosophie traduit à elle seule l’aversion de Duvalier vis-à-vis de tous ceux qui n’avaient pas les mêmes idées que lui.

 

Un travail titanesque qu’a accompli l’historien qui évoque parfois avec emphase les disparus qui ont terminé leur vie dans les cachots de Duvalier, donc sans sépultures. dont les mémoires nous hantent encore. À ce sujet, il pense à Djo Roney qui a été arrêté chez lui un 2 septembre 1960 avec une quinzaine de lycéens qui « devinaient probablement » sur l’avenir de leur pays. Aubourg se rappelle que c’était un après-midi calme lorsque le capitaine Jean Tassy, de la police secrète de Duvalier, à la tête d’une troupe de tontons macoutes, débarqua. « Ont été arrêtés : Djo Roney, Bossuet Aubourg, Roger Aubourg, Paul Cessant, Jean Claude Démosthène, Issac Désir, Felix Edmé , Michel Eugene, Marcel Picoche, Gerard Sam, Ti Nené et son frère », se rappelle-t-il.

 

Ce livre vient de rappeler d’une manière éloquente, que le combat constant pour l’installation de la démocratie en Haïti est une lutte de longue haleine. Et comme le souligne l’auteur, il ne faut pas oublier ceux qui ont versé leur sang en combattant l’orgue duvaliériste. Que ceux qui n’ont pas connu et qui souhaitent le retour de ce régime s’instruisent par le truchement de ce livre. Cela vaut largement le détour car un retour de l’orgue duvaliériste sur le devant de la scène politique haïtienne n’est pas exclu définitivement. Il faut témoigner encore et encore car certaines victimes sont encore là.

 

Maguet Delva

 

Notes

(1) Deux autres tomes du même sujet sortiront l’année prochaine.

(2) Ancien étudiant de Pierre Villar à la Sorbonne, Gérard Aubourg a soutenu en 1974 sa thèse de doctorat d’État intitulée : « Métamorphose de la guerre hispano-cubaine en guerre hispano-américaine : la position de la France »

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