Jacques Umbaka brise la rumeur d’un ton net. Celui d’aucune pause. D’aucune suspension. La FRG avance, point final. Port-au-Prince retient son souffle. Les quartiers murmurent. Les gangs spéculent, tandis que l’État parle peu. Par calcul plus que par silence. Décembre 2025 serre la gorge d’une transition fragile. D’une mission internationale en retrait et d’une force nationale qui s’affirme. Le doute circule, la peur aussi. Alors Umbaka recadre, phrases courtes, tranchantes, pour dire que tout se joue sur le terrain, dans les ruelles, sur les axes, entre deux rafales et deux silences. Une vérité nue s’impose. Une guerre sans nom, État vacillant mais debout, stratégie qui progresse en ombres portées. Et ses mots brefs révèlent ce que chacun savait déjà — la bataille continue. Mais à quelle fin ?
C’est dans cette zone grise, faite de non-dits militaires, d’accords locaux fragiles, de défaites infligées aux criminels mais aussi d’épuisement administratif, que s’inscrit, peut-être l’intervention d’Umbaka. Une parole rare, de calibre 9mm pour rassurer, mais qui révèle surtout la fragilité d’une scène où les opérations visibles cachent des batailles souterraines, et l’État, encore une fois, avance en équilibre instable entre communication, contrainte et vulnérabilité.Il y a, dans la voix du général Jacques Umbaka, une fermeté calculée. Une volonté évidente de reprendre le narratif. De rappeler que la Force de Répression des Gangs (FRG) n’est pas en pause. Elle n’est pas en retrait. Et n’est pas en panne. Car la rumeur, elle, court vite. Trop vite. Elle affirme que les opérations offensives ont cessé. Que les troupes kényanes se sont figées. Que la transition vers la FRG a mis la machine sécuritaire en léthargie. Umbaka refuse ce récit. Le démonte. Le qualifie presque de fantasme.
Il confirme que la FRG est partout. Dans l’Ouest. À Kenscoff. À Port-au-Prince. Dans l’Artibonite. Mais il se réfugie aussitôt derrière le secret opérationnel pour éviter les détails sur l’assaut contre les 400 Mawozo. Les opérations, dit-il, sont complexes. Multidimensionnelles. Parfois invisibles. Toujours « planifiées ». La consolidation, précise-t-il, est la dernière phase. Manière de dire que ce n’est pas l’arrêt. C’est l’entre-deux. L’attente stratégique.
Le général s’étonne même de voir certains journalistes parler de passivité. S’étonne… ou feint de s’étonner. Car le doute médiatique ne naît jamais dans le vide mais émerge quand le terrain devient flou, quand les actions se raréfient. Quand les discours deviennent plus visibles que les résultats.
Puis Umbaka soulève un point mal sonné selon lequel la FRG n’est pas seulement en opération. Elle est en transition. La Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) migre vers une force reconfigurée. Renforcée. Rebaptisée. Une transition qui s’étendra jusqu’en décembre 2025. En revanche, dit-il, aucune pause. Aucun répit. Au contraire, une intensification. Une stratégie surprenante, admet-il. Surprenante surtout pour les chefs de gangs, qui espéraient un vide. Une accalmie. Une brèche.
En parallèle, la FRG reçoit de nouveaux équipements. Des engins lourds. Des outils pour casser les barricades que les gangs ont érigées partout. Ces montagnes de ferraille ne sont pas seulement des obstacles physiques ; elles sont un symbole de souveraineté criminelle. Les démolir, c’est s’attaquer à l’infrastructure mentale de la peur. Umbaka promet un déblocage prioritaire des axes, notamment la Nationale #1. Morne Cabrit a déjà vu passer les opérations. Il promet davantage. Mais pour combien de temps, commandant ?
Mais Umbaka reconnaît aussi les frustrations. Depuis un an, la MMSS n’a pas pu lancer de grandes offensives. Trop risqué. Trop de civils dans les zones rouges. Les gangs ont compris la géographie humaine des champs de bataille. Ils se camouflent derrière les quartiers. Se fondent dans les familles. Transformant chaque ruelle en piège moral pour les forces internationales. La « peur des dommages collatéraux » est plus qu’un aveu plutôt elle est la confession d’une guerre contrainte.
Sur l’effectif de la FRG, silence. Peut-être stratégique. Peut-être embarrassé. Umbaka confirme néanmoins une base avancée à l’aéroport, appuyée par des policiers guatémaltèques. Lorsque j’évoque leur prétendue passivité lors d’une attaque contre un avion de Sunrise Airways, il botte en touche. « Enquête en cours », dit-il. Réponse classique. Réponse prudente. Réponse vide. Et, je tarride mon silence.
Mais la chronique sécuritaire du pays, elle, prend un tournant hors de briefings militaires. Un tournant local. Territorial. Décisif.
Car pendant que l’État central hésite, les autorités locales, elles, s’organisent. Délégués. Vice-délégués. Maires. Ils deviennent des stratèges. Des négociateurs. Des chefs de guerre malgré eux. À Kenscoff. À Tabarre. À Lascahobas. Là, les autorités ont même conclu un accord pour desserrer l’étau autour de la ville. Le chef de gang de Canaan a retiré ses hommes. Non pas vainqueur, mais épuisé. Les habitants aussi, par la guerre. Les autorités aussi, par l’absence criante du gouvernement.
Parce que la vérité brutale est là. En revanche, la République a laissé ses communes se défendre seules. Et elles se sont défendues.
Lascahobas n’a jamais cédé. Les gangs ont essayé. Plusieurs fois. Ils ont échoué.
Pourquoi ? Parce qu’un groupe d’autodéfense — Back Up Ferrailles — a tenu la ligne. Des hommes du métier. Des tireurs aguerris. Des citoyens organisés. Des combattants sans uniforme, mais avec la conviction de défendre leurs zones. Ils connaissent le terrain. Ils connaissent les chemins. Ils connaissent les pièges. Et ils ont même recours, dit-on, à des « formules magiques ». Qu’on y croie ou non, cela prouve une chose, celle d’une population qui compense l’État absent avec les moyens qu’il trouve.
Cette milice citoyenne a changé le rapport de force. Au point que le chef de gang de Canaan a exigé son démantèlement dans les négociations. Preuve suffisante de son efficacité. Les autorités locales ont refusé. Non pas par bravade. Mais parce qu’elles n’en ont pas le contrôle. Parce que Back Up Ferrailles est né de la rue, de la survie, de l’angoisse. Pas d’un arrêté communal.
Le retrait des bandits n’est pas une libération, messieurs-dames. La ville n’a jamais capitulé. C’est plutôt un répit. Un souffle. Une suspension. Mais ce répit révèle quelque chose, celui du fait que les gangs ne sont pas invincibles. Ils reculent lorsqu’on leur résiste. Ils négocient lorsqu’on les affronte. Ils cèdent lorsqu’on leur oppose une coalition — police, BSAP, citoyens. Trop pour la survie.
Pour certains, l’accord n’est qu’un sursis. Pour d’autres, il ouvre une brèche. Une possibilité. Un changement de dynamique. La vraie question, la seule qui compte : L’État saura-t-il transformer ces reculs locaux en victoire nationale ? Ou laissera-t-il, encore une fois, les communes écrire seules la chronique de leur survie comme le fait Canapé-Vert ?
elmano_endara.joseph@student.ueh.edu.ht
Formation : Masterant en Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/ Cesun Universidad, California, Mexico; Juriste, Communicateur social
