Une opposition toujours en opposition à elle-même

Dans son texte la meilleure méthode pour gérer les emmerdeurs, publié le 26 septembre 2017, Jean-Marie Durand cite Frédéric Joignot dans son réjouissant essai L’Art de la ruse qui explique comment cohabiter avec les emmerdeurs. « À moins de les égorger, que faire des “relous” qui, chaque jour, nous pourrissent la vie ? Frédéric Joignot souligne dans son essai que face aux problèmes au quotidien que représentent les emmerdeurs dans l’opposition : « nous n’avons pas d’autre choix que “d’accepter la dure loi de la vie sociale, c’est-à-dire s’accommoder de la présence de ces emmerdeurs tenaces qui complique la vie. Il faut apprendre, pragmatiquement, à cohabiter avec eux, même dans la peine.  Comme si l’acceptation de nous-mêmes n’était pas déjà une tâche épuisante en soi ! Double épreuve, donc. »

 

Jean-Marie Durant pense ce que suggère Frédéric Joignot qui semble quand même en «  connaître un gros rayon en termes de fréquentation d’emmerdeurs, c’est que plutôt que de se contenter de les rejeter et de leur faire la guerre, de les trancher même, il est possible de les prendre à leur propre piège, pour les mettre hors d’état de nuire aux autres, et parfois s’épargner eux-mêmes. À l’horizon imparable de l’affrontement et de la guerre permanente, l’auteur oppose un savoir, qu’il définit d’abord comme un “savoir-vivre”. Ce dernier relève d’une connaissance avisée de “l’art de la ruse”, vieille tradition de pensée qui remonte aux origines de la philosophie elle-même, grâce à laquelle les gonfleurs et casse-couilles se neutralisent, ou mieux, se soignent. Frédéric Joignot entre ici “dans le domaine compliqué et stratégique de la ruse philosophique et de l’art de vivre avec les emmerdeurs”, afin d’essayer “de les corriger, les amender, les émender, les métamorphoser, les pacifier”, »

 

Comprendre les réflexions de Fréderic Joignot et de Jean Marie Durant dans un contexte de crises politiques haïtiennes, c’est aussi comprendre la participation des leaders politiques de l’opposition dans le nouveau cabinet d’un Ariel Henry qui était nommé Premier ministre peu de jour avant l’assassinat du président Jovenel Moïse. Accepter de rejoindre l’équipe d’un régime qu’on combattait pendant des années, est dans toute l’acceptation du terme, un désaccord avec les mouvements de la rue pour finalement accorder pacifiquement avec les chiens de garde d’un système corrompu composé d’une classe politique vassalisée et un groupe d’hommes d’affaires très rapaces.

 

Quand l’amour du pouvoir fait changer les discours

 

Pendant les jours qui suivaient l’assassinat du président Jovenel Moïse on avait assisté à des déclarations codées de la part de certains leaders de l’opposition, qui peut de temps avant, voulaient, à travers un taboularaza, une transition de rupture.  Ce comportement de ruse fait penser à la tactique du double langage comme à l’époque des années 1980 avec la formation des constituants qui devaient travailler sur la Charte constitutionnelle de1987, ou la formation du CEP pour l’organisation des élections en novembre de cette même année. Avant c’était non à la constitution, plus tard, c’était non aux élections. Nous n’allons pas aux élections avec les militaires. Il nous faut un autre gouvernement capable d’organiser des scrutins libres et démocratiques, réclamaient les leaders politiques et organisations populaires de gauche d’alors. Ainsi, la tactique du double langage avait marqué la longue période de la transition démocratique du CNG (Conseil National Gouvernement). Pendant longtemps, cette tactique s’était « révélée une arme particulièrement efficace aux mains de cabotins de la politique dont les grossiers jeux de scène ont trop longtemps provoqué les applaudissements de spectateurs gagnés à leur cause. »

Mais une fois que le calendrier électoral était annoncé, pour se porter candidats à tous les postes, certains de ces messieurs avaient changé de discours.  Ils commençaient par courtiser le pouvoir en place, le Conseil Électoral et les puissantes ambassades, particulièrement les blancs de Washington.  Paske yo pap dòmi deyò.   

Le jeu de double langage et l’empressement d’une frange de l’opposition à signer l’accord qui désaccorde la bataille populaire a, dans une certaine mesure désamorcée la mobilisation du peuple et du même coup facilitée à ces leaders dans leurs jeux macabres, à trouver des postes ministériels ou de directions générales. Lors des manifestations des dernières années, le secteur dit démocratique était pour le départ sans condition du chef de l’État.  Aujourd’hui, certains de ces leaders sont, dans le cadre de compromis politique avec le Premier ministre, pour le référendum constitutionnel, les élections, etc.

Avec des discours révolutionnaires de changements politiques, bon nombre de leaders politiques ne sont pas toujours d’accord comment accéder au pouvoir. Dans leurs prises de position toujours codées, empruntés du double langage et de marronnage, il y a certains qui préconisent la prise du pouvoir par la force, par la légalité surtout électorale, et d’autres qui voulaient le prendre par des compromis très comprometeur avec la faveur bien entendu du secteur des affaires et alliés de la communauté internationale qu’ils avaient l’habitude de dénoncer.

Ce qui fait, même lorsqu’ils s’unissaient certaines fois contre le statuquo local et l’impérialisme de l’international pour protester ou revendiquer certains abus et violation des droits humains, le conflit entre ceux qui voulaient arriver au pouvoir par la voie électorale et les compromis de tous genres était toujours le cheval de bataille de tout un groupe de politiciens dans les stations de radios à grandes écoutes. Quant à ceux qui voulaient le taboularaza, ils sont le plus souvent décriés et insultés comme extrémistes.  Pendant que les autres sont considérés comme opportunistes. Mac-Forel Morquette dans une autre version d’un livre appellerait ces messieurs les nouveaux Marrion, revus et corrigés.

À la question de savoir, si le comportement de ces messieurs était une forme de lobby pour accéder à un poste politique, il est important de faire remarquer que l'opposition a toujours été en opposition à elle même. Quand elle n'est pas divisée sur des accords de principe, elle est, dans bien des cas, désaccordée sur des affaires électorales. 

 

Quand l’opposition est divisée aux élections

 

L’ors des dernières élections, des leaders qui se réclamaient de tendance de gauche de l’opposition étaient divisé face au candidat du pouvoir qui représentait le statuquo et alliés de l’international alors que, peu de temps avant, ils étaient ensemble dans les rues pour protester contre le régime dit antidémocratique.  Aujourd’hui encore, ils ne se sont pas entendus sur bien des choses.   Dans ce cas, il est important de poser cette question à savoir à qui en profite cette division entre les membres d’un même secteur dite de l’opposition. Si cette division continue de faire l’affaire de certains affairistes impliqués dans la vie politique aussi bien que des hommes d’affaires économiques, entre-temps le peuple continue de souffrir dans les quartiers populaires.

 

À chaque élection, la classe politique de l’opposition est divisée.  Alors qu’elle s’unissait toujours quand elle voulait le départ d’un régime en place.  A priori, il y avait toujours un groupe qui, au départ, voulait participer au scrutin et un autre qui, catégoriquement, refusaient de le faire.   Alors qu’un autre, tout en cherchant la bénédiction de l’international, attendait toujours le dernier moment. C’était ce phénomène de marronnage qui a été, déjà, expliqué dans les paragraphes précédents.  Donc on ne peut pas gagner quand on est  indécis.  

 

Comment comprendre une classe politique qui s’était mobilisée pour le départ d’Aristide en 2004 et qui ne pouvait pas deux ans après se regrouper autour d’un seul candidat ?   Lors des élections présidentielles de 2006, presque 50% des votes de l’électorat étaient divisé entre les candidats dans l’opposition. Alors que Réné Préval, le candidat avec le momentum d’alors, lui, après décompte et partage des votes blancs, avait eu 51%, le maximum pour gagner les élections.  Encore, il est presque impossible de gagner quand on est divisé.

 

En 2010, l’opposition voulait, à travers ceux-là qui avaient participé au processus électoral, rompre  avec la continuité tant médiatisée par l’équipe gouvernementale d’alors. Quoiqu’il soit important de mentionner que presque tous les candidats aux présidentielles étaient non seulement de tendance lavalas, mais avaient été dans le temps soit directeurs généraux, ambassadeurs, ministres ou Premiers ministres.  Mais si on prend en considération le score des deux candidats les mieux placés, qui étaient, jusqu'à date, considérés  comme des ‘’outsiders dans l’État’’, on pouvait comprendre que les élections étaient gagnables au premier tour par l’opposition.

 

Bien entendu, il faut reconnaitre que le score de Sweet Mcky était faux. C’était un score “made” par les experts de l’OEA.  En dépit de cette réserve sur le score du chanteur de la musique compas, mais officiellement « Si on additionne les scores de Madame Mirlande Manigat et de Monsieur Michel Martelly onobtient 53% des voix. À l'inverse, même si le camp du pouvoir sortant place trois (3) de ses candidats parmi les cinq (5) premiers, il ressort qu'il ne devrait pas gagner ces élections. En effet, les trois (3) candidats du pouvoir sortant ne totalisent que 33,73% des voix. De plus, même en additionnant les scores des 7 candidats qui, parce qu’ils ont été ministres ou anciens Premiers ministres sont issus du pouvoir en place, on n’obtient pas plus de 38% des voix. De ce fait, le candidat du pouvoir susceptible d’être au second tour n’a théoriquement plus de réserve de voix. Cela permet d’affirmer que si l’opposition était organisée, l’issue de l’élection présidentielle aurait sans doute été différente, compte tenu du rejet du candidat du pouvoir. »

 

Les mêmes erreurs avaient été commises par les candidats de l’opposition lors des élections de 2015 et 2016. Les dernières élections présidentielles, si toutefois l’opposition s’unissait, étaient gagnables au premier tour.  Que ce soient les élections annulées de Martelly et celles de Privert. En 2015 et 2016, au lieu d’envoyer un candidat unique face au candidat du PHTK qui bénéficiait d’un support incommensurable du côté de l’international et du secteur des affaires économiques du pays, la classe politique de l’opposition, avec plusieurs candidats à la course, avait divisé l’électorat.   

 

Donc, le pays, comme l’opposition, est divisé.  Le pays est plus divisé que jamais.  Alors que, ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir de compromis ou d’apaisement étaient, hier, pour une transition de rupture, dans l’opposition, et ceux qui sont aujourd’hui dans l’opposition étaient, hier au pouvoir.  Donc le combat entre l’opposition divisée et un régime restavèk sous tutelle de l’internationale et du secteur des affaires est une lutte fratricide pour le pouvoir et leurs intérêts mesquins, mais définitivement pas pour changer la vie des gens qui croupissent dans la misère dans les quartiers pauvres de la capitale et de la paysannerie.  

 

Prof. Esau Jean-Baptiste

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES